Le 8 janvier dernier, à l’occasion du 20ème anniversaire de la mort de François Mitterrand, les socialistes et les radicaux de gauche ligériens se sont réunis au Parc François Mitterrand à Saint-Etienne, pour rendre hommage à l’ancien Président de la République, en présence de Gérard Lindeperg, ancien député et ancien 1er Secrétaire du PS Loire, et de Jean Auroux, ancien Ministre de François Mitterrand.
Vous pouvez retrouver ci-après l’intégralité de l’intervention très complète de Gérard Lindeperg :
Il y a 20 ans, j’étais alors Premier secrétaire de la Fédération du PS de la Loire. C’est à ce titre que j’ai pris la parole à l’annonce du décès de François Mitterrand. La petite cérémonie s’est tenue place Jean Jaurès, avec une estrade et une sono mises à notre disposition par le maire de Saint-Etienne, Michel Thiollière. Les militants socialistes étaient regroupés près de la tribune improvisée, silencieux, serrés les uns contre les autres sous une pluie fine et froide. Puis, progressivement, d’autres personnes nous ont rejoints et des passants inconnus se sont arrêtés pour partager notre recueillement. L’émotion était forte, un grand vide s’était creusé, chacun avait conscience qu’une page de l’histoire de notre pays venait de se tourner.
Aujourd’hui, à la demande de Régis Juanico, je m’adresse à vous comme président de la commission histoire de la Fédération du Parti Socialiste. Je n’ai plus aucune responsabilité politique et je vous parle en historien qui essaie d’avoir une approche objective. On peut penser en effet que les vingt années qui se sont écoulées depuis la mort du premier Président socialiste de la Vème République ont commencé à mettre la distance temporelle qui permet de passer de l’émotion à la réflexion historique, de prendre la juste mesure des succès et des échecs. Ce recul permet également de mieux prendre conscience de la complexité de l’homme, un homme opiniâtre et déterminé qui sait où il veut aller mais en empruntant parfois des chemins qui surprennent ou qui déroutent jusqu’à ses plus proches amis.
Car une si longue carrière politique a nécessairement sa part d’ombre et de lumière. Ainsi, je fais partie de ceux qui, en 1956, l’ont combattu au moment de la guerre d’Algérie alors que, ministre de la justice de Guy Mollet, il laissait exécuter des militants du FLN qu’on appelait à l’époque des « rebelles algériens » ; puis je l’ai admiré et soutenu lorsqu’il a décidé de faire abolir la peine de mort en France. Malgré les courageux combats de Victor Hugo, Jean Jaurès, Albert Camus, et plus près de nous Robert Badinter, l’opinion publique demeurait défavorable à l’abolition. Pourtant, il n’a pas hésité à braver les sondages pour défendre nos grands principes, celui du respect de la vie humaine et celui d’une toujours possible rédemption du coupable.
Comme cela a été analysé aussi bien par son plus proche collaborateur Jacques Attali que par l’historien Michel Winock, ses deux septennats sont de valeur inégale et marqués par des séquences contrastées. Le début du premier est le moment lumineux des grandes réformes sociales du gouvernement de Pierre Mauroy ( retraite à 60 ans, hausse du SMIC, 5èeme semaine de congés…) ; puis les difficultés économiques conduisent à un virage politiquement mal assumé et à l’ouverture d’une parenthèse qui, en vérité, n’a jamais été refermée. Le second septennat a été ouvert avec Michel Rocard qui réussit la pacification de la Nouvelle Calédonie et réforme la protection sociale en profondeur avec la CSG et le RMI. Le remplacement de Michel Rocard qui a le soutien de l’opinion est mal compris et le Parti Socialiste connaît une défaite historique aux élections législatives de 1993, malgré les efforts de Pierre Bérégovoy qui succède à Edith Cresson. Au total deux défaites législatives qui ont conduit à deux cohabitations inédites sous la Vème République et que François Mitterrand a maîtrisées avec courage et habileté.
De ce bilan contrasté, je voudrais retenir ce qui a le plus marqué l’histoire de notre République et contribué à façonner la France d’aujourd’hui. Trois éléments doivent être retenus.
Tout d’abord, l’alternance politique favorisée par une claire vision de l’avenir, une intelligence tactique indéniable et une exceptionnelle opiniâtreté. Jusqu’à 1981, la gauche n’était venue au pouvoir que pour de brèves périodes de quelques mois. Mitterrand va légitimer le pouvoir de la gauche en lui permettant de gouverner dans la durée et en instaurant une alternance politique comparable à celle des grandes démocraties européennes.
Deuxième élément : l’Europe. François Mitterrand s’est révélé, avec le soutien de Jacques Delors, un européen convaincu. Il a conforté l’axe franco-allemand et en 1983-1984, lorsqu’il a fallu changer de politique économique, il a privilégié l’ancrage européen. Né pendant la première guerre mondiale, il a été mobilisé puis fait prisonnier pendant la seconde ; il s’est évadé du camp de prisonniers où il était détenu puis s’est engagé activement dans la Résistance. Comme tous les hommes de sa génération, cette période l’a beaucoup marqué ; il est demeuré profondément attaché à la paix et sa poignée de main avec Helmut Kohl à Verdun demeure dans nos mémoires.
Troisième point fort, il a renforcé nos institutions et apporté une stabilité politique que les périodes de cohabitation n’ont pas démenties. Par ailleurs, en engageant la décentralisation avec Gaston Defferre, il a marqué une rupture historique avec la tradition jacobine qui corsetait la vie publique et ouvert un chemin vers une démocratie de proximité, combat qui doit encore être soutenu et prolongé pour aujourd’hui et pour demain.
François Mitterrandb a commencé sa vie politique avant la deuxième guerre mondiale et il l’a terminée avec l’effondrement du monde communiste. A certains égards, on peut le considérer comme un passeur entre deux mondes.
Au cours de ses 14 années au sommet de l’Etat, il a incarné, nous devons le reconnaître, une image de monarque Républicain ; mais en même temps, il a occupé sa fonction avec une maîtrise et une autorité que nul après lui n’a réussi à égaler.
Pour terminer, je veux souligner la séduction de l’homme de culture. Mitterrand n’est pas seulement un héros romanesque, c’est un écrivain de grande qualité, au même titre que le fut De Gaulle dans un autre registre. Ce fut un lecteur passionné, d’une culture principalement littéraire mais également historique et philosophique qui n’a plus d’équivalent dans le monde politique d’aujourd’hui. Sa politique culturelle, conduite avec Jack Lang, a laissé des marques durables dans l’espace, notamment à Paris, et dans notre vie quotidienne, pensons au prix du livre ou à l’aide publique au théâtre et au cinéma français.
Certes, le moment n’est pas encore venu de tirer un bilan définitif et il reste encore beaucoup de travail pour les historiens. Toutefois, sachons retenir pour aujourd’hui et pour demain que la politique est exigeante : elle demande de la continuité et de la persévérance. Le rôle des politiques n’est pas de suivre les sondages : il leur appartient de mener le combat des idées, de faire comprendre la complexité du monde, d’éclairer le chemin.
Le parcours de François Mitterrand nous apprend qu’il ne faut jamais baisser les bras et que les difficultés d’aujourd’hui préparent souvent les succès de demain.
Témoignage de Jean Auroux, ancien Ministre, Maire honoraire de Roanne :
Mesdames, messieurs, Chers amis, chers camarades,
Ce n’est pas sans émotion que certaines dates anniversaires ravivent le souvenir des hommes et des évènements qui ont marqué durablement la vie d’une nation en général et la nôtre en particulier.
Je remercie Régis JUANICO dont on sait la qualité des engagements de m’avoir associé à cette manifestation ligérienne en hommage à François MITERRAND.
Gérard LINDEPERG, notre talentueux historien a bien voulu retracer le parcours de cet homme d’Etat dont la vie politique fut si longue et si singulière. Cependant, c’est sur un registre plus personnel que je voudrais évoquer le vainqueur de 1981, celle du premier président de gauche de la 5ième République.
Mon propos sera donc plutôt le témoignage et l’évocation du compagnonnage politique allant du Congrès d’Epinay jusqu’à la fin de ses mandats présidentiels. Quelques moments forts jalonnent ce long parcours : son soutien aux élections municipales de Roanne en 1977, notre arrivée sur les bancs de l’Assemblée nationale en 1978, ma participation à son équipe de campagne en 1981, la victoire du 10 Mai et mon entrée au gouvernement où fort de sa confiance je resterai 5 ans avec 3 ministères différents, celui du travail avec ses réformes sociales, celui de l’énergie avec le dossier des charbonnages, enfin celui de transports et l’équipement avec la négociation du tunnel sous la Manche.
Ma dernière rencontre officielle fut l’année précédent son décès, la remise de ma Légion d’Honneur à l’Elysée.
Tout au long de ces années, au-delà des réunions hebdomadaires du Conseil des ministres pendant cinq ans, des réunions de travail, des déplacements en France et à l’étranger, c’est par des rencontres moins formelles rue de Bièvre ou à la bergerie de Latché que j’ai pu approcher la totalité et la vérité riche et complexe de l’homme.
Certes, l’homme public pouvait paraitre distant malgré la chaleur et l’éloquence de ses discours dans des meetings parfois mémorables mais l’homme privé, en petit comité, savait être convivial, voire plein d’humour, d’anecdotes savoureuses glanées tout au long de sa carrière.
Sa confiance ne m’a jamais manqué tout au long de son parcours : nous avions suffisamment d’affinités politiques, humaines te littéraires- car on le sait c’était un homme d’une grande culture- pour que la fidélité dans l’action soit durablement partagée. Ce qui n’empêche point les débats et sa capacité au compromis puis au soutien : mon rapport sur « les nouveaux droits des travailleurs » présenté le 8 novembre 1981 fut approuvé dans sa totalité le 4 novembre de la même année et décliné sur le plan législatif tout au long de l’année 1982. J’avais pourtant modifié deux dispositions de ses 110 propositions en remplaçant le droit de veto des comités d’entreprise par le droit d’alerte plus préventif et le droit d’arrêt des machines par le droit de retrait , plus sécurisant.
Il est vrai que lors de ses propositions d’entrée au gouvernement au poste de ministre du travail, à l’objection que je lui avais faite de mon absence de formation juridique, il avait eu cette réponse que je n’oublierai jamais : « je veux quelqu’un du terrain, vous êtes maire d’une ville ouvrière, vous connaissez le monde di travail, vous trouverez des juristes mais c’est vous qui déciderez les choses ». J’ai alors repensé à Léon BLUM qui avait dit en 1936 : « messieurs, ma décisions est prise, faites entrer les juristes ».
A cet égard, je teins à rappeler que dès le premier jour de ma prise de fonction, une conseillère technique stéphanoise m’accompagnait. Il s’agissait de Françoise VENNIN, malheureusement disparue, juriste compétente et précieuse dont j’’ai l’occasion d saluer la mémoire. Un autre ligérien fit partie de mon cabinet : André RIVIERE, mon chef de cabinet et roannais distingué puis Christian AVOCAT.
Si François MITERRAND état excellent juriste, d’une grande culture classique sur le plan littéraire et philosophique, il avait surtout une grande connaissance de la France et des français sur le plan géographique, économique, politique et humain. Mors de nos déplacement, pas un canton traversé, pas une ville visitée, sans qu’il m’en rappelle l’histoire, les élus, les ressources te les problèmes. C’était un terrien et sans doute un des moins parisiens de nos présidents tout en étant très européen et mondialiste. Espaces à sa mesure où il défendait avec brio et convictions les valeurs républicaines de la France, sa langue, sa culture et son rang.
Cependant, el jugement ne doit pas se limiter à la dimension personnelle fut-elle exceptionnelle. « C’est au mur que l’on juge le maçon » et à cet égard, nul ne peut nier qu’il fut le puissant réformateur d’une société qui en 1981 n’avait pas connu d’alternance politique depuis 23 ans, c’est-à-dire une génération. D’ailleurs un récent sondage indiquait que 74% de français gardaient un souvenir positif de son action ; Il est légitime de rappeler les réformes engagées alors, même si quelques unes ont été un peu malmenées depuis.
Rappelons-nous :
– L’abolition d la peine de mort avec Robert BADINTER
– la décentralisation ave Gaston DEFFERE
– la liberté des médias avec Georges FILLOUD
– la modernisation de transports avec Charles FITERMAN
– le droit de s femme avec Yvette ROUDY
– la politique du logement avec Roger QUILLOT
– la politique culturelle avec Jack LANG
– et –on m’en excusera- les nouveaux droits de travailleurs abc la refonte d’un tiers du code du travail :
o augmentation du SMIC de 10%
o semaine de 39h/5ième semaine de congés payés/et (feue) la retraite à 60 ans
o renforcement des institutions représentatives
o droit d’expression
o renforcement des moyens des CE
o création des CHSCT
o développement de la politique contractuelle (40 000 contrats ont été signés en 2014)
o volonté de démocratiser la vie économique et de réformer les relations sociales par le contrat plutôt que par le conflit
Certes il y eut aussi le tournant de la rigueur, car il est difficile pour les états comme pour les ménages de dépense plus que ce que l’on gagne ; mais le socle du changement résiste durablement.
Aujourd’hui, son message doit rester vivant pour rassembler , organiser et réformer avec tous les progressistes de notre nation confrontée à de lourds défis internes et externes d’un monde rendu instable par la compétition économique ultralibérale, la financiarisation outrancière de notre vie économique, par l’innovation technologique accélérée et numérisée, par un chômage qui blesse les hommes te les territoires sur un fond de matérialisme, d’individualisme et d’impatience croissants.
François MITERRAND par sa lucidité, sa ténacité et finalement son succès nous laisse ce message unificateur des valeurs républicaines qui, au-delà des vicissitudes des temps incertains ont façonné définitivement l’âme de notre peuple et le destin de la France.
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