J’ai signé, avec plus de 150 élus, artistes, spécialistes et citoyens, une tribune parue ce dimanche 24 mai dans Libération, appelant à inscrire la dimension temporelle dans les futures politiques publiques.
L’organisation temporelle de notre quotidien évolue, surtout en contexte de crise. Lire la tribune en ligne
Le texte de la Tribune :
Dans le monde d’avant Covid 19, le rapport au temps des citoyens était marqué par un double ressenti : celui d’une accélération non contrôlée des rythmes de vie et celui d’une pénurie temporelle.
Les causes en étaient connues, telle l’intrusion croissante des technologies de l’information et de la communication dans nos vies personnelles et dans le fonctionnement des entreprises et des organisations.
Une des conséquences en était le brouillage des frontières entre travail et hors travail, lui-même accentué par la flexibilisation du temps de travail qui induit une perte des repères temporels, en amenant les individus à travailler durant les moments préalablement dévolus aux temps libre et personnel (le soir, la nuit, le dimanche etc.).
Y contribuait également l’organisation sociale du temps sur les territoires – qu’il s’agisse des horaires des services publics et marchands, des horaires scolaires ou des structures d’accueil de la petite enfance, de ceux des transports -, inadaptée à l’évolution des modes de vies induite par ces mutations. Inadaptation accentuée par la rétraction des services publics après plusieurs décennies d’assèchement de leurs moyens de fonctionner.
Ces externalités négatives d’une organisation temporelle marquée par l’accélération et la dérégulation des temps sociaux n’ont pas disparu avec la crise sanitaire survenue en 2020.
Certaines ont même été accentuées, en particulier le brouillage des frontières entre temps de travail, temps éducatifs, temps familiaux, temps de loisirs, tous circonscrits dans l’espace domestique pour une grande partie de la population.
D’autres, tout au moins pour les personnes confinées, ont disparu comme par enchantement, en particulier celles induites par les déplacements domicile-travail et leur articulation avec les autres obligations de la vie quotidienne.
A une société de la vitesse et des mobilités tous azimuts a pu succéder ou se superposer une société de la lenteur et de l’immobilité.
Ces inflexions soudaines dans nos modes de travailler, de nous déplacer, de consommer, d’habiter nourrissent des réflexions sur le « monde d’après », ou plutôt sur les manières de transiter vers celui-ci.
La dimension temporelle de sortie de la crise est manifeste : on encourage le télétravail, le lissage des heures de pointe dans les transports, de nouvelles configurations temporelles de présence dans les espaces de travail, mais également dans les commerces, les cafés, les restaurants, les espaces sportifs et socio-culturels.
Mais dans l’esprit de la plupart de ceux qui préconisent ces tactiques de sortie de crise, il ne s’agit là que de mesures transitoires avant de retrouver l’habitus du « monde d’avant » alors même qu’elles sont les éléments d’une stratégie plus globale de réinvention de nos manières de faire société qui a été expérimentée dans nombre de collectivités territoriales en France et dans d’autres pays européens.
En effet, au tournant du troisième millénaire, suivant l’exemple précurseur italien des « Tempi della città » apparu dès le début des années 1990, des initiatives locales ont vu le jour, essentiellement à l’échelle communale ou intercommunale mais parfois également à l’échelon régional comme en Italie, qui visaient à réduire les inégalités de genre et sociale en matière d’usage du temps et d’accès aux différentes ressources du territoire.
Ces politiques temporelles locales visaient une amélioration de la qualité de vie des citoyens à travers une meilleure gestion individuelle et collective des temporalités.
Elles ont encouragé des pratiques de travail plus adaptées aux contextes organisationnels et territoriaux, notamment la pratique du télétravail de préférence dans des tiers lieux.
Elles sont à l’origine de politiques de mobilité plus diversifiées et plus écologiques, comme par exemple le lissage des heures de pointe à travers l’étalement du début des heures de cours à l’université comme à Rennes, Poitiers ou Montpellier.
Ces initiatives relayées d’une collectivité l’autre visent désormais la désynchronisation des heures de début et de fin du travail des grands générateurs de mobilité qui supposent une concertation territoriale de proximité.
Ces politiques produisent un aménagement urbain favorisant l’usage des modes alternatifs à la voiture individuelle et des pratiques de mobilité diversifiées selon les caractéristiques du quartier.
La réussite de ces politiques temporelles locales repose sur l’observation fine des rythmes des territoires, sur l’adaptation de l’offre et des horaires des services publics et privés à ces rythmes de vie, sur l’articulation entre le temps professionnel et le temps personnel.
Elles s’appuient aussi sur trois orientations orchestrées par les « bureaux du temps »: transversalité entre les différents services de la collectivité locale, co-construction des projets avec les habitants, expérimentation réversible.
Ces initiatives sont malheureusement demeurées trop peu nombreuses dans un contexte marqué par l’accélération de la vie quotidienne et la recherche immédiate du profit.
Si elles apparaissent aujourd’hui constituer une source d’inspiration pour la sortie de crise, il nous semble que le moment paraît opportun pour leur conférer un nouvel élan à partir de deux concepts étroitement complémentaires qui apparaissent structurant des enjeux du développement économique, social et écologique de demain : le droit au temps et la transition sociale et écologique juste.
Le droit au temps a été légitimé comme objectif social en octobre 2010 par une résolution et une recommandation adressée aux gouvernements par la Chambre des Pouvoirs Locaux, au sein du Congrès des Pouvoirs Locaux et Régionaux du Conseil de L’Europe.
L’impératif d’une transition sociale et écologique face au défi du changement climatique constitue l’autre raison de donner un nouvel élan aux politiques temporelles locales.
Repenser la localisation de nos activités (production, travail, consommation…) dans un périmètre de distance-temps sur le modèle de la « ville du quart d’heure » permet de conforter la proximité tandis que la polyvalence des usages permettent de limiter le recours à de nouvelles infrastructures dispendieuses en ressources naturelles et financières.
Les signataires de cette tribune appellent les nouveaux élus municipaux et les candidats au second tour des élections municipales du 28 juin 2020 à inscrire la dimension temporelle dans l’ensemble des politiques publiques locales comme cela avait été le cas dans plusieurs municipalités en 2001, 2008 et 2014.
La liste complète des 153 signataires ici :
Jean Abiteboul, Maire de la Houssaye en Brie (77)
Nathalie Appéré, maire de Rennes
Mustafa Akalay Nasser, urbaniste, UPF Fes (Maroc)
Christel Alvergne, géographie, économiste, Dakar
Aurélien Azan Zielinski, chef d’orchestre, Villejuif
Nils Aziosmanoff, acteur culturel, Issy-les-Moulineaux
Maryvonne Arnaud, artiste, Grenoble
Pascal Auclair, géo-artiste, Grenoble
Montserrat Ballarín, Vice President of Social and Economic Development of the Area Metropolitana de Barcelona
Florence Bazzoli, conseillère municipal de Bressuire
Maurice Benayoun, artiste numérique, Hong Kong
Marie-Avril Berthet, géographe, Leeds (Grande-Bretagne)
Vanik Berberian, maire de Gargilesse-Dampierre
Laurent Bègues, psychologue, Grenoble
Sara Berbel, general manager at Barcelona City Hall
Sylvain Bigot, géographe, climatologue, Grenoble
Mario Boffi, sociologue, Milan (Italie)
Jean Yves Boulin, chercheur et sociologue, vice-président de Tempo Territorial
Christophe Bouton, Philosophe
Anne-Gaël Bilhaut, anthropologue, Quito (Equateur)
Greg Bisiaux, Bailleur social, Metz
Loïc Blondiaux, politiste, Paris
Sandra Bonfiglioli, architecte, Milan
Jocelyne Bougeard, maire-adjointe, Rennes
Christiane Bouchart, Vice-présidente de la Métropole Européenne de Lille, Tempo Territorial
Dominique Boulier, sociologue, Paris
Dominique Bourg, philosophe, Lausanne (Suisse)
Farès Boubakour, économiste, Alger (Algérie)
Lise Bourdeau-Lepage, géographe, Lyon
Eva Bouhnik, Urbaniste, Tempo Territorial
Patrick Braouzec, président EPT, Plaine Commune
Alain Cabantous, historien, Paris
Stéphanie Cagni, entrepreuneure
Patrick Chamoiseau, écrivain, Fort de France
Nicolas Chausson, Géographe-Urbaniste, Lyon
Annick Charlot, artiste chorégraphique, Lyon
Florent Cholat, géographe, Grenoble
Gilles Clément, Paysagiste, Paris
Matteo Colleoni, sociologue, Milan (Italie)
Dominique Crozat, géographe, Montpellier
Daniel Cueff, maire de Langouët
Luca Daconto, sociologue, Milan (Italie)
Alexandre Dan, acteur culturel, Angers
Fabrice Dalongeville, maire de Augé Saint Vincent (60)
Yolaine De Courson, députée de la Côte d’Or
Priscilla De Roo, économiste, urbaniste, Paris
Karine Dessale, Journaliste, Paris
François Deysson, maire de Villecerf (77)
Guillaume Drevon, géographe, Lausanne (Suisse)
Gérard-François Dumont, géographe, Paris
Alexis Durand-Jeanson – chercheur
Georges Federmann, Psychiatre, Strasbourg
Bernard Floris, sociologue, Grenoble
Olivier Frérot, ingénieur, Lyon
Didier Galet, président de Brie’nov
Christophe Gay, Forum vies mobiles
Philippe Gerber, géographe, Luxembourg
Emmanuele Giordano, géographe, Toulon
Christian Graff, biologiste du comportement, Grenoble
Maria Gravari Barbas, géographe, Paris
Sylvain Grisot, urbaniste, Nantes
Alain Guez, architecte, Paris
Gérome Guibert, sociologue, Paris
Luc Gwiazdzinski, géographe, Grenoble
Cyrille Hanappe, Architecte, Paris
Edmond Hervé, maire honoraire de Rennes
Janet Hetman, architecte et chercheure, Paris
Frédéric Hocquart, Adjoint au maire, Paris
Wenbo Hu, géographe, Grenoble
Arnaud Idelon, Critique d’art, Paris
Sébastien Jacquot, géographe, Le Mans
Alexandre Jardin, écrivain
Olivier Jacquin, sénateur de Meurthe-et-Moselle
Régis Juanico, député de la Loire
Daniel Kaplan, prospectiviste, Paris
Vincent Kaufmann, Sociologue, Lausanne (Suisse)
Katja Krüger, maire adjointe à Rennes et Présidente de Tempo territorial
Ariel Kyrou, chercheur d’imaginaires du futur
Fanny Lacroix et Jérôme Perdrix, « Des Communes et des Citoyens, engagez-vous ! »
Alain Lamour, Longpont-sur-Orge
Sylvie Landriève, Forum Vies Mobiles
Enzo Lesourd, philosophe, Grenoble
Sonia Lavadinho, anthropologue, Genève (Suisse)
Frédéric Landy, géographe, Pontdicherry (Inde)
Christine Leconte, architecte, Paris
Maud Le Floch, urbaniste, Tours
Yann Lheureux, danseur, chorégraphe, Montpellier
Eric Lenoir, paysagiste, Montholon
Yvan Lubraneski, maire de Les Molières (91)
Marco Maggioli, géographe, Milan (Italie)
Sandra Mallet, géographe-urbaniste, Reims
Reine Marcelis, Synergie Wallonie, Tempo Territorial
Laurent Matthey, géographe, Genève (Suisse)
Benjamin Mauduit, conseiller municipal, Nantes
Mohamed Metalsi, urbaniste, Paris
Marjolaine Meynier-Millefert, députée de l’Isère
Pascal Michon, Philosophe
Fabian Mohedano, promotor of Barcelona Time Use Initiative for a Healthy Society
Thibault Moulaert, sociologue, Grenoble
Lluisa Moret, President of the Area of ??Social Cohesion, Citizenship and Welfare, Barcelona
Carlos Moreno, Directeur scientifique Chaire ETI Entreprise,Paris
Philippe Mouillon, artiste plasticien, Grenoble
Abdellah Moussalih, urbaniste, Tetouan (Maroc)
Ulrich Mückenberger, juriste et politologue, Brême
Emmanuel Munch, urbaniste, Tempo territorial
Véronique Nahoum-Grappe, anthropologue, Paris
Philippe Naszalyi, président du Conseil Territorial de Santé de l’Essonne
Axel Othelet, sociologue, Nancy
Vincent Pacini, prospectiviste, Lyon
Vincent Panier, pdg de Base10
Thierry Paquot, philosophe, Choisy-le-roi
Luca Pattaroni, sociologue, Lausanne (Suisse)
Eric Piolle, maire, Grenoble
Jean-Yves Pineau. directeur des Localos
Philippe Pochet, politologue, Université Catholique de Louvain
Dominique Potier, député de Meurthe-et-Moselle
Benjamin Pradel, sociologue
Christian Proust, citoyen, Belfort
Franck Pupunat, co-animateur Mouvement Utopia
Gilles Rabin, économiste, Paris
Alain Renk, urbaniste, Grand Genève
Marion Roberts, urban design, Westminster (Grande-Bretagne)
Dominique Royoux, géographe, Poitiers, vice Président de Tempo territorial
Jérôme Saddier, président d’ESS France
Aymeric Seassau, adjoint au maire, Nantes
Catherine Spitz présidente de l’association « Ralentir Pour Vivre »
Will Straw, sciences de la communication, Montréal (Canada)
Philippe Thillay, directeur d’association, Rouen
Angelo Turco, géographe, Milan (Italie)
Thérèse Rabatel, adjointe au maire, Lyon
Anne-Charlotte RIEDEL, DGA, Mairie de Gradignan, member de Tempo territorial
Eric Schultz, maire-adjoint, Strasbourg, Tempo territorial
Alexis Serra, director of the Catalan Timetable Reform Office
Robert Shaw, géographe, Newcastle University (Grande Bretagne)
Olivier Soubeyran, géographe, Grenoble
Jo Spiegel, maire de Kingersheim
Paquette Sylvain, aménagement du territoire, Montreal (Canada)
Bernard Stiegler, Philosophe, Paris
Cédric Szabo, Directeur des maires ruraux de France
Denis Talledec, directeur fédération culturelle, Nantes
Olivier Turquin, géographe, Sisteron
Patrick Vassallo, maire-adjoint, Saint-Denis, Vice-président de Tempo Territorial
Mathilde Vanderrusten, formatrice, Lille
Boris Vallaud, député des Landes
Gilles Vernet , cinéaste
Jacques Verron, océanographe, Grenoble
Patrick Viveret, Philosophe
Chloé Vidal, géographe, Lyon
Philippe Vidal, géographe, Le Havre
Patrice Vuidel, intervenant-chercheur, ATEMIS, Pantin, Tempo Territorial
Martine Wonner, députée du Bas-Rhin
Jean-Jacques Wunenberger, philosophe, Lyon
Chris Younes, philosophe, Paris
Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.
Laisser un commentaire