Face à ce nouveau cycle de violence du terrorisme islamiste, après Conflans et Nice, la France ne doit pas tomber dans le piège qui lui est est tendu. Nos valeurs nous rassemblent, la haine nous divise.
Notre tribune dans le Monde.fr parue le 29 octobre 2020
Le moment est grave, il ne quittera pas nos mémoires. Samuel Paty, professeur d’histoire et de géographie, a été assassiné par un terroriste islamiste. A Nice, un autre crime ignoble a été commis. Ces actes monstrueux ont pour but de semer la haine et la terreur.
Pourtant, cette fois, les appels à l’unité n’ont pas suffi à limiter les tensions au sein de la société française. En démocratie, le débat est souhaitable après de tels évènements. Mais depuis la tragédie du 16 octobre, certains, parfois même au sein du gouvernement, se sont engagés sur la voie des anathèmes et des accusations délirantes.
Ils prennent la lourde responsabilité d’affaiblir le pays face aux terroristes en dressant les Français les uns contre les autres. Les assassins et ceux qui les ont encouragés auraient-ils déjà gagné ?
Il est urgent de nous mobiliser ensemble autour des principes laïques et républicains. Si nous échouons, l’islamisme radical aura remporté, avec l’extrême droite, une victoire décisive en faisant de la question religieuse, et plus précisément de l’islam, le pivot de la politique française, au détriment des urgences sociales, écologiques et démocratiques. Pire, il aura installé des germes durables de guerre civile.
Pour avancer, il importe d’abord de reconnaître les manquements du passé. Combien d’atteintes à la laïcité et à la liberté d’expression et d’enseignement restées sans réponse ?
Combien d’appels au secours ignorés, qu’ils viennent d’enseignants et d’autres agents des services publics devant la dégradation de leurs conditions de travail, ou d’habitants des quartiers populaires devant l’absence de l’Etat, notamment sur le terrain de la sécurité ?
Combien de discriminations à l’égard de musulmans ou de ceux qui sont supposés l’être, laissées impunies ?
Manifestement, le gouvernement considère que l’on pourrait lutter efficacement contre l’islamisme radical sans combattre en même temps, à la racine, le racisme, les discriminations et les déchirures sociales et urbaines des territoires abandonnés.
Il feint également d’ignorer qu’existent au sein de l’islam, en France et ailleurs, des forces prêtes à combattre les influences mortifères. Cette absence de vision globale donne toujours une victoire symbolique aux islamistes radicaux. Elle a depuis longtemps favorisé leur implantation.
Oui, les manifestations agressives d’une idéologie totalitaire allant jusqu’au terrorisme doivent être combattues sans trêve ni repos dans le cadre de l’Etat de droit. Pour cela, de nombreux leviers juridiques existent déjà.
Il faut résister à la tentation de réagir à chaque attentat par une loi supplémentaire ou des gesticulations spectaculaires. Les carences relèvent surtout d’une insuffisance de moyens de renseignement et de coordination, notamment dans le suivi des réseaux sociaux.
Le combat contre l’islamisme radical, les pressions qu’il exerce à l’école et ailleurs pour restreindre les libertés, notamment celles des femmes ou des personnes LGBTI +, appelle des actions construites, déterminées et proportionnées.
Ces politiques doivent être conduites dans la durée et mises en œuvre sans faiblir dans un cadre légal défini et protecteur des libertés. Pour être efficace, il nous faut combattre l’intégrisme islamiste en priorité sur le terrain éducatif, social et politique. Là où les fondamentalismes tentent de faire primer le dogme religieux sur les lois de la République, la fermeté de l’action publique est indispensable.
L’école doit être aux avant-postes de ce combat. Mais elle ne peut pas être laissée seule. Celles et ceux qui y enseignent doivent être reconnus, soutenus et protégés au quotidien, et pas seulement passagèrement au lendemain des drames, particulièrement par un accompagnement humain en cas de difficultés, des outils et une formation pédagogiques renforcés pour permettre à tous les acteurs de l’école de savoir réagir.
La laïcité définie par la loi de 1905 n’est pas une option : elle est et doit rester la loi de la République. Elle a traversé le XXe siècle, faisons-la vivre en garantissant effectivement la liberté de croire, notamment pour les musulmans, ou de ne pas croire. Plus qu’à la multiplication de lois nouvelles, veillons à l’application effective de celles qui existent déjà.
La République, promesse inachevée, doit repenser sa présence dans tous les territoires pour faire exister l’égalité réelle par des politiques publiques offensives, avec des moyens humains et financiers substantiels, notamment dans le cadre de la mise en œuvre d’une transition écologique juste.
Elle doit, conformément à sa devise, garantir l’absence de toute discrimination et chercher à réduire toutes les inégalités dans un esprit de fraternité.
Pour nous, il n’y a pas de fatalité à ce que la France tombe dans le piège tendu par les terroristes. Nous ne cesserons jamais de vouloir tisser des liens entre tous les humains, malgré les assauts répétés des obscurantismes.
Nous continuerons de lutter partout et toujours contre toutes les formes de racisme, d’antisémitisme et d’intolérance.
Nous avons parfaitement conscience qu’il existe des désaccords entre nous sur ces sujets et que beaucoup reste à faire pour consolider ces réponses : ce texte se veut d’abord un appel à la gauche, aux écologistes et, au-delà, à tous les républicains, à engager ensemble ce travail à un moment où l’essentiel est en danger.
Liste des signataires
Arié Alimi
Tewfik Allal
Salah Amokrane
Manon Aubry
Clémentine Autain
Manuel Bompard
Alice Bosler
Julia Cagé
Émilie Cariou
Lucas Chancel
Eric Coquerel
David Cormand
Sergio Coronado
Philippe Coulangeon
Laurence De Cock
Cécile Duflot
Guillaume Duval
Elsa Faucillon
Eric Favey
Paula Forteza
Jean-Claude Guillebaud
Nora Hamadi
Hervé Hamon
Pierre Jacquemain
Régis Juanico
Pierre Khalfa
Aurore Lalucq
Mathilde Larrère
Pierre Laurent
Henri Leclerc
Claire Lejeune
Marie-Noelle Lienemann
Elise Löwy
Benjamin Lucas
Roger Martelli
Philippe Martinez
Frédérique Matonti
Dominique Meda
Philippe Meirieu
Jean-Pierre Mignard
Bénédicte Monville
Beligh Nabli
Mathieu Orphelin
Christian Paul
Gilles Perret
Camille Peugny
Thomas Piketty
Eric Piolle
Sandra Regol
Barbara Romagnan
Frédéric Sawicki
Aissata Seck
Aurélien Taché
Sophie Taillé-Polian
Benoît Teste
Aurélie Trouvé
Marie-Christine Vergiat
Grégoire Verrière
Patrick Viveret.
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