Coqueluche des médias, Benoît Hamon est l’un des “jeunes” qui montent au sein du Parti socialiste. Porte-parole du PS durant les législatives, son nom est de plus en plus cité pour prendre la succession de François Hollande. Pour le JDD.fr, ce cofondateur du NPS, tenant d’une ligne à gauche, a accepté de faire le bilan de La Rochelle et de se projeter dans l’avenir.
Propos recueillis par Maud PIERRON, à La Rochelle
Au bout de ces trois jours, quel bilan tirez-vous de La Rochelle ?
Finalement, cela a été un rassemblement inoffensif, dans le sens où l’on nous promettait le pire. On a vu des députés socialistes attachés à se remettre au travail et ce n’est pas de la langue de bois. Avec un souci de la base au sommet du PS de la jouer collectif, d’inscrire sa contribution personnelle dans la construction d’une intelligence collective. C’est un peu triste de le dire mais c’est déjà une victoire, qui montre à quel point on pouvait être malades. C’est donc une bonne nouvelle. On a de nouveau envie de tirer dans le même sens. Combien de temps cela durera ? Je ne sais pas. Le plus longtemps possible j’espère. L’université de La Rochelle a été utile en cela, à un moment qui est celui du diagnostic. Je ne dis pas que les uns et les autres n’ont pas des idées très tranchées sur ce diagnostic mais il fallait commencer à retrouver cette capacité à se parler les uns et les autres sans s’accuser.
Pourquoi a-t-il fallu attendre La Rochelle pour retrouver cette possibilité ?
On est forcément toujours plus sérieux quand on a des invités extérieurs, qui par la qualité de leurs interventions, leurs réflexions, nous tirent vers le haut.
Les absents finalement, tel que Jean-Luc Mélenchon, qui a souvent le verbe haut, ont eu raison de s’abstenir ?
Je ne sais pas. S’il était venu, il aurait assisté à de beaux débats. Si tout le monde avait été là, vous auriez dit, ‘c’est toujours les mêmes tronches’ et quand ils ne sont pas là, vous dîtes ‘voilà, ils désertent’. Dans tous les cas, on était fautifs. Ils n’étaient pas là et ça s’est bien passé. A mon avis il n’y a pas de lien de cause à effet.
Que tout le monde travaille avec tout le monde est devenu le mot d’ordre au PS. Mais est-ce véritablement possible de faire travailler ensemble les courants ?
D’une certaine manière, cela existe déjà. A notre modeste étage, on s’est réunis, nous les gens de la nouvelle génération, les 30-40 ans, entre strauss-kahniens, fabiusiens et membres du NPS. On a réussi à faire l’inventaire de nos désaccords et de nos accords. On s’est rencontrés avant l’été, on va le refaire à la rentrée, dans le but d’évacuer les préjugés que l’on peut avoir sur les avis des uns et des autres. On a évoqué la question sociale, démocratique, celle du marché, celle de l’Europe, de l’immigration, de la sécurité, afin de mesurer l’ampleur de ces désaccords. C’est un travail passionnant car il nous permet de faire le tri entre le bon grain et l’ivraie, de vérifier ce qui motive vraiment l’existence aujourd’hui des sensibilités au sein du PS. Car il y a des traditions politiques différentes, des cultures politiques différentes. Et en même temps on veut faire en sorte que les débats s’organisent autour des vraies lignes de clivages qui existent entre nous et pas sur les positions supposées d’untel.
Et vous n’effectuez pas ce travail avec les “royalistes” ?
Le “royalisme” est un objet politique non identifié. D’ailleurs, ce n’est pas encore un courant. Quand j’entends un Vincent Peillon, il ne dit pas forcément la même chose qu’un Julien Dray, et pourtant ils sont tous les deux “royalistes”. On peut discuter facilement avec les individus mais avec le groupe “royaliste”, c’est plus compliqué. On sait ce que Ségolène Royal pense mais quand certains de ses soutiens disent qu’ils ne sont pas d’accord avec ce qu’elle a proposé, cela devient complexe.
Maintenant que le diagnostic est posé, quelles sont les questions sur lesquelles il faut particulièrement travailler, voire trancher ?
La redistribution, sans aucun doute. Aujourd’hui, on a tendance à penser notre rôle comme ‘on n’aurait pas fait comme le gouvernement’, ce qui est bien. Sauf que si on revient au pouvoir dans cinq ans, tous les instruments auxquels on fait traditionnellement appel à gauche pour redistribuer la richesse, pour organiser les services publics, pour protéger les individus – que sont par exemple le service public, la sécurité sociale – seront encore plus dégradés demain qu’ils ne le sont aujourd’hui. Parce que les recettes fiscales ne cesseront de baisser, donc les capacités d’intervention de l’Etat seront encore plus faibles. Parce qu’en 2009, la directive Bolkestein aura été mise en oeuvre. Il faut penser la séquence actuelle ainsi: comment faire en sorte que les instruments de redistribution sociale pour lutter contre les inégalités sociales soient demain efficaces ? Ils devront faire appel à de nouveaux prélèvements, à de nouveaux financements. Ce sont des questions hyper lourdes. Pour moi, c’est cette question qui est la priorité et c’est sur celle-ci que nous aurons de gros débats.
Votre vision de la redistribution est très éloignée du donnant-donnant de Ségolène Royal…
Je crois qu’on a eu un tort durant cette campagne présidentielle, c’est d’insister sur la dénonciation de la société de l’assistanat. Dès lors que la gauche embraye sur ce discours-là, tenu par la droite, il y a effectivement plus de chance que les gens votent pour Nicolas Sarkozy. Evidemment qu’il y a des gens qui abusent du système. Mais si on ne comprend pas qu’aujourd’hui, ces abus sont instrumentalisés par les entreprises et le pouvoir politique en place pour remettre en cause ce système, on fait une erreur dramatique. De plus, cette dénonciation de la société de l’assistanat a eu une double conséquence: stigmatiser une population qui serait par définition parasite et contribuer à la remise en cause des mécanismes de solidarité de protection sociale. Tout ça pour dire quoi au final: il faut valoriser la responsabilité individuelle, la responsabilité de celui qui est assisté de s’en sortir seul, de celui qui est malade de payer une franchise pour la maladie. C’est un tort d’embrayer sur ce discours-là.
Un tort qui accompagne la droitisation de la société ?
C’est moins la droitisation de la société que la droitisation du PS. On a l’impression que sur un certain nombre de sujets, on donne le sentiment d’avoir été convaincus par les axiomes de l’adversaire. On ne donne pas spécialement l’impression de courir après la droite, mais on donne, à mon sens, le sentiment d’avoir perdu le fil de nos valeurs.
Certains souhaitent une ligne claire et affirmée du PS sur la social-démocratie. Vous applaudissez ?
Certains disent ‘allez, il faut que le PS abandonne sa prétendue exception et s’aligne sur les standards de la social-démocratie européenne’. Mais la social-démocratie européenne, si on regarde dans quel état elle est, elle dirige trois pays sur 27 (Grande-Bretagne, Italie, Portugal, ndlr), c’est une blague ou quoi ? On a perdu la présidentielle sur une ligne, justement, qui a provoqué de la confusion. Ce qui me frappe c’est la paresse des éditorialistes et des hommes politiques, qui se sentent obligés de répondre aux sommations de la pensée dominante à ce sujet-là. Moi, ça ne m’intéresse pas ces conneries.
Qu’est-ce qui vous intéresse ?
Je ne fais pas de la politique pour être dans le commentaire, je fais de la politique pour être en capacité d’avoir des instruments capables de transformer la société. Ces instruments sont en crise chez nous, mais aussi partout en Europe, ce qui justifie la crise de la social-démocratie européenne. Ce qui m’intéresse c’est prioritairement la reconstruction de ces instruments pour lutter efficacement contre ce que je considère être le creusement des inégalités.
Beaucoup vous voient comme le futur premier secrétaire, vous en pensez quoi ?
Ça fait chaud au coeur. Je ne suis pas insensible quand on évoque mon nom pour prendre la direction du PS français, le parti de Blum, de Mitterrand, ce n’est pas rien. Ça me touche mais le casting est important, on doit être une dizaine à être cités pour prendre le poste de premier secrétaire. Mais je pense que tout ça, c’est le feuilleton de l’été. Ce n’est pas amené à durer.
Imaginez-vous demain le PS comme un grand parti qui regrouperait toute la gauche, de la gauche centriste à la gauche antilibérale ?
Le PS doit rassembler la gauche et tous ceux qui s’en réclament. Si demain le MoDem dit: ‘Je me sens plus de gauche que de droite’, je leur dis ‘très bien, bienvenue’. Je pense que dans un premier temps il faudrait réfléchir à créer un mouvement ou une fédération de la gauche, dont l’objectif est de commencer à nous rapprocher dans l’opposition à la droite, car il faudra être nombreux, forts, solidaires. Et de préparer un processus de désignation d’un candidat de toute la gauche. Je suis assez favorable à des primaires à l’italienne ouvertes aux citoyens qui voudraient arbitrer et choisir ce candidat-là.
Les militants demandent une meilleure opposition. Vous estimez-vous audibles?
Peut-être pas. Mais on a bien fait notre boulot sur la TVA sociale, même après les législatives. On a été présents sur le paquet fiscal. On a été mal mais on monte en puissance. Je ne suis pas inquiet.
Tout le monde au sein du PS n’est pas d’accord sur la méthode pour s’opposer. Certain sont pour l’opposition frontale, d’autre la veulent raisonnée, comme Manuel Valls, qui estime pouvoir faire un bout de chemin sur certains sujets avec Nicolas Sarkozy. Quelle est votre position ?
Quand l’intérêt général le réclame, on sait être d’accord, il faut arrêter. Mais je suis pour une opposition résolue à une politique qui, jusqu’ici, est la plus réactionnaire qui soit. Il n’y a pas de chemin à faire ave ce gouvernement conservateur.
Pouvez-vous nous parler de votre club, ‘La Forge’, que vous avez créé?
C’est un think tank qu’on va lancer, avec des intellectuels, fin septembre. L’idée c’est de prendre au sérieux le combat de la gauche. De ne pas s’arrêter au travail d’opposition mais de préparer le réarmement théorique et pratique en perspective de 2012. C’est un instrument qui prépare la bataille idéologique et culturelle qu’on veut mener face à la droite. Il sera au service de toute la gauche. L’objectif n’est pas de sectariser la pensée mais bien de l’enrichir.