Eric Brunet : Bonjour Régis Juanico, pour ceux qui ne vous connaissent pas très bien, vous êtes gardien de but et co-sélectionneur de l’équipe de football des parlementaires, et vous êtes vous-même député socialiste.
Régis Juanico : Oui, député de la ville de Saint-Etienne, juste à côté de Geoffroy Guichard.
Eric Brunet : Si je vous ai demandé d’intervenir, c’est parce que vous avez réagi lors de l’interdiction de déplacement et d’entrée infligée aux supporters de Saint-Etienne, au stade Louis II, dans la principauté de Monaco, en marge du match Monaco/Saint-Etienne. Que s’était-il passé il y a quelques semaines ?
Régis Juanico : J’ai interpellé le Ministre de l’Intérieur Gérard Collomb car j’ai estimé que le déploiement des forces de l’ordre en termes de nombre et de coût financier était disproportionné ce jour-là, puisqu’on a déployé beaucoup de forces de l’ordre pour empêcher le déplacement des supporters de l’ASSE à Monaco, le 12 mai dernier. Il ne s’agissait pourtant pas d’un match à risques, et c’est bien ça le problème. Mais, ce même jour, il y avait le Grand Prix de Formule 1. Donc, il y a eu un premier arrêté du Prince de Monaco qui a interdit le déplacement des supporters stéphanois, et qui a été conforté par l’arrêté préfectoral.
Je pense que malheureusement, ce qui s’est passé sur place, c’est que certains supporters ont voulu y aller pour faire la démonstration qu’ils pouvaient s’y rendre, même s’ils ne voulaient pas entrer dans le stade. Ils n’avaient pas de signes distinctifs, mais on a pourtant déployé ce jour-là beaucoup plus de forces de l’ordre que prévu initialement, et on l’a fait avec un coût très important pour les finances publiques.
Et j’estime que, parfois, il y a des décisions préfectorales qui sont disproportionnées et qui manquent de discernement par rapport à des matchs véritablement à risques. Il y en a bien sûr, on l’a vu récemment avec Ajaccio/Le Havre par exemple, mais il y en a d’autres qui présentent moins de risques, et là-dessus il y a aujourd’hui un vrai problème car les préfets ne sont pas assez encadrés, par Bauveau et par le Ministère de l’Intérieur.
Eric Brunet : Est-ce que vous avez le sentiment, comme pour beaucoup d’associations de supporters, qu’interdire les déplacements de supporters ou les encadrer d’une manière drastique, devient un réflexe ? Qu’au moindre risque, on interdit ? Comme un bon vieux principe de précaution, adapté au foot.
Régis Juanico : Oui, c’est ça. On ouvre le parapluie, comme on dit dans le milieu administratif. C’est vrai que c’est une solution de facilité aujourd’hui pour un certain nombre de Préfets, qui n’ont pas envie de courir de risques et qui arbitrent entre les troubles à l’ordre public et les libertés fondamentales, systématiquement sur les questions d’ordre public.
Mais je souhaite bien évidemment que les matchs de foot restent une fête à laquelle on peut se rendre en famille. Et pour cela nous avons déjà un arsenal répressif qui permet de lutter contre le hooliganisme. Mais le hooliganisme n’est pas le supporterisme. Je souhaite avoir des stades qui ne sont pas aseptisés, ils doivent être animés et accessibles financièrement. Ça, c’est le combat pour un football populaire. Et donc je pense qu’aujourd’hui, il doit y avoir plus de dialogue entre les instances et associations de supporters et les pouvoirs publics. On a commencé à le faire en 2016 en créant une Instance Nationale du Supportérisme au Ministère des Sports.
On a créé un référent dans chaque club de Ligue 1 par rapport aux supporters, et on aurait aimé aller un peu plus loin sur un certain nombre de sujets : les déplacements, les tribunes debout qu’on va bientôt expérimenter dans certains stades, dont Geoffroy Guichard qui est candidat ou même Lens, tribunes qui permettent une animation plus importante dans les stades puisqu’aujourd’hui c’est interdit, il faut des places assises. Il y a également la question des fumigènes, qui est beaucoup plus difficile à traiter, mais il faut que ces questions là soient dans un dialogue entre les pouvoirs publics et les supporters.
Eric Brunet : Régis Juanico, j’ai au téléphone Thomas qui est un ancien hooligan du PSG, aujourd’hui apaisé qui me dit : « honnêtement, les plans anti-hooligans au PSG et ailleurs, c’était la vitrine. En réalité, tout se passait par derrière de la même façon qu’avant, ça n’a pas changé grand-chose. La réalité, c’est qu’on sert la vis, mais au fond rien ne change ». D’ailleurs, on l’a vu à Lyon pour la finale de l’Europa League, il y avait tous les fumigènes qu’on voulait, alors qu’Aulas avait prévenu et mis en place tous les filtrages pour empêcher ce genre de choses. Donc quand même, on se dit qu’il ne s’agit que de mots. On emmerde les supporters, et j’ai le sentiment qu’on n’arrive pas à changer grand-chose sur les questions de sécurité.
Régis Juanico : D’abord, il ne s’est pas passé grand-chose à part les fumigènes pendant le match OM-Atlético, mais il y avait 1250 policiers et gendarmes mobilisés et 1300 stadiers.
Eric Brunet : Mobilisés oui, mais pourquoi s’ils n’ont même pas été capables d’empêcher les fumigènes de rentrer ?
Régis Juanico : Je pense que la question des fumigènes est une question qui peut se discuter si elle est vraiment encadrée, dans des zones bien spécifiques. Mais ça c’est une discussion très difficile. Il y a par exemple des fumigènes qui ne sont pas à 800 ou 1000 degrés, il y en a aussi qui sont à 180 degrés.
Eric Brunet : Monsieur Juanico, dernière question car je sais que vous avez un rendez-vous après. Est-ce que finalement, nous n’avons pas des autorités préfectorales, des Préfets, qui jouent l’argument de la sécurité pour prendre des décisions qui les mettent dans le confort ? Que si on dit qu’on ne veut pas d’ennuis, c’est plus sécurisant que les supporters ne viennent pas ?
Là, vous parliez d’un Grand Prix de Formule 1 à Monaco, pensez-vous que le raisonnement était « j’ai déjà un Grand Prix de Formule 1, je ne vais pas en plus me taper les supporters de l’ASSE dans les rues de Monaco » ? Car on a l’impression que la personne qui prend la décision réagit comme ça.
Régis Juanico : Exactement, et ce que je demande au Ministère de l’Intérieur, c’est d’épauler plus les Préfets, ne pas les laisser seuls pour prendre ces décisions, qu’il y ait des lignes directrices pour qu’on apprécie vraiment, avec discernement et motivation juridique, quels sont les matchs véritablement à risques, parce qu’il y en a, il ne faut pas le nier. Et dans ces cas là, il faut prendre les mesures qui s’imposent. Et faire la différence avec les matchs qui ne présentent pas de difficultés, notamment de rapports entre les supporters. C’est simplement ce que je souhaite : qu’on ne laisse pas les Préfets prendre des mesures « arbitraires », parfois peu motivées, parce qu’ils veulent tout simplement se couvrir.
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