Après l’avoir fait devant le Comité d’Evaluation et de Contrôle, puis en séance publique, c’est devant mes collègues de la Commission des Affaires Européennes que j’ai présenté, avec Michel Heinrich, le rapport sur la performance des politiques sociales en Europe. Une nouvelle occasion de valoriser ce travail, fruit d’un an de labeur, avec plus de 120 personnes entendues à l’occasion de 40 auditions, tables rondes, et quatre déplacements en Europe à Berlin, Stockholm, Londres et Bruxelles, ce rapport de près de 500 pages présente, dans une annexe de 250 pages, deux études scientifiques comparatives européennes sur les politiques familiales et de l’emploi.
Notre rapport contient une vingtaine de grandes propositions pour améliorer les politiques sociales en France en matière de lutte contre la pauvreté, de retour à l’emploi, d’équilibre travail-famille, ainsi que des propositions relatives aux familles monoparentales.
Le verbatim de mon intervention :
M. Régis Juanico, co-rapporteur du Comité d’évaluation et de contrôle. Nous nous sommes rendus à Bruxelles pour connaître les travaux comparatifs menés par la Commission européenne dans le domaine social, en particulier en lien avec cet objectif de lutte contre la pauvreté. Celle-ci revêt différentes formes, selon les Etats-membres, d’où l’idée intéressante de définir trois indicateurs combinés : la part des personnes en situation de pauvreté relative, c’est-à-dire dont le revenu est inférieur à 60 % du revenu médian ; la part des personnes en situation de privation matérielle sévère ; la part des personnes vivant dans un ménage où personne ne travaille.
Selon les évaluations de la Commission européenne, les résultats de la France sont au-dessus de la moyenne de l’Union européenne mais moins bons que ceux des pays dont les dépenses sociales sont comparables aux nôtres, comme les Pays-Bas, la Suède, la Finlande ou l’Autriche. Alors que le taux de pauvreté relatif au seuil de 60 % du revenu médian s’établit à 13,5 % selon l’INSEE, l’indicateur européen, plus complet, qui tient également compte de la pauvreté en conditions de vie et des ménages dont aucun membre ne travaille, révèle que 18,4 % des Français, en 2009, étaient concernés par le risque de pauvreté ou d’exclusion.
Répondant aux préoccupations des associations de lutte contre la pauvreté, nous proposons de maintenir le principe d’un dispositif européen d’aide alimentaire après 2014, afin de remplacer le Programme européen d’aide alimentaire aux plus démunis (PEAD), et de réorienter les fonds structurels européens, en particulier le Fonds social européen (FSE), pour réaliser l’objectif européen de réduire de 20 millions le nombre de personnes pauvres en Europe et encourager l’innovation dans le domaine social. Nous en avons d’ailleurs débattu au sein de notre commission, la semaine dernière, avec le ministre Jean Leonetti.
Pour renforcer la performance des politiques sociales en France, nous préconisons d’améliorer leur pilotage et leur évaluation, au regard notamment de bonnes pratiques observées dans plusieurs pays européens : en définissant un programme pluriannuel d’expérimentations, soumis pour avis à la Commission des affaires sociales, et en organisant régulièrement des débats en séance publique sur leurs résultats ; en programmant un débat annuel au Parlement sur l’efficacité des politiques sociales, par exemple sur des thèmes correspondant à certains objectifs des Programmes de qualité et d’efficience (PQE), dont le choix serait partagé entre la majorité et l’opposition ; en nous inspirant du classement des communes et des régions suédoises ou de la Méthode ouverte de coordination (MOC) européenne pour encourager le développement de l’évaluation des politiques sociales locales.
(…)
M. Régis Juanico. Les politiques d’articulation entre vie familiale et vie professionnelle sont susceptibles de favoriser l’augmentation des taux d’activité et donc de contribuer à la croissance et à la consolidation des systèmes de protection sociale, mais aussi à l’égalité hommes-femmes, à la qualité de l’emploi et à la performance des entreprises. Elles peuvent donc constituer un atout de compétitivité économique et sociale. Le rapport comporte également une analyse approfondie concernant les politiques en direction des familles monoparentales, je n’y reviendrai pas aujourd’hui.
En agrégeant les prestations familiales, les dispositifs d’accueil des jeunes enfants et les aides fiscales, l’OCDE place la France au premier rang des pays pour l’effort de redistribution de la richesse nationale en faveur des familles, avec 3,7 % du PIB environ, pour une moyenne de 2,2 % dans l’OCDE. En particulier, des moyens importants sont alloués aux mesures visant à favoriser la conciliation entre famille et travail, c’est-à-dire essentiellement l’offre de garde et les congés parentaux.
La France se distingue par de bons résultats dans certains domaines, en particulier la natalité : l’indice conjoncturel de fécondité de la France, en 2009, était le deuxième plus élevé des pays de l’Union européenne et le troisième des pays de l’OCDE.
En termes d’emploi, il convient tout d’abord de rappeler les objectifs chiffrés fixés lors du Conseil européen de Lisbonne en mars 2000, concernant notamment l’emploi des femmes : 60 % à l’horizon 2010.
Dans ce domaine, la France se caractère notamment par une insertion professionnelle des femmes plutôt à temps plein, contrairement, par exemple, aux Pays-Bas. En France, le taux d’activité des femmes âgées de vingt-cinq à quarante-neuf ans dépasse 80 %.
Autre point fort : l’accueil, gratuit et sur la journée entière, des enfants de moins de six ans dans les écoles maternelles. En termes de prise en charge, la France est ainsi la mieux positionnée des pays étudiés. L’accès à des modes de garde de qualité présente par ailleurs des enjeux importants en termes d’égalité des chances, de réussite scolaire et de lutte contre les inégalités sociales.
Il existe toutefois des voies d’amélioration afin de mieux répondre aux difficultés parfois ressenties par les parents en matière de conciliation, mais aussi concernant l’offre d’accueil de la petite enfance – nous estimons les besoins non couverts à environ 350 000 places, dans un contexte de diminution de la scolarisation des enfants de deux ans – ainsi que pour soutenir l’accès ou le retour à l’emploi des mères, par rapport à des pays comme la Suède, qui ont des politiques assez innovantes en la matière.
Des progrès restent également à faire en matière d’égalité des genres et de réduction des écarts salariaux.
Enfin, l’analyse fait apparaître une autre spécificité française, concernant le congé parental, très féminisé et très long – jusqu’à trois ans –, ce qui peut avoir des effets préjudiciables sur les trajectoires professionnelles. Il est par ailleurs moins bien rémunéré que dans certains pays, par exemple l’Allemagne ou la Suède.
A contrario, plusieurs pays européens ont adopté des mesures visant à favoriser une meilleure implication des pères, à travers, par exemple, des périodes spécifiques ou « quota du père ».
Pour créer les conditions d’un meilleur équilibre des temps professionnels et familiaux, nous préconisons en conséquence : de ramener progressivement le congé parental à quatorze mois, en incluant deux « mois d’égalité », réservés à celui des parents n’ayant pas pris le reste du congé, et de mieux le rémunérer qu’aujourd’hui, à hauteur des deux tiers du salaire antérieur, en s’inspirant des dispositifs existant en Suède et en Allemagne ; de renforcer l’accompagnement vers l’emploi et la formation aux bénéficiaires du complément de libre choix d’activité (CLCA), avec notamment une meilleure coopération entre les caisses d’allocations familiales et Pole Emploi ; de poursuivre le développement de l’offre de garde de la petite enfance, en particulier en accueil collectif, en maintenant au moins au niveau actuel la scolarisation des enfants de moins de trois ans ; de favoriser le développement de la négociation collective et des bonnes pratiques en milieu professionnel, au regard notamment de l’implication dans ce domaine des entreprises en Allemagne, en faisant en sorte que les directeurs des ressources humaines pensent l’organisation du travail en fonction d’un objectif de meilleure articulation entre le travail et famille, visant à favoriser une paternité active et un véritable partage des tâches familiales.
Nous souhaitons ainsi offrir de meilleures opportunités de carrières aux mères et plus de temps de famille aux pères.
(…)
M. Régis Juanico. L’enseignement de notre rapport, pour résumer, c’est que la France dépense beaucoup pour ses politiques sociales – 31 % du PIB, 600 milliards d’euros – et que des marges de progression existent sans doute pour dépenser mieux, mais que ses performances sociales sont souvent supérieures à la moyenne de l’OCDE, qu’il s’agisse du dynamisme démographique, de l’espérance de vie, de la politique familiale, de l’efficacité redistributive des prestations ou de la prise en charge des enfants de moins de six ans.
Nous identifions aussi des points faibles du modèle social français, sur lesquels nous estimons que des améliorations sont possibles, non pas en plaquant un modèle unique, global et formaté, mais en nous inspirant des bonnes pratiques. Cela vaut pour le taux d’emploi, le retour à l’emploi de qualité, la montée des inégalités, de l’exclusion et de la pauvreté. Les expérimentations locales nous permettront sans doute d’obtenir des gains d’efficience et de préserver la logique et l’enveloppe budgétaire globale de notre système de protection sociale.
A contrario, Michel Heinrich évoquait les « mini-jobs » allemands, dont il ne faut certainement pas s’inspirer.
(…)
M. Régis Juanico. Il faut être extrêmement prudent car le déficit de 350 000 places d’accueil est le chiffre pour 2009. Il n’en demeure pas moins qu’il importe d’augmenter le nombre de places d’accueil collectif si le nombre d’enfants de moins de trois ans scolarisés continuer de diminuer. Il ne s’agit donc plus de créations nettes.
(…)
M. Régis Juanico. En observant nos voisins, il apparaît que plus le congé parental est long, plus l’éloignement vis-à-vis du marché du travail est durable. A quarante ans, à diplômes et ancienneté comparables, dans une même entreprise, l’écart de salaire atteint 17 %, dont 70 % ne peut être expliqué rationnellement.
L’idée est donc de favoriser un raccourcissement des congés parentaux, ce qui favorisera un retour plus rapide et plus efficace des femmes à leur emploi, et de revaloriser la compensation allouée – aujourd’hui limitée à 580 euros –, ce qui permettra aussi aux pères d’y recourir, au moins pendant quelques mois. En Allemagne, cela a donné d’assez bons résultats : le taux de recours au congé parental, en quelques années, est passé de 3 ou 4 % à près de 20 %.
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