Retrouvez ma tribune sur les droits audiovisuels du sport parue dans « le Monde » en date du 31 décembre 2021 dans laquelle je m’inquiète de la privatisation des grandes compétitions sportives par des intérêts privés qui captent le « bien commun » et propose un nouveau modèle.
« Le modèle sportif européen est aujourd’hui percuté par deux grandes menaces. La première est celle d’une privatisation progressive des grandes compétitions sportives continentales par des intérêts privés à l’œuvre dans de nombreuses disciplines individuelles ou collectives, à l’instar de la récente tentative de créer une « Super Ligue » en Europe, à l’initiative de quelques clubs de football parmi les plus riches.
La seconde menace est celle de l’accaparement des grandes compétitions ou événements sportifs internationaux par les grandes multinationales (Warner, Discovery, MGM, Amazon, Google) à la force de frappe financière considérable, ou des fonds d’investissement souverains à la main d’Etats aux moyens illimités qui n’hésitent pas à instrumentaliser le sport pour en faire une vitrine politique ou une « arme diplomatique ».
Ces tentatives de captation du « bien commun » de l’organisation des grandes compétitions sportives et, plus largement, de prédation financière du sport sont très préoccupantes car avec elles font peser, par leur tendance inflationniste, un risque de disparition des valeurs universelles liées au modèle sportif européen fondé sur la solidarité, la durabilité, l’inclusion et qui repose sur une compétition ouverte et équitable.
Cette offensive mortifère doit absolument être stoppée sur un plan politique par les Etats de l’Union européenne et par les instances du mouvement sportif international, en particulier pour protéger la spécificité de notre modèle européen : système pyramidal de montées et descentes des clubs dans les ligues, accueil, détection, formation et protection des jeunes joueurs – formés localement, à l’opposé du modèle des ligues fermées.
« Bien essentiel »
La crise sanitaire en cours a montré à quel point le sport est un « bien essentiel » pour nos sociétés. Ses conséquences économiques, financières et sociétales dramatiques que nous n’avons pas fini de mesurer auraient dû faire l’effet d’un électrochoc pour les acteurs concernés : où sont passées aujourd’hui les promesses d’un « sport plus sobre, plus tempérant » ?
A défaut, la crise sanitaire a été un accélérateur et un révélateur d’une tendance préexistante pour le football professionnel français. La pérennité de son modèle économique n’est pas assurée, du fait du déséquilibre structurel d’exploitation des comptes, de l’inflation de la masse salariale, des effectifs professionnels pléthoriques, du manque d’attractivité des matchs de la Ligue 1, de la complexité de l’offre d’abonnement, de son prix élevé et de la difficulté d’accès qui pousse les consommateurs au piratage audiovisuel.
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Au-delà des enseignements à tirer du « fiasco Mediapro », le travail que nous avons réalisé au sein de la mission d’information parlementaire sur les droits audiovisuels du sport avec le rapporteur Cédric Roussel [député LRM des Alpes-Maritimes] a consisté à établir un juste équilibre entre les règles économiques de la concurrence et l’accessibilité au plus grand nombre du spectacle sportif. La concurrence dans le sport européen doit être aménagée par de nouveaux mécanismes de régulation, et l’accès au spectacle sportif doit être préservé dans sa diversité, avec l’objectif d’une plus grande visibilité de toutes les disciplines, notamment dans le sport féminin et les parasports.
Sécurisation et consolidation du montant des droits sportifs
Le premier enjeu est la sécurisation et la consolidation du montants des droits sportifs dans la durée pour donner de la visibilité à l’ensemble des acteurs concernés. La diversification de ces ressources propres aux clubs et leur pérennisation sont un enjeu essentiel pour sortir le football professionnel français de sa « télédépendance ».
En aval, c’est le financement du sport amateur qui est en jeu. Par l’intermédiaire de la taxe sur la retransmission audiovisuelle des événements sportifs, communément appelée taxe « Buffet » [du fait de son instauration par Marie-George Buffet, ministre de la jeunesse et des sports de 1997 à 2002 dans le gouvernement Jospin], le marché des droits sportifs contribue significativement au budget de l’Etat, et plus particulièrement à celui de son nouvel opérateur, l’Agence nationale du sport (ANS). La faillite de Mediapro a ainsi eu un impact significatif sur le financement du sport amateur dans notre pays.
Nous réaffirmons notre attachement au modèle de solidarité et de redistribution financière entre le sport professionnel et le sport amateur. Ce modèle doit être consolidé par l’augmentation régulière des taxes affectées au sport, comme la taxe Buffet et celles sur les paris sportifs, mais aussi par des mécanismes de solidarité au sein des fédérations, entre fédérations et ligues, entre sociétés sportives et associations, entre organisations privées et sport amateur. Améliorer la diversité audiovisuelle de toutes les disciplines, c’est susciter des vocations sportives. Plus de diffusion, c’est aussi plus de pratiquants potentiels.
Offrir de nouvelles fenêtres en clair
L’autre défi à relever est la quasi-éviction des diffusions télévisées « en clair », qui ne représentent plus que 5 % du volume de diffusion totale des événements sportifs. Nous devons offrir de nouvelles fenêtres en clair pour plus d’exposition des disciplines les moins médiatisées : en gratuit, en format numérique et via les nouvelles plates-formes OTT [Over-The-Top ou, en français, service par contournement, organisant l’accès à des contenus vidéo sur le Web sans faire appel aux opérateurs traditionnels de distribution].
Notre mission présente un nouveau modèle fondé sur le développement local des clubs et les jeunes sportifs, analyse le « fiasco Mediapro » et formule 28 recommandations pour renforcer la place du sport à la télévision et consolider durablement le financement de nos clubs et associations sportives. Parmi ces propositions :
1. Mettre en place un lot « d’un match en clair » par journée de championnat de Ligue 1, afin de soutenir l’exposition du football national et créer un lot « highlights » pour la diffusion en clair d’images de matchs de Ligue 1 et de Ligue 2 et d’images d’archives.
2. Mettre en place un service public audiovisuel minimum de diffusion du sport sur les chaînes publiques, et autoriser la publicité sur France Télévisions après 20 heures lors des retransmissions de manifestations sportives.
3. Actualiser le décret sur les événements sportifs d’importance majeure en ajoutant à la liste les Jeux paralympiques et avec un rééquilibrage en faveur du sport féminin.
4. Allonger la durée du premier contrat professionnel de trois à cinq ans afin de limiter le phénomène de la « fuite des talents ».
5. Limiter la masse salariale des clubs français à 60 % ou 70 % de leur budget total.
Régis Juanico, député (Génération.s) de la Loire, vice-président de la commission des affaires culturelles et de l’éducation à l’Assemblée nationale
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Bonjour,
j’aimerais que, un jour, soit rajouté : l’obligation faite au diffuseur de proposer une option pay-per-view de l’événement.
Je ne souhaite pas m’abonner à Canal en plus d’Amazon ; mais je voudrais pouvoir voir les matchs de mon équipe diffusés sur cette chaîne.
Bonne fin d’année.
FX