En fragilisant les CHSCT, les textes signés par le Président vont entraîner une individualisation croissante des conditions de travail.
“L’entreprise ne peut plus être le lieu du bruit des machines et du silence des hommes”. Ainsi s’exprimait Jean Auroux, alors Ministre du Travail créant en 1982 le Comité d’Hygiène, de Sécurité et des Conditions de Travail (CHSCT).
Il y a trente cinq ans les lois Auroux avaient cherché à mettre en débat ce qu’on n’appelait pas encore la qualité de vie au travail. Les données les plus récentes montrent que là où ils existent, le nombre d’accidents du travail régresse. Cette instance de prévention a ainsi fortement contribué à la réduction du nombre d’accidents mortels qui ont été divisés par trois, selon les statistiques de la CNAMTS, de 1423 en 1980 à 474 en 2010.
En juillet dernier le Ministère de la santé publiait un rapport sur « L’état de santé de la population en France ». Celui-ci mettait en évidence un enjeu stratégique central : la progression de la santé dans notre pays doit se concentrer sur la réduction des inégalités de santé : sur la période, 2009-2013, l’écart d’espérance de vie à 35 ans entre cadres et ouvriers est de 6,4 ans pour les hommes et de 3,2 ans pour les femmes, des écarts qui se creusent depuis le début des années 2000. Et Comme le note le rapport, ces inégalités sont principalement déterminées par « des expositions aux agents cancérogènes, mutagènes et reprotoxiques, des expositions à des facteurs de pénibilité – contraintes physiques marquées (postures pénibles, gestes répétitifs et manutention), environnement agressif (bruit et températures extrêmes notamment), rythmes de travail contraints (travail de nuit, en équipe alternante) – et des expositions à des facteurs de risque psychosociaux (travail intense, pression au travail…».
En 2010, plus de 8 millions de salariés, soit près de 40 % des salariés en France métropolitaine et à La Réunion, étaient exposés à au moins un des facteurs de pénibilité. 12 % des salariés français sont exposés à au moins un agent cancérogène. Ce sont principalement des hommes, notamment des ouvriers.
Alors que nous disposons d’un outil qui permet de faire de réels progrès en matière de santé au travail et que notre société fait face à de nouveaux enjeux de creusement des inégalités face à la santé, que font les ordonnances travail sur ce point ?
Signées en grandes pompes par le Président de la République, elles viennent de tourner le dos à ces expériences et à ces défis. Le CHSCT disparait dans une instance unique de représentation du personnel, le comité social et économique (CSE). Le CHSCT disparait dans toutes les entreprises de 50 à 300 salariés et instauration dans les plus grandes entreprises d’une commission santé, sécurité et conditions de travail au sein du CSE. Et la nouvelle instance perd en grande partie les moyens de se faire assister par des experts-préventeurs qui sont pourtant indispensables, les élus du personnel ne pouvant pas réunir l’ensemble des compétences dans des domaines aussi vastes que ceux de la santé et de la sécurité. Et dans le même temps le gouvernement porte un coup fatal au compte pénibilité.
Les entreprises sont amenées de plus en plus souvent à se réorganiser et les bouleversements portés par la digitalisation et la robotisation génèrent des ruptures dans les organisations. Ces évolutions brutales ne sont pas sans rapport avec les défis nouveaux de santé au travail évoqués précédemment ainsi qu’avec la dualisation croissante de notre économie, de notre marché du travail et plus globalement de notre société. Jusqu’à présent, le CHSCT pouvait jouer un rôle actif de régulation en questionnant en amont la cohérence des projets et des évolutions.
En retirant ce pouvoir d’agir à partir de la prévention active des risques professionnels, alors qu’il apparaît qu’il aurait fallut le renforcer, et en donnant un pouvoir de négociation des accords au CSE voire directement aux salaries eux-mêmes, ces ordonnances affaiblissent les syndicats qui réalisaient ce travail antérieurement. Une fonction assumée jusqu’alors par des salariés formés, actifs et incisifs insérés dans un collectif. Ces ordonnances achèvent ainsi de tarir le recrutement de ces salariés impliqués sur les questions d’organisation du travail, ces derniers ne trouvant plus dans les syndicats la défense escomptée de leurs conditions de travail.
C’est là une marche de plus dans l’éclatement, l’individualisation, des conditions de travail et du monde du travail en général, alors que les lois Auroux avaient créé les conditions d’un rapport de ‘’dignité’’ entre les entreprises et leurs salariés. Ceux-ci disposaient avec l’instance de prévention d’un lieu où mettre à l’ordre du jour les conditions de travail ; une instance prise aussi au sérieux par les juges qui s’appuyaient sur les travaux des experts en santé et sécurité. Rappelons que le procès des dirigeants dans le dossier des suicides de France Télécom va bientôt s’ouvrir et que sans les CHSCT qui avaient multiplié les alertes, il n’aurait jamais eu lieu.
Cette individualisation croissante des conditions de travail, cet affaiblissement des corps intermédiaires que sont les syndicats, les moindres moyens humains, financiers et d’expertise en matière de prévention des risques au travail, font-ils une politique qui réconcilie notre société, qui réduit ses fractures et qui élabore un cadre à des relations entre salariés et employeurs à même de renforcer le dynamisme et l’innovation des entreprises ? La réponse est dans la question… malheureusement.
Régis Juanico, Député Nouvelle Gauche (PS) de la Loire
et Boris Vallaud, Député Nouvelle Gauche (PS) des Landes.
Un article à lire dans Libération
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