En tant qu’ancien parlementaire et membre du conseil d’administration de l’Observatoire de l’Ethique Publique, J’ai été auditionné par le comité national pour le renforcement de l’éthique et de la vie démocratique dans le sport présidé par Marie-George Buffet et Stéphane Diagana le 1er juin 2023.
Voici le texte de mon intervention devant les membres du comité qui rend ce jour ses conclusions à la Ministre des Sports et des Jeux Olympiques et Paralympiques :
Le trop plein d’argent dans le sport est en train de tuer le sport à petit feu.
Comme je l’ai rappelé dans l’avant-propos de notre rapport parlementaire avec Cédric Roussel sur les droits audiovisuels et le financement du sport en décembre 2021, le modèle sportif européen que nous défendons est aujourd’hui percuté par deux grandes menaces.
La première menace est celle d’une privatisation progressive des grandes compétitions sportives continentales par des intérêts privés à l’œuvre dans de nombreuses disciplines individuelles ou collectives à l’instar de la tentative récurrente de créer une « Super Ligue » lucrative (football, golf, …).
Les GAFAM et des grandes multinationales comme Warner?Discovery, MGM?Amazon ont une force de frappe considérable en termes d’acquisition financière de droits sportifs.
La seconde menace est celle de l’accaparement des grandes compétitions ou événements sportifs internationaux par des fonds d’investissement ou souverains à la main d’Etats aux moyens financiers colossaux qui n’hésitent pas à instrumentaliser le sport pour en faire une vitrine politique ou une « arme diplomatique » : Qatar, Arabie Saoudite qui capte aujourd’hui de nombreuses organisations de compétitions faute de concurrents capables de s’aligner.
Par exemple, la décision aberrante du Comité Olympique Asiatique de confier les jeux d’hiver 2029 à l’Arabie Saoudite.
Ces tentatives de captation du « bien commun » de l’organisation des grandes compétitions sportives et plus largement de prédation financière du sport sont très préoccupantes car avec elles font peser, par leur tendance inflationniste, un risque de disparition des valeurs universelles liées au modèle sportif européen que nous défendons.
Ce modèle est fondé sur la solidarité, la durabilité, l’inclusion et repose sur une compétition ouverte et équitable, avec des mécanismes concrets de régulation financière (salary cap, fair play financier, l’encadrement des jeux d’argent et de hasard) un système pyramidal de montées et descentes, l’accueil, la détection, la formation et protection des jeunes joueurs formés localement, mais aussi sur l’éthique et la transparence.
C’est à l’Union européenne de défendre politiquement ce modèle percuté de toutes parts par des intérêts financiers puissants. C’est le bon niveau pour agir : le Conseil de l’Europe travaille à l’élaboration d’une norme de certification ISO sur la bonne gouvernance des organisations sportives, voire à un sytème de notation éthique.
Plus les montants financiers en jeu dans le sport sont colossaux, plus les risques de corruption, de dopage, de manipulation des compétitions sportives, de matchs et de paris truqués sont fortes : des phénomènes qui prennent de l’ampleur. D’où l’intérêt là aussi des travaux de la plate-forme européenne de lutte conte les manipulations des compétitions sportives.
2. Dans ce contexte, la première chose que je voudrais souligner c’est que si nous voulons que les instances sportives nationales soient exemplaires sur le plan éthique, il faut que les instances internationales du sport donnent elles-mêmes l’exemple.
Les fédérations internationales sont plus ou moins exemplaires…
Le Comité International Olympique a fait des progrès notables avec les recommandations de l’agenda 20-20 puis 2020+5 depuis 2014, avec une plus grande transparence dans la gouvernance, un cahier des charges plus durable et soutenable des GESI comme les JOP.
Plus des fédérations internationales génèrent des profits considérables et se targuent de les redistribuer aux fédérations nationales ou continentales plus les risques de corruption et de clientélisme sont forts : par exemple avec l’attribution par la FIFA de l’organisation de la Coupe du Monde au Qatar en 2022.
Après sept ans d’enquête l’ancien vice-président tahitien de la FIFA, Reynald Temarii, a été mis en examen pour « corruption privée passive » dans le cadre de l’information judiciaire ouverte par le Parquet national financier sur l’attribution controversée du Mondial 2022 à l’émirat. Il existe aussi des ramifications de cette affaire du « Qatargate » au Parlement européen, avec une corruption avérée de plusieurs parlementaires.
D’où l’importance de renforcer par des instances indépendantes le contrôle des flux financiers du sport professionnel et de l’activité des agents sportifs, en particulier dans le cadre des missions des Directions Nationales de Contrôle et de Gestion (DNCG) qui contrôlent les finances des clubs professionnels.
Pourquoi ne pas renforcer le contrôle des investissements étrangers dans les clubs Français en rajoutant le sport professionnel à la liste des activités soumises à autorisation préalable ?
À ce jour, un investissement relève de la procédure d’autorisation si les activités de la société cible sont de nature à porter atteinte à l’ordre public, la sécurité publique ou aux intérêts de la défense nationale (article L.151-3 I a) du code monétaire et financier.
3. Déjà, la loi du 1er mars 2017 dite loi Braillard visant à préserver l’éthique du sport dans son titre 1 se voulait une réponse aux polémiques suscitées par les agissements de certains acteurs du mouvement sportif.
La loi prévoit l’obligation de l’établissement de chartes et la création de comités d’éthique et de déontologie pour les fédérations sportives : nous avions recensé une vingtaine de fédérations sans comité trois ans après l’entrée en vigueur de la loi et des codes éthiques succincts relevés dans certaines fédérations comme celle de Sports de Glace…
L’article L 141-3 du code du sport précise que « Le Comité national olympique et sportif français veille au respect de l’éthique et de la déontologie du sport définies dans une charte établie par lui. »
La 1ère charte date du 10 mai 2012 et depuis la loi du 2 mars visant à démocratiser du sport en France, une nouvelle charte d’éthique et de déontologie du sport Français a été adoptée par le CNOSF en juin 2022
L’article 17 de cette charte résume les enjeux d’éthique dans le monde sportif et ne fait aucun doute sur les questions de transparence : « Les dirigeants des organisations sportives exercent leurs fonctions en toute probité, intégrité, impartialité et transparence. Ils préviennent tout conflit d’intérêts. »
A l’époque nous n’avions pas pu auditionner les membres du comité de déontologie du CNOSF et mesurer l’exact portée de leur action. Je constate que depuis, c’est le rôle même du CNOSF qui est questionné par les fédérations sportives qui le composent aujourd’hui et pas seulement sur les questions d’éthique et de déontologie…
Deux problèmes se posent toutefois : selon les statuts du CNOSF (art 16), seule la présidence peut saisir le comité de déontologie dont la mission est de veiller au respect de la déontologie telle que définie dans la charte d’éthique et de déontologie du sport Français.
D’autre part, sur la composition des comités, le choix des membres relève pour l’essentiel de la compétence des instances exécutives des fédérations (décision du CA sur proposition du président) au risque de désignations discutables ou malencontreuses.
Nous avions proposé dans notre rapport de fixer par décret les catégories de personnes susceptibles d’être nommées au sein des comité d’éthique et de déontologie (mixité, ancien sportifs de haut-niveau…) avec une formation spécifique sur la prévention des violences sexuelles.
La loi du 1er mars contient d’autres avancées : l’obligation déclarative de patrimoine et d’intérêts à la HATVP. Ces procédures de contrôle concourent à l’exemplarité des responsables du mouvement sportif (CNOSF, fédérations, ligues professionnelles ANS…) et à la prévention des conflits d’intérêts
Nous avions proposé l’élargissement des obligation de déclarations aux responsables de DNCG (les « contrôleurs » qui doivent être eux-mêmes controlés).
En ce qui concerne la lutte contre les violences dans le sport : la loi « Braillard » permet de renforcer des obligations d’honorabilité des éducateurs et enseignants sportifs, à la suite de la loi « Lamour » de 2006. Ces obligations ont été élargies à l’ensemble des bénévoles encadrants et les membres des équipes dirigeantes des associations sportives, à compter du 1er janvier 2021.
Dans cette perspective, nous avions recommandé un renforcement des moyens humains de la Direction des Sports, ainsi que des délégations régionales académiques à la jeunesse, à l’engagement et au sport (les DRAJES).
L’instruction des enquêtes relatives aux obligations d’honorabilité comprend en pratique des tâches chronophages, sans compter les moyens humains bénévoles dans les associations sportifs pour y faire face… À partir du moment où le législateur édicte de nouvelles obligations, les services centraux et déconcentrés de l’État doivent être en capacité de mener ces contrôles nécessaires.
On a beaucoup évoqué ces dernières semaines la tourmente que traversent trois symboles du sport Français à l’international : la fédération de football, celle de rugby et le CNOSF.
Les dysfonctionnements à répétition, les dérives dans la gouvernance de certaines fédérations sont le fruit d’une gestion erratique et défaillante de dirigeants installés souvent dans la durée dans un sentiment de « toute-puissance », d’une absence de débats contradictoires et de la faiblesse des contre-pouvoirs en interne.
Il faut souligner également l’absence de contrôle interne et externe approfondi y compris sur le plan financier (experts-comptables et commissaires aux comptes qui certifient les comptes fédérations, en charge d’un certain nombre d’alertes…
Les dysfonctionnements mis au jour par l’Inspection Générale des Finances dans la gouvernance du GIP France Rugby 2023 illustrent des défaillances graves dans le contrôle et la supervision de la part de l’Etat et de la fédération de rugby.
Il faut souligner que ce sont souvent des articles de presse et des investigations des journalistes qui ont déclenché des inspections administratives ou financières des corps de contrôle.
Ces dernières années, le renforcement de l’autonomie des fédérations sportives s’est accompagné d’un relâchement de leur contrôle et de leur supervision par le ministère des sports. La loi confortant le respect des principes de la République du 24 août 2021 a d’ailleurs supprimé de la tutelle de l’Etat sur les fédérations sportives délégataires d’une mission de service public.
Sur ce sujet, je vous renvoie au rapport de l’Inspection Générale Jeunesse et Sports d’Olivier Keraudren et Fabien Canu publié en 2017 sur « le modèle sportif français : état des lieux des relations entre l’Etat et le mouvement sportif ». Le périmètre et les conditions de contrôle par la Direction des Sports du contrat de délégation avec les fédérations sportives sont posés.
En tout cas, les fédérations citées des derniers mois sont souvent -pas systématiquement- des fédérations parmi les plus riches avec des ressources financières propres importantes qui dépendent peu des subventions de l’Etat, aujourd’hui essentiellement de l’ANS et qui se sentent peu redevables de rendre des comptes.
4. Pour ma part, je plaide pour plusieurs évolutions :
Cela passe par l’instauration d’une grille financière des rémunérations dans les fédérations et dans les comités d’organisation, le renforcement des conditions de recrutement en les rendant publiques et ouvertes (publication des postes vacants, procédure de recrutement formalisée, jury pluridisciplinaire avec un membre de l’organisme, un membre du ministère des sports et un expert qualifié dans la matière concernée).
Et par la mise en place de règles communes simples, claires et transparentes, pour le remboursement des frais généraux (frais de déplacement, frais de restaurant, frais d’hôtel) des dirigeant de fédération et de comité d’organisation.
5. Un modèle innovant de gouvernance dans le champ du sport : les SCIC
Au-delà du statut associatif traditionnel Loi 1901 et sans aller jusqu’à la création d’une société purement commerciale, les SCIC ouvre la possibilité de gouvernance partagée sur la base d’une personne, une voix entre des publics distincts : clubs, associations, collectivités territoriales, partenaires privés, salariés, supporters au service d’un projet sportif commun sur un territoire.
6. En ce qui concerne le renforcement du sport féminin, je vous renvoie à notre rapport d’évaluation de la loi du 1er mars 2017 et nos trois préconisations visant à renforcer le rôle de la Conférence Permanente du Sport Féminin (CPSF) qui n’a pas eu un fonctionnement satisfaisant depuis sa création :
7. Calendrier de mise en œuvre :
Si la loi visant à démocratiser le sport avait été voté dès 2020 et pas en mars 2022 à la fin du quinquennat, nous n’aurions pas perdu quatre ans dans l’application des dispositions sur la parité dans les fédérations ou le vote d’une partie des clubs qui entreront en vigueur après 2024.
En complément, j’avais déposé un amendement afin d’enrichir les dispositions sur la limitation du cumul des mandats pour les dirigeants sportifs par une disposition de limite d’âge telle qu’elle existe au CIO et au CNOSF à 70 ans. Sans succès…
Le comité national pour le renforcement de l’éthique et de la vie démocratique dans le sport devra tirer d’ici quelques, après concertation et avant les Jeux toutes les conclusions des affaires en cours et réfléchir à de nouvelles propositions sur la gouvernance du sport.
Les conclusion de votre mission devront logiquement faire l’objet de nouvelles dispositions réglementaires et si nécessaire du vote d’un nouveau texte de loi avant le renouvellement de la gouvernance des fédérations sportives à la fin de l’année 2024.
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