Semaine du 23 au 29 mai

La mise en oeuvre d’un revenu universel d’existence et la promotion de l’écologie sociale sont les deux réponses les plus adéquates pour surmonter les crises que nous traversons et assurer la relève de notre société.
L’alternative au statu quo ou au repli nationaliste sous le seul prétexte de reconstituer une souveraineté industrielle disparue, est l’écologie sociale. Il faudra engager une transition écologique et énergétique radicale au niveau européen et permettre le changement d’échelle de l’économie sociale et solidaire.
Mais le passage à une autre société plus tempérante, plus respectueuse des personnes et de l’ensemble du vivant suppose que nous changions aussi notre regard sur le travail.
Reconnaissons que notre société s’est lourdement trompée en préférant systématiquement les biens aux liens, la valeur économique à la valeur sociale. Dans plusieurs pays occidentaux, la proposition d’un revenu universel d’existence ou d’un revenu de base est réapparue avec la crise du Covid.
La réponse sociale française est insuffisante et reste arrimée aux cendres d’un monde qui se consume sous nos yeux. L’accès au chômage partiel est conditionnel et de surcroît réservé aux salariés. Il est loin de couvrir les besoins de tous, notamment des indépendants, dont la propagation de l’épidémie et les décisions de confinement du gouvernement ont brutalement réduit les revenus à néant.
Un revenu universel et inconditionnel réparerait cette injustice. Qui peut affirmer que d’autres crises sanitaires mondiales liées aux conséquences écologiques du néolibéralisme n’auront pas lieu à court terme ?
S’il faut bien sûr prévenir ces crises en reconstituant une réponse sanitaire efficace, il faut nous prémunir de leurs conséquences économiques et sociales tragiques. Le revenu universel et inconditionnel est l’antidote social à la répétition de ces crises sanitaires. Il est enfin un outil incomparable d’émancipation.
On peut aujourd’hui avoir un emploi et un salaire sans vivre décemment, sans être véritablement libre ni maître de son destin. En libérant chacun d’une dépendance exclusive au revenu qu’il tire de l’emploi, le revenu universel donne une capacité de négociation et de choix à chaque individu. En ce sens, il permet l’exercice d’une citoyenneté intégrale, y compris dans l’ordre économique.
L’émancipation sociale passe par cette pratique individuelle de la liberté. Nous ne fabriquerons pas de société plus coopérative, moins égoïste et moins cupide sans donner davantage d’autonomie et de liberté à chaque citoyen.
Benoît Hamon a fondé le mouvement Génération.s. Ancien ministre délégué à l’économie sociale et solidaire et à la consommation (2012-2014), puis ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche (2014), il a été le candidat du Parti socialiste à l’élection présidentielle de 2017.
Benoît Hamon : « Le temps du revenu universel est venu » (Nouvel Observateur)
En retrait de la vie politique depuis dix-huit mois, Benoît Hamon revient avec un livre, « Ce qu’il faut de courage. Plaidoyer pour le revenu universel », qui sort ce mercredi 28 octobre. Islamisme, sociale-écologie, union de la gauche… l’ex-candidat à la présidentielle rompt le silence.
Par Cécile Amar
Dans « Ce qu’il faut de courage. Plaidoyer pour le revenu universel », en librairie ce mercredi, l’ancien candidat du Parti socialiste à l’élection présidentielle de 2017 reprend l’idée phare de son programme à l’époque et insiste sur la nécessité d’avoir « une pensée de justice sociale ».
Vous avez quitté la politique après les européennes [la liste Générations qu’il conduisait avait obtenu 3,3 %], pourquoi revenir dans le débat public avec ce livre ?
Je reviens avec un plaidoyer pour le revenu universel. Je reviens dans le débat public parce que face au changement civilisationnel nécessaire, face à la nouvelle donne climatique, il faut une pensée de justice sociale. Pendant la campagne présidentielle, j’ai bien vu que les plus modestes, ceux dont le revenu universel pouvait changer la vie, n’étaient pas convaincus. J’ai voulu comprendre leur hostilité et lever leurs doutes.
Votre livre est solide, dense, comme si ne plus faire de politique vous avait été bénéfique. Faut-il quitter la politique pour penser ?
Pas forcément, j’ai creusé des sujets que j’avais mis dans le débat politique, j’ai creusé notamment la déshumanisation de nos sociétés. J’ai essayé de renouer avec un grand récit émancipateur, qui manque. Même le récit écolo est fondé sur les peurs, sur l’idée que le monde va s’effondrer. J’ai pris le temps de lire, de relire.
J’ai découvert des auteurs que je ne connaissais pas, comme Günther Anders et son « Obsolescence de l’homme ». Je ne voulais pas écrire un livre de règlement de compte. J’ai écrit sans amertume, avec le recul du temps. En grec comme en hébreu, la crise c’est l’accouchement. La campagne présidentielle m’a mis en pleine lumière ; j’accouchais d’une pensée que je trouvais cohérente et je découvrais que je coupais les ponts avec le parti auquel j’appartenais depuis des années. C’était un peu ma sortie d’Egypte ! J’avais besoin d’écrire.
Vous avez manifesté place de la République après l’assassinat de Samuel Paty. Les profs ont-ils été laissés tout seuls face à l’islamisme ?
J’ai été ministre de l’Education nationale. Enseigner la liberté d’expression et le droit au blasphème, c’est enseigner la radicalité sublime des Lumières : vouloir libérer l’homme de toutes les chaînes qui entravent sa liberté d’expression et sa liberté de conscience. La laïcité, c’est d’abord l’émancipation. Quelle tâche incroyablement difficile quand l’école est assaillie par les obscurantismes de toute sorte, l’islamisme radical en tête, les thèses complotistes amplifiées par des réseaux sociaux qui propagent 24 heures sur 24 la haine de la différence.
Quelle mission incroyablement difficile pour un enseignant que de transmettre ces principes quand la République ne sait même plus assurer ses missions de base les plus simples en dehors de l’école : la justice sociale, l’égalité des conditions, la pratique de la liberté.
La République perdra encore la prochaine bataille si elle ne redevient pas concrète et continue à mépriser l’instrument par lequel elle a longtemps réalisé sa promesse : l’Etat-providence. Je veux la République partout. Et qu’elle soit implacable sur le plan judiciaire quand elle doit mettre hors d’état de nuire ceux qui veulent sa chute. Mais qu’elle soit juste aussi.
On demande aux enseignants de transmettre les vertus républicaines mais à l’extérieur des grilles du collège ou du lycée, les élèves retrouvent un pays où sévissent les inégalités, la contrainte, le déterminisme social et les discriminations. L’école de la République est interrogée sur le sens de sa mission quand la hiérarchie sociale reste immuable d’une génération à l’autre. Il ne faut pas laisser les professeurs seuls « tout court » face à l’immensité des problèmes sociaux dont ils héritent dans leur salle de classe.
Vous avez manifesté avec Jean-Luc Mélenchon le 10 novembre 2019 contre l’islamophobie, à l’appel notamment de plusieurs élus de gauche, de la CGT et du Collectif contre l’Islamophobie en France (CCIF). Que répondez-vous à ceux qui accusent une partie de la gauche d’avoir été trop complaisante avec l’islamisme ?
J’ai été de toutes les batailles contre les racismes et l’antisémitisme. Je ne sélectionne pas les bonnes et les mauvaises victimes du racisme. La République doit, tout à la fois, saisir son glaive quand des islamistes prétendent faire primer la loi divine sur la loi du peuple et protéger les citoyens français musulmans quand ils sont humiliés en raison de leur religion ou de leur culture. Cet équilibre est dur à tenir mais il n’est pas d’autre choix. Il faut impérativement nous retrouver.
Le CCIF est-il vraiment le « cheval de Troie » de l’islamisme ?
Le débat public ne résonne que des trompettes lugubres qui accompagnent les bannissements, fatwas et condamnations à l’exil en tout genre. Le terrorisme islamiste est un cauchemar qui ne doit pas avoir raison de notre unité. Plus ce cauchemar dure, plus les gouvernements y répondent par des restrictions de libertés individuelles et publiques, c’est-à-dire un recul des principes républicains. Les terroristes gagnent deux fois, parce qu’ils se moquent de ces restrictions et parce qu’elles frappent tous les citoyens et érodent ainsi la confiance dans la République. On sait cette stratégie inefficace. Je la crois très dangereuse.
Vous décrivez un monde noir et vous dites écrire pour « dissiper les ombres et redécouvrir l’horizon d’une vie bonne ».
J’essaie d’être lucide. On a tous les signes de ce que pourrait être le basculement vers une société autoritaire, raciste. Je voulais prévenir : on sera en face. J’ai aussi voulu dire à la gauche et à l’écologie : on est un peu court, notamment sur la question sociale.
Cette question sociale est au cœur de votre livre. Pour vous, la jambe sociale du projet écologique, c’est le revenu universel ?
Oui, le temps du revenu universel est venu. Je ne suis pas pionnier et on n’est pas les seuls.
Thomas Paine développait déjà au XVIII siècle l’idée qu’on naît riche de l’héritage de toutes les générations qui nous ont précédés et que le revenu universel est la contrepartie au partage inégal des richesses qui s’est opéré depuis des générations. Le revenu universel donne à chaque individu de l’autonomie. Il modifie la hiérarchie du pouvoir. Et c’est aussi l’autre facette d’un projet écologique.
Les gens doivent avoir le temps de changer leur comportement. Aujourd’hui, sans modération salariale, les gens consomment à bas prix, ils achètent de l’alimentation de merde. Ce modèle-là est anti-écolo. Pour en changer, il faut pratiquer le juste prix.
Vous proposez de donner de 750 euros à 1 000 euros à chacun par mois.
Pour vous, c’est plus qu’une mesure financière, c’est quasiment une philosophie ?
Oui, c’est un changement civilisationnel. Les Grecs parlaient de skholè. Il s’agissait d’une suspension du temps au milieu d’une vie affairée, un Etat où l’on se consacrait librement et gratuitement à des activités épanouissantes. Pour moi, c’est l’antidote à une société déshumanisée. Le revenu universel donne du temps, de l’argent, de la liberté.
On connaît le « salaire de la peur », pour vous, il est le « salaire du bonheur » ?
Il l’autorise à nouveau. Cela rouvre la possibilité du bonheur. Chacun fera ce qu’il voudra des 750 euros ou 1 000 euros mensuels qu’il touchera. Notre travail, c’est d’ouvrir à nouveau le champ du possible. Je me souviens d’une rencontre avec une ancienne aide-soignante qui avait travaillé en Ehpad, elle était mère célibataire et vivait des minimas sociaux.
Je lui avais demandé quelle première mesure elle prendrait si elle était élue présidente de la République. Elle m’avait dit : « Je baisserais votre salaire. » Elle savait que ça ne changerait pas sa vie, elle ne pensait pas à gagner plus. Elle m’avait dit : « Ça vous fera mal. »
Pour comprendre le revenu universel, il faut dissocier le travail et l’emploi…
Oui, seule une partie de notre travail est rémunérée, celle de l’emploi. Le travail bénévole, le travail domestique, sont gratuits. Le revenu universel pose le principe qu’on travaille tout le temps et que ce travail appelle une contrepartie. Pendant le confinement, les gens ont réalisé qu’ils travaillaient sans cesse. Beaucoup ont cumulé le télétravail, l’école à la maison, le travail domestique. Un dirigeant syndical m’a dit « en fait, on dormait au bureau ».
Cela a accéléré la prise de conscience. Toutes les études (au Canada, en Finlande) montrent que le revenu universel n’incite pas à la paresse. Faites le test autour de vous : qui arrêtera de travailler en échange de 750 euros par mois ?
En 2017, on n’avait jamais vraiment compris comment cela fonctionnait. Dans le livre, vous expliquez comment il serait financé et mis en place en trois étapes…
On commencerait par donner un revenu universel à tous les jeunes de 18 à 25 ans. Cela coûterait 46 milliards (dont il faudrait enlever certaines aides données aujourd’hui aux jeunes). Puis on donnerait 300 euros par mois à chaque enfant (200 euros pour les parents et 100 euros que l’enfant toucherait à ses 18 ans). Cela coûterait 52 milliards (dont il faudrait enlever les aides directes aux familles versées actuellement).
Cela soulagerait nombre de parents. Enfin, dans un dernier temps, il serait versé à tout le monde. Je récuse le calcul sommaire 750 x12x 67 millions d’habitants soit 603 milliards d’euros qui inclut les étrangers et attribue aux enfants la même somme qu’aux adultes. Je sais aussi qu’à fiscalité constante, il n’y a pas de solution de financement. Il faut donc redistribuer différemment. Je donne quelques pistes : la taxe sur les ressources naturelles, celle sur les robots, celle sur les transactions financières, une réforme de la taxe foncière, de nouvelles tranches d’impôts sur le revenu….Rien n’est impossible. A nous de choisir.
Avez-vous sévèrement perdu en 2017 |6,35 %, NDLR] à cause du revenu universel ?
Je n’ai pas perdu à cause du revenu universel. Ce fut un ingrédient, c’était trop décalé pour la social-démocratie. J’assume tout de cette défaite. Je reconnais des erreurs stratégiques mais je ne suis pas aveugle. La nature a été bonne avec moi : je ne suis pas rancunier. La défaite venait de plus loin. Je ne veux pas perdre de temps à faire l’inventaire du quinquennat Hollande. Je trouvais Hollande intelligent, drôle.
Mais de la loi travail à la déchéance de la nationalité, l’absence totale d’ambition sociale, ce président qui parlait beaucoup aux journalistes a fait tomber le pilier de l’égalité. Un scientifique m’avait demandé si je connaissais l’anagramme de Parti socialiste : « capitaliste rosi ». C’est exactement ce que nous étions devenus. Macron a levé l’imposture qu’on avait contribué à entretenir.
Emmanuel Macron gouverne avec des gens de droite et de gauche, certains que vous avez bien connus au PS…
Ceux de droite ont changé de parti, mais pas de camp. Et ils s’éclatent au pouvoir. Les autres ont changé de camp et de parti. Comment peuvent-ils défendre la suppression de postes de fonctionnaires, la stigmatisation des pauvres ? C’est sans excuses et sans limites.
Vous plaidez pour une candidature commune de gauche en 2022 sans inquisition ni liste noire préalable ?
Oui. Ce peut être Mélenchon, un(e) écolo, un(e) socialiste, ou un(e) autre. Donnez-le moi ! Je veux qu’on gagne. Chacun est replié sur son territoire. Peut-être a-t-on besoin de quelqu’un qui soit différent, extraterritorial en quelque sorte. Personnellement, je m’investis en coulisse. Rien ne me semble insurmontable, même si aujourd’hui une candidature commune n’est hélas pas le plus probable.
Ce candidat, ce peut être vous ?
Non, je ne peux pas. Je suis une part de l’histoire. Je préfère ne pas faire mon cinéma. Mais si tous me disent « on veut que ce soit toi, le candidat unique », je réfléchirai ! Il faut qu’on se mette autour d’une table, Jean-Luc Mélenchon, des écolos, des socialistes, des syndicalistes. Cette causerie doit avoir lieu avant 2022. Le simple fait de réunir tout le monde autour d’une candidature unique créerait de l’espoir et il n’y aurait plus de plafond. Si tous s’agrègent, ça peut même être irrésistible.
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