C’est l’autre “Affaire du siècle” : les paradis fiscaux de quelques uns sont l’enfer de tous les autres. Toutes les multinationales doivent payer leurs impôts là où elles font leur chiffre d’affaires, pas juste les GAFA. C’est le sens de cette tribune, publiée dans Le Monde, que j’ai cosignée avec des collègues députés mais aussi des économistes, politistes ou historiens.
Le texte de la tribune. Encore un effort !
C’est l’autre affaire du siècle, vile et insidieuse. Elle corrompt tout, sape les Etats, instille le soupçon, alimente les inégalités, affaibli nos modèles sociaux, dévore l’avenir. Les paradis fiscaux de quelques-uns sont l’enfer de tous les autres. Quand les plus grandes fortunes mondiales et les multinationales échappent à l’impôt, quand les petits paient pour les gros, avec parfois la complicité coupable des Etats, les milliards manquent à la santé, à l’éducation, à l’environnement. La maison brûle et l’on regarde ailleurs.
Les rapports des ONG s’empilent aux travaux des experts pour donner l’ampleur du scandale. 8 % du patrimoine financier mondial est détenu dans les paradis fiscaux, soit près de 7 900 milliards d’euros. 40 % des profits des multinationales sont déclarés dans des paradis à fiscalité faible ou nulle, soit près de 650 milliards de dollars chaque année. Leurs profits croissent et pourtant leurs impôts baissent… Il manque à la France et à l’Union européenne 20% de leurs recettes au titre de l’impôt sur les sociétés. Et que dire de la richesse des milliardaires, qui continue année après année de croître trois fois plus vite que la richesse moyenne par tête ?
Devant l’ampleur de l’injustice, qu’aucune équation simpliste suggérant moins de services publics pour moins d’impôts ne viendra résoudre, le consentement à l’impôt chancelle, la démocratie vacille, la rage gronde. Comme pour le réchauffement climatique, la crise n’est désormais plus devant nous, elle est là, déjà. Enorme. L’heure n’est plus aux plaidoyers, aux formules alambiquées et prétendument savantes, aux déclarations d’estrade à Davos ou ailleurs. On ne peut plus laisser les multinationales se moquer des États et des peuples, faire leurs lois au détriment de la loi, opposer leur volonté à la volonté générale. Il faut agir.
Après la Grande Bretagne et l’Autriche, la France, prenant acte de l’échec des négociations européennes, vient ainsi d’annoncer son intention de taxer les géants du numérique en France, Amazon, Google, Apple et autres Facebook… Le gouvernement envisage une taxe assise sur le chiffre d’affaires déclaré, sans lien avec les bénéfices, qui laisse un peu circonspect certes, une taxe au rendement faible et incertain sans doute, mais un acte politique important néanmoins qui ouvre une voie. Une voie qui pourrait n’être qu’une impasse cependant si le gouvernement devait continuer d’ignorer la situation de tant de grandes entreprises qui échappent à l’impôt, prenant ainsi le risque du solde de tout compte.
C’est pourquoi nous interpellons le gouvernement. Encore un effort ! Pourquoi ne taxer que les GAFA ? McDonalds, Nike, Fiat ou Total, n’utilisent-ils pas eux aussi les paradis fiscaux à grande échelle ? Les chiffres sont clairs : la délocalisation artificielle des profits est un phénomène généralisé, qu’on trouve aussi bien chez les géants du numérique que dans l’industrie pharmaceutique, la finance, ou l’agroalimentaire. La mesure du gouvernement va dans le bon sens, mais à ce stade reste anecdotique. Or une réforme permettant de lutter contre l’optimisation fiscale agressive des multinationales est non seulement souhaitable, mais elle est possible.
Nous proposons que chaque société domiciliée à l’étranger vendant des biens ou des services en France, pour un montant excédent cent millions d’Euros, paie l’impôt sur les sociétés en France, qu’elle possède un établissement stable en France ou non. Les bénéfices imposables seraient ainsi calculés en multipliant les bénéfices mondiaux consolidés du groupe par la fraction de ses ventes mondiales faites en France. Cette solution a le mérite de dissocier la répartition de l’assiette taxable de celle des implantations physiques et donc de garantir la pérennité de notre base industrielle. Le principe est simple, les multinationales doivent payer leurs impôts là où elles font leurs chiffre d’affaires.
Ce principe simple, l’Europe devrait le faire sien, en faire son combat acharné en instituant un impôt commun sur les sociétés finançant un budget de l’Union européenne géré démocratiquement. C’est notre aspiration. Mais sans attendre la France peut dès à présent montrer le chemin.
Des solutions existent et des amendements jusqu’alors repoussés ont été déposés, le gouvernement peut les reprendre à son compte. Lutter pour la justice fiscale et le réarmement des Etats appellent plus qu’une taxe sur les GAFA. Encore un effort pour que nos enfants jamais ne nous disent : « Vous aviez semblé faire, mais vous aviez fait semblant ».
Signataires :
Boris Vallaud (député, membre du Parti socialiste), Gabriel Zucman (économiste, professeur à l’université de Berkeley, États-Unis), Thomas Piketty (économiste, directeur d’études à l’EHESS), Olivier Christin (historien, Université de Neuchâtel, Suisse), Antoine Vauchez (politiste, directeur de recherche au CNRS), Anne-Laure Delatte (économiste, chargée de recherche au CNRS), Gilles Dorronsoro (politiste, Paris1 Panthéon-Sorbonne), Lucas Chancel (économiste, co-directeur du World InequalityLab), Guillaume Sacriste (politiste, maître de conférences à l’Université Paris 1-Sorbonne), Michel Lussault (géographe, ENS Lyon), Stéphanie Hennette (juriste, professeure à l’Université deParis-Nanterre), Frédérique Matonti (politiste, professeure à l’Université Paris 1-Sorbonne), Christophe Prochasson (historien), Marion Fontaine (historienne, maître de conférence à l’Université d’Avignon), Laurence Scialom (économiste, professeure à l’université Paris Nanterre), Frédéric Worms (philosophe, ENS Paris), Dominique Rousseau (constitutionnaliste, Université Paris 1 Panthéon Sorbonne), Xavier Ragot (économiste, OFCE), Alexandre Ouizille (président d’Hémisphère gauche), Loïc Blondiaux (politiste, Sciences po Paris), Ulrike Guérot (politiste, professeure à l’Université du Danube, Autriche)
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