La privatisation de la Française des Jeux vient d’être lancée avec la souscription d’actions de particuliers et d’investisseurs institutionnels, et une introduction en Bourse.
Héritière de la Loterie nationale créée en 1933, la Française des Jeux, entreprise publique depuis 1991, était le patrimoine de tous les Français. A l’issue de sa privatisation à la fin du mois de novembre, elle sera le patrimoine de quelques-uns, de ses seuls actionnaires, l’Etat devenant très minoritaire avec 20 % du capital.
Précipitation gouvernementale
Pourquoi une telle précipitation ? En ce qui concerne les jeux d’argent et de hasard, le ministre Bruno Le Maire s’était engagé devant la représentation nationale, à l’occasion de l’examen de la loi Pacte, à ce que « la régulation précède la privatisation ».
Or, l’Autorité nationale des jeux, autorité de régulation quasi unique et indépendante, que nous avons inscrite dans la loi Pacte ne verra le jour qu’au 1er janvier 2020, une fois que le projet de loi de ratification de l’ordonnance du 3 octobre 2019 aura été voté par le Parlement, soit bel et bien… après la privatisation de la FDJ. En fait, le gouvernement précipite les opérations de privatisation de la FDJ, pour des raisons financières.
Le gouvernement a besoin d’argent frais, de « cash » à faire rentrer dans les caisses de l’Etat.
La procédure référendaire que l’opposition a lancée sur Aéroports de Paris empêche pour le moment le gouvernement de privatiser ADP, il a donc besoin d’argent frais, de « cash » à faire rentrer dans les caisses de l’Etat ! C’est un calcul à courte vue ! En privatisant la FDJ, l’Etat se prive d’une recette régulière et certaine, de 100 millions d’euros de dividendes par an.
Mauvaise opération financière
Plus largement, les privatisations décidées dans le cadre de la loi Pacte sont une mauvaise opération financière pour l’Etat. Le ministre Bruno Le Maire nous dit que le produit des cessions d’actifs des entreprises publiques contribuera au désendettement. L’argent des privatisations servira également à financer à terme un fonds d’innovation et de rupture technologique.
Mais on pouvait très bien alimenter ce fonds en versant les dividendes perçus par l’Etat, sans privatiser ces entreprises. Avec les 380 millions d’euros versés par la FDJ d’ici à juin 2020 en contrepartie de l’octroi des droits exclusifs pour exploiter les jeux de loterie et les paris sportifs pour une durée maximum de 25 ans, l’Etat peut espérer récupérer environ 2 milliards d’euros de la privatisation. C’est un « one shot » et, surtout, une goutte d’eau dans l’immensité de la dette !
Addiction aux jeux
Surtout, la FDJ n’est pas une entreprise comme les autres, le jeu n’est pas une marchandise comme les autres. En matière d’addiction, le nombre de joueurs excessifs reste stable depuis cinq ans (0,5 % de la population), mais le nombre de joueurs à risque modéré a été multiplié par 2,5 sur la même période : le problème touche plus de 1 million de personnes.
Les pratiques de jeux d’argent des mineurs – soit un jeune de 15 à 17 ans sur trois en 2014 – sont essentiellement concentrées sur les jeux offerts par la FDJ. Selon les travaux de l’Observatoire des jeux, la progression de 1 % du chiffre d’affaires de la FDJ génère a minima 1.000 joueurs pathologiques et 6.500 joueurs à risque de plus et, en conséquence, un coût social très important : chômage, divorce, dégradation de l’état de santé, surendettement, dépression, suicide…
Certes des garde-fous solides ont été établis pour maintenir un haut niveau d’exigence en matière de lutte contre le jeu pathologique ou excessif, avec un contrôle étroit de l’Etat sur la FDJ privatisée : les postes de direction seront soumis à agrément ministériel, un commissaire du gouvernement sera placé auprès de la société, tout franchissement de seuil de 10 % du capital devra être approuvé par le ministère de l’Economie.
Mais que pèsera la défense du jeu responsable par les dirigeants de la FDJ privatisée face à la tentation de certains actionnaires de développer une politique commerciale agressive et de maximiser leurs dividendes ? Le rôle de la future Autorité nationale des jeux sera déterminant.
Régis Juanico est député (Génération. s) de la Loire et auteur d’un rapport sur l’évaluation des jeux d’argent et de hasard en 2017.
En privatisant la FDJ, l’Etat se prive d’une recette régulière et certaine, de 100 millions d’euros de dividendes par an, écrit Régis Juanico. Surtout, le jeu n’est pas une marchandise comme les autres. Lire la suite
Le député socialiste Régis Juanico – auteur déjà d’un rapport fouillé sur les jeux (voir 14 décembre 2017) – est remonté au créneau pour exprimer ses réserves sur la privatisation en cours de la FDJ… Lire la suite
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