La proposition de résolution de notre groupe Socialistes et Apparentés de reconnaissance et de condamnation du caractère génocidaire des violences politiques ainsi que des crimes contre l’humanité perpétrés par la Chine à l’égard des Ouïghours a été votée ce jour à l’Assemblée Nationale par 169 voix pour, une voix contre !
Selon les organisations de défense des droits humains, au moins un million de Ouïghours et d’autres minorités turcophones, principalement musulmanes, sont incarcérés dans des camps au Xinjiang. Outre la stérilisation forcée des femmes, la Chine y est accusée d’imposer le travail forcé.
Vous pouvez retrouver l’intégralité du texte de la résolution ici.
Cette proposition de résolution vise à reconnaître le caractère génocidaire des violences politiques systématiques ainsi que les crimes contre l’humanité actuellement perpétrées par la République populaire de Chine à l’égard des Ouïghours, population turcique et majoritairement musulmane.
Elle fait suite à la résolution du parlement européen du 17 décembre 2020 « sur le travail forcé et la situation des Ouïgours dans la Région autonome ouïgoure du Xinjiang », aux mesures restrictives prises contre des entités et des responsables politiques chinois dans le règlement d’exécution 2021/478 du Conseil de l’Union européenne du 22 mars 2021, ainsi qu’aux sanctions prises par la République populaire de Chine à l’encontre de parlementaires et d’universitaires européens.
Plusieurs États ont officialisé leur reconnaissance du génocide des Ouïghours par la République populaire de Chine. Le gouvernement des États-Unis, les parlements britanniques, néerlandais, et canadiens, ont ainsi condamné des « crimes contre l’humanité » ainsi qu’un « génocide ».
Des procédures similaires sont en cours dans d’autres États (Belgique, Allemagne, Lituanie et Nouvelle-Zélande). Quant à elle, la France a dénoncé un « système de répression institutionnalisé » en février 2021 et a engagé des réflexions sur l’emploi du terme de « génocide », sans toutefois reconnaître ni condamner ce crime en tant que tel.
Des troubles récurrents agitent la région depuis son annexion à la République populaire de Chine en 1949. Cette annexion faisait suite à deux brèves expériences étatiques indépendantes et à la naissance et la construction d’un sentiment d’appartenance nationale ouïghour, dans la première partie du XXe siècle.
Les Ouïghours déplorent la sinisation de leur région induite par des politiques migratoires, linguistiques, sociales et culturelles constituant un danger immédiat pour la continuité de leur propre culture.
Bien que ce soit une région qui bénéficie en principe d’un statut d’autonomie depuis 1955, et malgré la loi sur les droits des minorités en République populaire de Chine, les droits fondamentaux des Ouïghours ne sont pas suffisamment garantis par la constitution de 1978.
À cet égard, il est significatif que la loi sur l’autonomie n’ait été déclarée qu’en 1984. Pour plusieurs spécialistes de la Chine et de la Région ouïghoure, cette loi ne garantit dans les faits qu’une autonomie extrêmement réduite. D’autres chercheurs qualifient même cette politique de processus colonial. Depuis la désignation de Xi Jinping à la tête du gouvernement de la République populaire de Chine, ces politiques de sinisation ont pris une tournure radicale visant à éradiquer l’identité ouïghoure en tant que telle.
Les expressions publiques de mécontentement, les manifestations et les actes parfois violents impliquant des Ouïghours sont donc à replacer dans ce contexte de politiques d’assimilation à marche forcée et de politiques répressives mises en place par les autorités chinoises. Ces dernières désignent toute forme de contestation ouïghoure comme des actes de séparatisme et plus récemment de terrorisme.
C’est le cas depuis le début de la « Guerre globale contre le terrorisme » lancée par Georges W. Bush en 2001, à laquelle la Chine a immédiatement adhéré afin de pouvoir réprimer toute protestation ouïghoure au nom de la lutte contre le terrorisme international.
Les politiques répressives à l’égard des Ouïghours, mais aussi à l’égard d’autres minorités turciques de la région (Kazakhs, Kirghizes, Ouzbeks et Tatars), ont pris une ampleur sans précédent depuis au moins 2014, lorsque le chef d’État de la République populaire de Chine, le président Xi Jinping, a déclaré la « Guerre du peuple contre la terreur » en Région autonome ouïghoure du Xinjiang, notamment dans les préfectures où les Ouïghours représentent la grande majorité de la population.
Elles se sont intensifiées suite à la désignation de Chen Quanguo à la tête du Parti communiste chinois dans la région en août 2016. Il est important de noter que ce dernier exerçait jusque-là la même fonction au Tibet, où il a contribué à mettre en place un système extrêmement répressif ayant provoqué un nombre important de protestations.
Comme en atteste une fuite de documents de communication interne au Parti communiste chinois révélée par le New York Times, les fonctionnaires d’État de la Région ouïghoure ont reçu des ordres visant à « rafler toutes les personnes devant être raflées », de « toutes les éliminer… de les détruire en profondeur », et de « briser leur lignée, briser leurs racines, briser leurs liens et briser leurs origines ».
Les politiques répressives sont accompagnées d’un système de surveillance massif, incluant une multitude de dispositifs, parmi lesquels : caméras à reconnaissance faciale, applications espionnes obligatoires sur les téléphones portables, plateforme automatisée de recueil de données et de signalement des habitants (Integrated Joint Operations Platform), GPS de surveillance obligatoire dans les voitures, gravure de QR codes liés au numéro d’identité des acheteurs sur les objets coupants, QR code sur les portes des appartements des Ouïghours, et points de contrôle dans les rues et entre chaque ville de la région.
Cette surveillance s’étend jusqu’à l’étranger, et notamment en France, où les membres de la diaspora ouïghoure (dont certains sont naturalisés Français) et leurs conjoints français sont intimidés voire traqués et harcelés par la police chinoise ou les services de l’ambassade de Chine (appels multiples, pressions via les membres de la famille restés dans la région d’origine).
L’envoi de documents officiels ou d’identité français, ainsi que d’autres informations privées concernant leur vie en France, est parfois exigé.
On constate donc la mise en place d’une politique d’État globale et systématique ayant pour intention de détruire les Ouïghours en tant que groupe à part entière, ou tout ou en partie, par des actes répétés de destruction détaillés ci-dessous.
La République populaire de Chine, via les autorités de la Région autonome ouïghoure du Xinjiang, organise l’internement de masse des Ouïghours dans des camps d’internement. Alors que les autorités chinoises ont dans un premier temps nié l’existence de ces camps, elles ont, dans un second temps, justifié ces derniers en les désignant comme des « centres de formation professionnelle et de rééducation ».
L’existence de ces camps a été profusément documentée grâce à des images satellites, puis corroborée par des témoignages oculaires ainsi que par des documents émanant de sources officielles chinoises. Grâce à ces travaux, plusieurs centaines de ces structures d’internement ont été recensées en Région ouïghoure. Outre les structures d’internement déjà existantes telles que les prisons où sont enfermés les détenus de droit commun, l’Australian Strategic Policy Institute a identifié plus de 380 structures d’internement construites depuis 2017. Fin 2019, le chercheur Adrian Zenz estimait le nombre total des structures d’internement en Région ouïghoure à 1 400 (structures récemment construites et infrastructures existantes utilisées comme des camps, à l’exclusion des prisons).
Des recherches ultérieures ont montré que certains camps organisent du travail forcé, et que des Ouïghours sont également déportés vers d’autres régions de Chine pour y être enrôlés de force dans des usines. Des témoignages sur les conditions de détention dans ces camps attestent également de tortures, et en particulier d’agressions sexuelles et de viols systématisés, d’humiliations et d’une déshumanisation constante des détenus affectant leur santé et leur intégrité physique et mentale. Les rescapés témoignent également de cas de morts de codétenus soumis à la torture et qui ne sont jamais revenus.
Des témoignages de rescapés et d’un chirurgien ouïghour attestent aussi de prélèvements forcés d’organes sur des détenus ouïghours, une pratique déjà existante à l’encontre des prisonniers politiques et d’opinion en Chine, et de plus en plus documentée, notamment dans le cas des condamnés à mort – à qui le consentement n’est pas demandé. Auparavant, ces pratiques ont été condamnées par la résolution 2013/2981 du 12 décembre 2013 du Parlement européen.
Des organisations comme China Tribunal accumulent peu à peu des preuves indiquant que les Ouïghours internés en camps seraient considérés comme une « banque d’organes » potentielle.
Deux rescapées de ces camps vivent aujourd’hui en France, dont l’une a été sauvée par l’intervention du président de la République suite à la mobilisation de l’opinion publique, sensibilisée par la fille française de la victime. Des parents de Ouïghours français ou réfugiés en France ont été ou sont toujours détenus dans ces camps. Certains ex-étudiants ouïghours en France ont également été internés dans des camps, où certains ont par la suite été soumis au travail forcé.
Des séjours à domicile mandatés par l’État ont également été mis en place suite à l’entrée en fonction de Chen Quanguo en tant que premier secrétaire du Parti communiste de la Région ouïghoure. Des cadres chinois sont envoyés habiter dans les foyers des Ouïghours depuis 2016 afin de les surveiller, dans le cadre de la campagne « Devenir une famille », qui s’inscrit dans le prolongement de la campagne « Rendre visite au peuple, bénéficier au peuple, rassembler les cœurs du peuple » initiée en 2014.
Cela provoque la rupture des liens familiaux. Des témoignages font état de viols et d’incitations à consommer de l’alcool et du porc. Cette politique encourage et force également à des mariages entre Chinois et Ouïghoures.
Une stratégie de prévention massive des naissances a également été mise en œuvre. Cette stratégie repose à la fois sur la stérilisation forcée (pose de dispositifs intra-utérins, avortement, stérilisation) d’un nombre extrêmement élevé de femmes ouïghoures en âge de procréer et sur l’internement des hommes ouïghours en âge de procréer.
En 2017, plus de 80% des stérilisations effectuées dans toute la Chine ont été réalisées en Région ouïghoure, dont la population constitue pourtant moins de 2 % de la population nationale. En conséquence, le taux de natalité des Ouïghours a drastiquement chuté dans la région : on constate une baisse d’environ 50 % des naissances entre 2017 et 2019.
Dans les deux préfectures du sud de la région où la quasi- totalité de la population est ouïghoure, cette chute s’élève à 84 %. On observe donc une volonté des autorités chinoises de détruire biologiquement la population ouïghoure, ce qui constitue l’un des principaux critères de la définition du génocide selon l’ONU.
À partir de 2017, un vaste réseau de pensionnats et d’orphelinats d’État a été construit dans la région afin de détenir des enfants ouïghours séparés de leur famille, en les forçant à suivre un programme d’éducation prodigué exclusivement en langue chinoise (mandarin).
En 2017, les statistiques officielles chinoises faisaient état de 497 800 enfants en orphelinats ou pensionnats d’État dans la région. En 2019, ces mêmes statistiques indiquaient que les orphelinats et pensionnats d’État rassemblaient désormais 880 500 enfants, dont la majorité est très probablement ouïghoure, soit une augmentation de 76,9 % en deux ans. Ces chiffres témoignent d’un transfert forcé d’enfants.
On constate par ailleurs une volonté d’éradiquer la culture et l’identité ouïghoures: destruction de sites religieux (mosquées, cimetières musulmans, etc.), de l’architecture ouïghoure (maisons traditionnelles, quartier dit du « vieux Kachgar » à Kachgar, etc.), interdictions linguistiques, fin de l’éducation en langue ouïghoure. Les politiques allant dans ce sens sont multiples et largement documentées ; elles visent à siniser de force les Ouïghours.
Enfin, la politique menée par les autorités chinoises a prioritairement ciblé les intellectuels, universitaires, artistes, personnalités publiques, et les dirigeants communautaires ouïghours. Ces personnes ont été internées dans des camps, condamnées à l’internement à perpétuité, voire à la peine capitale.
Parmi eux, deux ex-présidents des universités travaillaient avec les universités françaises : le professeur Tashpolat Tiyip, docteur honoris causa de l’École pratiques des hautes études (EPHE) depuis 2008, et le professeur Halmurat Ghopur, qui travaillait étroitement avec l’Université de Bordeaux depuis une vingtaine d’années. Tous deux ont été arrêtés en 2017 et condamnés à la peine de mort avec deux ans de sursis. Les autorités chinoises n’ont à ce jour communiqué aucune nouvelle les concernant.
Une grande partie de la diaspora ouïghoure est coupée de tout contact avec la famille restant au pays depuis 2017, et subit ainsi la douleur de l’absence de lien familial. Nombre de jeunes étudiants ont dû arrêter leurs études faute de soutien financier de leur famille avec qui le lien est interrompu, l’envoi d’argent à l’étranger étant l’une des raisons d’enfermement des parents ouïghours.
À ces difficultés s’ajoute la violence des propos tenus sur Internet niant les violences subies et reprenant les discours officiels chinois. Les membres de la diaspora ouïghoure, y compris ceux installés en France, vivent ainsi dans une peur permanente.
L’ensemble de ces éléments, désormais largement documentés et présentés ici de façon non- exhaustive, témoignent d’une intention de détruire l’identité, les liens communautaires ouïghours, les possibilités de filiation et les liens entre générations, et plus généralement de détruire les Ouïghours, y compris biologiquement, en tant que groupe à part entière.
Ces violences politiques extrêmes et systématiques, organisées et planifiées par l’État chinois, sont constitutives d’un génocide. Un rapport du Newlines Institute for Strategy and Policy, auquel plusieurs dizaines d’experts en droit international ainsi qu’en études ouïghoures et chinoises ont contribué, analyse par ailleurs les violations par la République populaire de Chine de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide de 1948.
Les violences génocidaires et les autres violences massives et systématiques qui ne relèvent pas de cette convention, notamment la surveillance généralisée ou encore les intimidations envers la diaspora ouïghoure, contreviennent également au Statut de Rome dont la République populaire de Chine est signataire. Ces violences s’apparentent à des « crimes contre l’humanité » et doivent être condamnées comme telles.
Il est donc particulièrement urgent que la France reconnaisse et condamne le processus génocidaire ainsi que les crimes contre l’humanité engagés par la République populaire de Chine et intervienne auprès de la communauté internationale et du Gouvernement chinois pour que cessent ces crimes et pour que les libertés fondamentales des Ouïghours soient respectées, au nom du respect des droits humains. Nous reconnaissons les crimes contre l’humanité et le génocide perpétrés à l’encontre des Ouïghours, et appelons le Gouvernement français à les reconnaître officiellement ainsi qu’à agir en conséquence.
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Excellent et nécessaire rappel historique de la question Ouïghour, un peuple qui a eu son autonomie et qui est écrasé par le régime chinois.
Pour une fois, l’Assemblée Nationale n’a pas tergiversé.