La mise en œuvre d’un revenu universel d’existence et la promotion de l’écologie sociale sont les deux réponses les plus adéquates pour surmonter la crise due au Covid-19 et assurer la relève de la France. Retrouvez la Tribune de Benoit Hamon parue ce jour dans Le Monde.
Le texte de la Tribune :
Comment nommer correctement la période de bascule que nous traversons ? Pressentir que quelque chose de majeur va naitre des conséquences de cette crise du coronavirus ne nous éclaire pas pour autant sur le monde qui se prépare et l’influence que nous aurons sur lui. Et cela nous inquiète et nous déstabilise. Une maladie n’a pas de sens en soi. Sans surprise pourtant, les uns y verront un nouveau fléau annonciateur de la fin du monde, les conspirationnistes, une nouvelle preuve du complot mondial ourdi dans le dos des peuples, d’autres, la confirmation de l’effondrement global des sociétés humaines. S’il fallait quand même se risquer à l’allégorie, on pourrait y interpréter la réaction immunitaire d’une planète blessée et harcelée par l’activité humaine et l’hybris capitaliste. Mais c’est une parabole hasardeuse car la Nature ne se venge pas.
A continuer comme avant, la seule chose dont nous sommes certains c’est que ces crises seront toujours plus intenses et plus rapprochées les unes des autres. Le roi est nu. La première grande pandémie de ce siècle révèle le spectacle cruel, d’une « start up nation » sûre d’elle-même, incapable de stocker et produire une pièce de quelques centimètres carré de tissu indispensable pour protéger des millions vie à commencer par celles de ceux qui soignent tous les jours.
L’alternative au statu quo ou au repli nationaliste au prétexte seulement de reconstituer une souveraineté industrielle disparue, c’est l’écologie sociale. Il faut retrouver une souveraineté sanitaire nationale et européenne. Il faut réorienter les politiques publiques vers la « bonne santé » c’est à dire une amélioration globale de l’état de santé de la population et une réduction des inégalités en santé. Cela passe par la démarchandisation de l’offre de soin et de la protection sociale, la reconstruction de l’hôpital public et l’indispensable revalorisation des métiers et carrières des soignants. Cela oblige à viser l’excellence du soin tout autant que celle de la prévention grâce à l’éducation à la santé, à une lutte déterminée contre les perturbateurs endocriniens et toutes les formes de pollution, à des politiques de prises en charge des addictions et de réduction des causes de maladies chroniques. Il faudra engager une transition écologique et énergétique radicale à l’échelle du continent et permettre le changement d’échelle de l’économie sociale et solidaire. Toutes ces politiques n’ont de sens qu’à condition d’être pilotées par une puissance publique forte, nationale et européenne, adossée à des institutions démocratiques fondées sur l’intelligence collective, l’Etat de droit et la séparation des pouvoirs en lieu et place de la dérive autoritaire que l’on observe dans toute l’Europe.
Mais le passage à une autre société plus tempérante, plus respectueuse des personnes et de l’ensemble du vivant suppose que nous changions aussi notre regard sur le travail. Il faut reconnaitre que notre société s’est lourdement trompée en préférant systématiquement les biens aux liens, en donnant systématiquement plus d’importance à la valeur économique qu’à la valeur sociale. Qui ne voit pas l’absurdité d’un système qui demande à une infirmière d’être « rentable » en privilégiant les malades les plus « rentables » au nom d’une logique politique et financière qui a transformé l’hôpital de centre de soins en centre de coûts et de profits ?
La crise du Covid 19 accentue une réalité qui lui préexistait, le travail est de moins en moins corrélé à l’emploi et au salaire.Les personnels de santé travaillent sans mesurer leurs heures et ne comptent même plus les heures supplémentaires accumulées, non récupérées, non payées. Les réfugiés jusqu’ici habitués à connaitre le visage inflexible et soupçonneux de l’administration française dans l’accueil des étrangers sont soudain appelés à la rescousse pour prêter main forte aux agriculteurs pour travailler dans les champs. Des millions de travailleurs s’improvisent enseignants à domicile, télé-travaillent et se distraient comme ils peuvent au cours de journée qui mêlent sans qu’il devienne possible de les distinguer le travail et le non travail. Les héros de notre époque ne sont soudain plus les jeunes gens issus des grandes écoles, priés de devenir des millionnaires décomplexés mais une foule d’anonymes, payés entre un et deux SMIC, aides soignantes infirmières, éboueurs, caissières, logisticiens, chauffeurs-livreurs, fonctionnaires de catégorie B et C qui chaque jour, chaque nuit, se lèvent, travaillent, tombent malades pour nous transporter, nous nourrir, nous alimenter en énergie, en Internet, nous soigner et nous protéger. Ceux-là même dont les gouvernements successifs ont facilité le licenciement, dégradé les conditions de travail, bloqué l’évolution des salaires, retardé le départ à la retraite sont ceux qui tiennent le pays debout et que l’on envoie « à la guerre » en les payant jusqu’à présent, seulement de mots et d’applaudissements pour leur héroïsme ordinaire.
Dans plusieurs pays occidentaux, la proposition d’un revenu universel d’existence ou d‘un revenu de base réapparait avec la crise. L’Allemagne en débat. En Italie, la gauche reprend la proposition d’un revenu universel et inconditionnel de remplacement le temps de la quarantaine. L’Espagne l’étudie pour répondre à la tragédie sociale créée par l’épidémie. Le Canada s’y engage en créant une prestation d’urgence d’un montant de 2000 $ attribué – de droit – à toute personne privée d’emploi, confinée à domicile ou mobilisée auprès d’un malade. La réponse sociale française est insuffisante et reste arrimée aux cendres d’un monde qui se consume sous nos yeux. L’accès au chômage partiel est conditionnel et de surcroit réservé aux salariés. Il est loin de couvrir les besoins de tous ces travailleurs, notamment les indépendants, dont la propagation du Covid 19 et les décisions de confinement du gouvernement ont brutalement réduit les revenus à néant.
Un revenu universel et inconditionnel réparerait cette injustice. La force du revenu universel, c’est qu’il subsiste, quoi qu’il advienne, qu’il est toujours là quand une crise majeure survient. Qui peut affirmer que d’autres crises sanitaires mondiales liées aux conséquences écologiques du néolibéralisme n’auront pas lieu à court terme ? S’il faut bien sûr prévenir ces crises en reconstituant une réponse sanitaire efficace, il faut nous prémunir de leurs conséquences économiques et sociales tragiques. Le revenu universel et inconditionnel est l’antidote social à la répétition de ces crises sanitaires. Qu’il parait soudain encore plus ridicule le débat sur le financement du revenu universel d’existence quand le coût de cette crise engloutira des centaines de milliards d’euros pour peut-être ne rien changer aux fondamentaux d’un système économique prédateur pour l’humanité et l’ensemble du vivant ! Le revenu universel d’existence est enfin un outil incomparable d’émancipation. On peut aujourd’hui avoir un emploi et un salaire sans vivre décemment, sans être véritablement libre ni maitre de son destin. En libérant chacun d’une dépendance exclusive au revenu qu’il tire de l’emploi, Le revenu universel donne une capacité de négociation et de choix à chaque individu. En ce sens, le revenu universel d’existence permet l’exercice d’une citoyenneté intégrale y compris dans l’ordre économique. L’émancipation sociale passe par cette pratique individuelle de la liberté. Nous ne fabriquerons pas de société plus coopérative, moins égoïste et moins cupide sans donner davantage d’autonomie et de liberté à chaque citoyen. La crise accouchera d’un nouveau monde. La tentation de conserver l’ordre ancien quel qu’en soit le coût pour les libertés et des droits démocratique sera grande. Mais, là où croît le péril, croit aussi ce qui sauve, écrivait Hölderlin. Le revenu universel d’existence est parmi une série de ruptures radicales indispensables, la réponse pleine de réalisme et de confiance qu’espèrent de plus en plus nombreux, des millions de nos contemporains.
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comme j’ai regretté et regrette encore tous les jours qu’il ne soit pas aux commandes, en éspèrant qu’il sera candidat lui ou son frère aux prochaines élections présidentielles.
Très bon article qui mérite d’être largement diffusé pour une réflexion après la pandémie de ce que nous souhaitons comme société
Voilà un politique qui a pris la vraie mesure du problème. Cependant, je ne crois pas qu’il y aura un changement, ou ce sera à la marge (style créer une usine européenne pour fabriquer des masques).
Nos dirigeants n’envisagent pas de changer de logiciel.
c’est dès maintenant qu’il faut bien préparer le jour d’après, avec des décisions en rupture. Sinon, on repartira comme avant, en remettant le paquebot en route vers la falaise.