Madame la Présidente, Madame la Garde des Sceaux, Madame la Présidente et Rapporteure de la Commission des Lois, mes chers collègues,
Ces dernières années, ces derniers mois, mais aussi ces dernières semaines, un certain nombre d’affaires et de comportements individuels ont nourri la défiance, de plus en plus forte dans le pays, de nos concitoyens envers les élus qui les représentent. Quand on les interroge, 70 % des Français disent aujourd’hui ne pas avoir confiance dans les institutions démocratiques.
Toutefois, en matière de confiance dans l’action publique, nous ne partons pas de rien. Depuis le gouvernement de Michel Rocard en 1988, une quinzaine de textes de loi ont été adoptés, qui ont permis de mieux encadrer les règles concernant le financement des partis et des campagnes électorales, de mieux prévenir les conflits d’intérêts, de mieux lutter contre la corruption, la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière. Je pense en particulier à la loi de 2013 relative à la transparence de la vie publique, qui a créé la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique.
Des progrès restent à accomplir pour restaurer la confiance entre nos concitoyens et leurs élus – au fondement même de notre pacte démocratique –, à condition de ne pas rester au milieu du gué, de ne pas nous contenter de demi-mesures.
Avant même une nouvelle lecture du texte, la demande du groupe Nouvelle Gauche de renvoyer en commission le projet de loi organique pour la confiance dans la vie politique est motivée par une volonté d’améliorer le texte et d’aller plus loin en termes de transparence et d’exemplarité, afin de placer la vie politique à l’abri des intérêts financiers privés et des influences étrangères.
Le texte comporte des avancées, comme le renforcement des règles de transparence concernant le patrimoine du Président de la République ou les déclarations d’intérêts pour les candidats à l’élection présidentielle. D’autres avancées tiennent à la création d’un mécanisme visant à garantir le respect de leurs obligations fiscales par tous les parlementaires ou la suppression de la réserve ministérielle.
Cette suppression a finalement été votée en séance la semaine dernière, après que la rapporteure nous a expliqué en commission, pour motiver son avis de rejet de nos amendements de suppression, que l’adoption d’une telle mesure était strictement impossible, le Gouvernement devant impérativement modifier au préalable sa maquette budgétaire.
Certains reculs sont en revanche à regretter, auxquels le renvoi en commission nous permettrait de remédier.
Des engagements forts pris par l’actuel Président de la République lors de la campagne présidentielle font aujourd’hui l’objet de renoncements, du fait de l’inversion du calendrier, qui a fait passer l’examen des deux textes avant l’adoption d’une révision constitutionnelle.
Un de ces engagements concerne le projet de loi organique. Il s’agit de l’interdiction pour les parlementaires d’exercer des activités de conseil parallèlement à leur mandat.
Voici ce que disait le candidat Macron pendant la campagne présidentielle : « Quand on est en charge de légiférer, on ne peut pas avoir une activité de conseil ou dépendre financièrement d’un intérêt privé. Les contournements sont aujourd’hui trop simples et conduisent à des dérives. Aussi l’incompatibilité doit être la règle générale, hormis quelques exceptions. »
Cet engagement – l’interdiction d’exercer une activité de conseil – a été purement et simplement remisé et remplacé dans le projet de loi organique par la limitation à certaines activités, et pendant un certain délai, de l’incompatibilité avec le mandat parlementaire.
L’argument utilisé par le Gouvernement pendant les débats est le risque d’inconstitutionnalité. Or, comme l’a très justement fait remarquer mon collègue Olivier Dussopt en première lecture, cet argument soulève deux questions : le candidat devenu Président savait-il que ses promesses n’étaient pas constitutionnelles ? Et, si tel était le cas, pourquoi n’a-t-il pas proposé d’abord une réforme constitutionnelle, qu’il aurait pu annoncer devant le Congrès avant de nous demander d’examiner ces deux projets de loi ? On peut même se demander s’il n’y a pas finalement une volonté délibérée de ne pas mettre en œuvre l’intégralité des engagements présidentiels.
L’argument d’inconstitutionnalité a été utilisé pour repousser des amendements ou supprimer des dispositions adoptées par le Sénat à l’article 2 bis, qui visait à créer un registre des déports des membres du Gouvernement et à l’article 7 ter B, qui prévoyait qu’un décret en Conseil d’État définisse les conditions de prise en charge des frais de réception et de représentation des membres du Gouvernement. Ces dispositions concernaient donc chaque fois l’exécutif, madame la garde des sceaux.
S’agissant des articles 4 à 8 du projet de loi organique, relatifs à l’incompatibilité du mandat parlementaire avec certaines activités de conseil, nous avons présenté en séance plusieurs amendements, défendus avec conviction et précision par notre collègue Delphine Batho, visant à interdire à tout député d’exercer une fonction de conseil, de façon à mieux lutter contre des conflits d’intérêts potentiels.
Les nouvelles interdictions prévues en la matière par le projet de loi organique restent cosmétiques. Il sera dorénavant interdit à tout député d’exercer des fonctions de représentant d’intérêts pour le compte des sociétés, entreprises ou établissements mentionnés à l’article L.O. 146 du code électoral, c’est-à-dire financés par le public ou touchant des subventions publiques, alors que les sociétés privées – Bayer, Monsanto, Volkswagen – pourront continuer à rémunérer un parlementaire pour des prestations de conseil.
Autre incohérence relevée par de nombreux collègues : à la suite de l’adoption d’un amendement de notre groupe au projet de loi ordinaire, nos collaborateurs se verront désormais interdire d’exercer une activité de représentant d’intérêts, alors que leurs employeurs, les parlementaires, ne seront pas assujettis aux mêmes contraintes. Nous défendrons à nouveau dans la discussion un amendement visant à mettre fin à ce “deux poids, deux mesures” incompréhensible.
Le second intérêt de voter cette motion de renvoi en commission est de nous donner plus de temps pour mieux légiférer et aboutir à un texte de qualité. Il nous est impossible de travailler correctement sur un sujet fondamental dans un calendrier aussi resserré, compris entre le 12 juillet et le 9 août.
Il est totalement contre-productif de voter précipitamment des textes qui visent à restaurer la confiance dans la vie politique. Le sujet est suffisamment important pour que l’on donne au Parlement du temps pour bien légiférer.
Rien ne serait pire que de devoir adopter, dans les mois à venir, une nouvelle loi de moralisation parce que tel ou tel aurait fait l’objet d’une information judiciaire ou d’une enquête pour des délits ou agissements qui n’auraient pas été prévus dans ces textes. Cela alimenterait le soupçon de nos concitoyens quant au fait que les législations sont chaque fois de circonstance ou incomplètes.
À l’occasion de la première lecture du projet de loi organique, que ce soit en commission ou en séance, nous avons proposé des améliorations significatives qui ont été refusées.
Ainsi, notre collègue Dominique Potier a défendu l’idée de rendre le mandat parlementaire incompatible avec l’exercice d’une autre fonction professionnelle rémunérée, afin d’éviter les conflits d’intérêts et de favoriser l’exercice d’un mandat à plein temps au service de nos citoyens. Quand on exerce la fonction de député, on l’exerce à plein temps, voire à 200 %.
Nous regrettons, comme d’autres, que les principales dispositions des textes soient centrées exclusivement sur les parlementaires. Il nous a été refusé d’introduire des dispositions concernant les fonctionnaires, la haute fonction publique et, bien souvent, les membres du Gouvernement. Par ailleurs, les deux textes ne contiennent quasiment aucune disposition relative aux élus locaux et aux collectivités territoriales.
Ce texte à fini par devenir un texte de suspicion à l’égard des parlementaires qui nous interroge clairement sur le rapport que veut entretenir l’exécutif avec le Parlement.
J’en viens à la suppression de la réserve parlementaire, qui s’est révélée, in fine, le seul point de désaccord, au sein de la commission mixte paritaire, sur le projet de loi organique. La sagesse n’aurait-elle pas consisté à sortir du projet de loi organique cette disposition pour se donner le temps de la réflexion et en discuter au moment approprié, c’est-à-dire dans le cadre du débat relatif au projet de loi de finances ?
J’ai écouté attentivement les arguments de Mme la garde des sceaux. On peut se demander si la suppression de la réserve parlementaire passera le cap du Conseil constitutionnel, s’agissant d’une disposition relevant exclusivement du projet de loi de finances. En supprimant dès maintenant la réserve parlementaire, ne mettons-nous pas la charrue avant les bœufs ?
Rappelons à cet égard qu’un groupe de travail sur l’évolution de la réserve parlementaire vient d’être mis en place par la commission des finances de l’Assemblée nationale et que le Sénat a fait ses propres propositions. Par ailleurs, notre collègue Valérie Rabault a déposé un certain nombre d’amendements qui visent à améliorer le dispositif.
Notre groupe n’est pas défavorable à une évolution de la réserve parlementaire.
Celle-ci porte très mal son nom, d’ailleurs, puisqu’il sous-entend que nous disposerions d’une cagnotte personnelle, distribuée sans aucun contrôle aux communes et aux associations, alors qu’il ne s’agit ni plus ni moins que d’un fléchage de subventions en bonne et due forme sollicitées auprès des ministères compétents.
Lors de la précédente législature, nous avons fait progresser ce dispositif dans le sens d’une plus grande transparence, grâce à la publicité obligatoire, et d’une égalité renforcée. Il faut continuer. Nous avons d’ailleurs défendu, par la voix de Cécile Untermaier, de nouvelles améliorations, de façon à mieux associer nos concitoyens aux choix d’affectation de la réserve parlementaire en circonscription, grâce à des jurys citoyens. Mais, là encore, cet amendement n’a pas été retenu.
La réserve parlementaire représente, si l’on additionne les montants versés par l’Assemblée nationale et le Sénat, près de 80 millions d’euros qui manqueront aux projets d’équipement et d’investissement des communes, alors même que le Gouvernement vient de décider, il y a quelques jours, d’opérer 300 millions d’euros de coupes budgétaires dans les dotations aux collectivités locales.
Je m’exprimerai ici en ma qualité d’ancien rapporteur spécial pour les crédits de la vie associative au sein de la commission des finances. Il manquera 40 millions d’euros aux associations, déjà fragilisées, dans certains cas, par des baisses de dotations de la part des collectivités territoriales.
Les associations, pour les trois quarts d’entre elles, reçoivent moins de 1 000 euros par an de subventions publiques ; 12 000 associations reçoivent des crédits au titre de la réserve parlementaire d’un montant moyen de 3 200 euros, mais, j’y insiste, il s’agit de subventions exceptionnelles, ponctuelles, et non reconductibles.
Dès la rentrée, mes chers collègues de la majorité, vous devrez expliquer aux élus des communes de votre circonscription, aux bénévoles des associations – ils sont 16 millions en France –, notamment dans le domaine de la solidarité, dans les secteurs culturels et sportifs – qui sont les premiers concernés – qu’ils n’auront plus, du fait de votre vote, la possibilité de solliciter des aides financières exceptionnelles.
Nous sommes des représentants de la nation – c’est ce qui fait tout l’intérêt de notre mandat –, mais aussi des députés élus au suffrage universel direct dans des circonscriptions, des territoires, ce qui nous confère une légitimité démocratique locale très forte, beaucoup plus forte que celle d’autres élus locaux qui, eux, sont parfois élus au scrutin de liste.
Du fait de cette loi, nous deviendrions les seuls élus, au niveau local – alors que nous disposons, je le répète, d’une légitimité très forte – à ne disposer d’aucun levier d’action en faveur des communes et des associations.
À l’évidence, cet ancrage territorial des députés est de plus en plus contesté. C’est d’autant plus regrettable que la réforme constitutionnelle annoncée par le Président de la République conduira à faire coexister deux types de députés : tandis que certains seront élus à la proportionnelle, sans ancrage territorial, d’autres seront élus au suffrage uninominal dans des circonscriptions qui, par voie de conséquence, seront beaucoup plus vastes, puisqu’elles compteront, en moyenne, entre 250 000 et 300 000 habitants.
Si le Gouvernement veut, à terme, supprimer totalement l’ancrage territorial des députés, qu’il le dise et qu’il l’assume, mais ce n’est pas notre choix.
En conclusion, je voudrais vous appeler à nous laisser, à nous aussi, le temps de la pédagogie et du travail, en renvoyant ce texte en commission des lois, afin de le compléter. Je sais que la démarche peut paraître un peu surprenante en nouvelle lecture, mais nous pensons que les engagements pris devant les Français doivent être pleinement tenus.
Le débat trop rapide, pour ne pas dire précipité, le calendrier inversé, qui nuit à l’ambition de votre texte, le manque d’ambition de certaines de ses dispositions, sont les raisons pour lesquelles le groupe Nouvelle Gauche appelle l’ensemble des députés à adopter cette motion de renvoi en commission, et, partant, à laisser au Parlement le temps de bien légiférer.
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