Le rapport de Michel Heinrich et Régis Juanico “S’inspirer des meilleures pratiques européennes pour améliorer nos performances sociales” discuté en séance publique le mardi 31 janvier à l’Assemblée Nationale.
Dans le cadre de la semaine dite « de contrôle » à l’Assemblée Nationale, la conférence des Présidents a inscrit à l’ordre du jour des travaux parlementaires, un débat sur les conclusions du rapport que j’ai co-rédigé avec Michel Heinrich dans le cadre du Comité d’Evaluation et de Contrôle sur la performance des politiques sociales en Europe.
Le débat en séance publique a eu lieu le mardi 31 janvier à 16h en présence des membres du gouvernement concernés qui ont réagi sur nos propositions. Ce débat d’une durée de deux heures, ouvert à la presse a été retransmis en direct.
Les principales préconisations du rapport sont :
Lutte contre la pauvreté en Europe
1. Le maintien d’un programme d’aide alimentaire pour les plus démunis de l’Union Européenne après 2014
Retour à l’emploi de qualité
2. Mettre un terme à l’instabilité juridique et financière des contrats aidés, avec des durées de contrat suffisantes pour l’accompagnement, la formation et l’insertion durable des bénéficiaires.
3. Mettre en oeuvre un accompagnement renforcé des demandeurs d’emploi avec deux entretiens rapprochés au début du parcours personnalisé l’un sur l’indemnisation, l’autre sur le projet professionnel. Organiser le 1er entretien cinq jours après l’inscription à Pôle Emploi
4. Augmenter les moyens humains de Pôle Emploi en cas de hausse du chômage pour intensifier les contacts entre conseillers et demandeurs d’emploi
Articulation famille/travail
5. Aller progressivement vers une allocation de congé parental d’un montant plus élevé et proportionnel au salaire antérieur (à hauteur des deux tiers) et sur une période plus courte de 14 mois avec une période de deux mois « d’égalité » non transférable réservée à l’un des parents
Offre de garde de la petite enfance
6. Poursuivre le développement de l’offre de garde par la création de 200 000 places nettes supplémentaires dont la moitié en accueil collectif, et en maintenant au moins au niveau actuel la scolarisation des enfants de moins de trois ans.
Familles monoparentales
7. Envisager des expérimentations pour un accompagnement renforcé aux parents isolés avec des aides accrues pour la garde d’enfants et la mobilité (permis de conduire…).
Tous les éléments de ce rapport d’information n°4098. Vous pouvez également consulter la synthèse de nos travaux en pdf :
Le verbatim de mon intervention :
M. Régis Juanico, co-rapporteur du comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques. Monsieur le président, madame la ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je veux d’abord dire quelques mots sur le modèle social français. Nous y consacrons des moyens importants ; c’est vrai. En la matière, des marges de progrès, des gains d’efficience sont-ils possibles ? Sans doute. Mais nous n’avons pas à rougir de notre système de protection sociale ni à craindre les comparaisons ; bien au contraire. Notre rapport le montre bien.
L’efficacité redistributive de ce modèle est incontestable. L’importance des transferts sociaux traduit, en effet, un choix de société marqué par la volonté de lutter contre les inégalités, qui sont bien plus faibles que dans un certain nombre d’autres pays. Dans le domaine social, les performances de la France sont souvent supérieures à la moyenne des pays de l’OCDE. C’est vrai, par exemple, pour le dynamisme démographique, la natalité ou l’espérance de vie. Au cours de nos déplacements, nous avons d’ailleurs pu mesurer combien certains de nos dispositifs sont enviés en Europe, y compris en Allemagne, pour ce qui concerne notre politique familiale.
Nos performances peuvent toutefois être améliorées, en particulier en matière de taux d’emploi, de retour à l’emploi de qualité, notamment pour les femmes – Michel Heinrich vient de l’évoquer. Dans ces domaines, nos résultats sont clairement moins bons. Nous pouvons aussi faire mieux en matière de lutte contre la pauvreté et contre l’exclusion.
Dans notre rapport, nous préconisons de développer l’expérimentation dans le champ social, qui est une pratique plus fréquente en Suède ou au Royaume-Uni. Nous pourrions le faire en définissant un programme pluriannuel d’expérimentations, en nous inspirant des politiques locales, en débattant ici régulièrement de leurs résultats, en renforçant l’évaluation et en y associant très largement les parties prenantes. Il y a là, très clairement, un levier structurant d’amélioration de la performance de nos politiques sociales.
Madame la ministre, madame la secrétaire d’État, depuis l’expérimentation du RSA, menée sous l’impulsion de M. Martin Hirsch, pouvez-vous nous dire quelles actions ont été engagées dans ce domaine et quelles suites vous entendez donner à nos préconisations en matière d’expérimentation et d’évaluation des politiques sociales ?
J’en viens maintenant à la question des politiques d’articulation entre famille et travail, à l’équilibre des temps.
Comme nous l’affirmons dans notre rapport, les politiques visant à favoriser cette articulation sont facteurs de performance et de compétitivité, au niveau macro-économique tout d’abord, par leur impact positif sur la natalité, le taux d’activité, l’emploi et, en conséquence, la croissance et les comptes sociaux. Elles le sont, ensuite, au niveau des entreprises, en contribuant à prévenir les risques psychosociaux, en améliorant les résultats professionnels et la qualité de l’emploi, ainsi qu’en fidélisant la main-d’œuvre.
En Europe, la France se distingue par de bons résultats dans le domaine de la politique familiale, en particulier en matière de fécondité et d’insertion professionnelle des femmes, qui se fait plutôt à temps plein. Il faut aussi citer l’excellente prise en charge des enfants de moins de six ans dans les écoles maternelles, et ne pas oublier une certaine stabilité dans le temps des aides apportées aux familles, contrairement à ce qui se passe au Royaume-Uni, par exemple.
Il existe néanmoins des voies d’amélioration pour mieux répondre aux difficultés parfois ressenties par les parents. En particulier, des efforts significatifs ont été réalisés pour développer une offre de garde diversifiée. Ils doivent être poursuivis et amplifiés. Je rappelle que les besoins non couverts sont estimés à environ 350 000 places, et ce, dans un contexte de diminution de la scolarisation des enfants de deux ans. Celle-ci est passée, en une décennie, de l’ordre d’un tiers à 13 % en 2010. Or l’accès à des modes de garde de qualité et financièrement abordables est lié à des enjeux majeurs : emploi, réussite scolaire, lutte contre les inégalités sociales. Nous demandons, en conséquence, que tout soit fait pour que le taux de scolarisation des enfants de moins de trois ans se maintienne au niveau actuel. Quelles mesures le Gouvernement pense-t-il pouvoir prendre en ce domaine ?
Plus largement, et par rapport à des pays tels que la Suède, des progrès restent à faire pour soutenir l’emploi des mères et pour lutter contre les inégalités entre les hommes et les femmes.
Une étude récente de l’OFCE montre qu’une cohorte d’hommes dans la tranche des quadragénaires gagne 17 % de plus qu’une cohorte de femmes ayant les mêmes caractéristiques, l’essentiel de cette différence de salaires, soit 70 %, restant inexpliqué.
Je rappelle qu’en Europe, plus de 6 millions de femmes de vingt-cinq à quarante-neuf ans se déclarent contraintes à l’inactivité ou au temps partiel en raison de leurs responsabilités familiales, du fait notamment de difficultés liées à la garde des enfants. Comment pourrions-nous nous satisfaire de cette situation ?
Si je veux résumer la philosophie de notre rapport, nous souhaitons offrir plus de temps de famille aux pères mais aussi de meilleures opportunités de carrières aux mères.
Un congé parental long éloigne durablement les femmes du marché du travail ; il a des conséquences sur leur trajectoire professionnelle. C’est pourquoi nous proposons d’aller progressivement vers un congé parental plus court et mieux rémunéré, soit quatorze mois rémunérés à hauteur des deux tiers du salaire antérieur. Nous pourrions nous inspirer, en particulier, de ce qui existe en Suède et en Allemagne depuis une réforme récente. Nous proposons également d’instituer une période de deux mois « d’égalité » réservée à l’un des parents, comme cela existe dans plusieurs pays en Europe.
À l’heure où l’on parle tant du modèle allemand, je dis « Chiche ! » Je pense, par exemple, à la qualité du dialogue social dans ce pays, mais aussi à cette réforme du congé parental, dont nous avons pu constater l’impact très positif, en particulier sur l’implication des pères. En Allemagne, 25 % des pères ont recours au congé parental, alors qu’en France ils sont 3 %.
De fait, les dispositifs visant à favoriser l’articulation famille-travail concernent essentiellement la petite enfance. Mais l’on ne cesse pas d’être parent quand son enfant rentre à l’école primaire ! C’est pourquoi des mesures sont aussi nécessaires pour favoriser le développement des bonnes pratiques en milieu professionnel et promouvoir ainsi un meilleur équilibre des temps tout au long de la vie.
En vue de favoriser une paternité active et un véritable partage des tâches familiales, les entreprises doivent apprendre à repenser l’organisation du travail. Nous formulons, là encore, plusieurs propositions concrètes en ce sens, concernant notamment les accords de branche sur l’égalité et le rôle de l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail, en posant aussi la question de la mixité au sein des comités de direction. Mme la Secrétaire d’État, partagez-vous ces préoccupations ?
Un mot, enfin, sur les familles monoparentales, qui sont particulièrement exposées au risque de pauvreté. Il nous semble nécessaire d’améliorer l’accompagnement des parents isolés en situation de vulnérabilité, dans le cadre notamment d’une expérimentation, à la lumière de certaines pratiques observées en Allemagne ou au Royaume-Uni. Y seriez-vous favorable, et quelles mesures sont, le cas échéant, envisagées dans ce domaine ?
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