Jean-Louis Triaud, Président du FC Girondins de Bordeaux : « Ça me fait l’effet d’un procès dans un régime totalitaire… » (Sud-Ouest 18-10-13).
Michel Seydoux, Président du LOSC : « On veut taxer les pauvres à la place des riches » (Aujourd’hui en France 25-10-13).
Bernard Cazeneuve, Ministre délégué au Budget : « Quand une entreprise est en déficit, elle n’est pas en situation de payer des salaires de plus d’un million d’euros. Dès lors qu’on peut justifier des rémunérations d’un tel niveau, on doit pouvoir contribuer à l’effort national » (Journal du Dimanche 27-10-13).
Valérie Fourneyron, Ministre des Sports : « A l’heure où tous les Français participent à l’effort de redressement, ils ne comprendraient pas que le football ne participe pas à cet effort collectif » (17-10-13).
Sondage Tilder-LCI-Opinion Way des 23 et 24 octobre : 85% des Français interrogés sont favorables à la taxe 75%.
L’historique de la taxe : un engagement de campagne de François Hollande
Pendant la campagne des élections présidentielles, le candidat François Hollande avait pris l’engagement que les salaires dépassant 1 million d’euros par an seraient taxés à 75%. La traduction politique de cet engagement devant les Français n’est donc une surprise pour personne.
Une première version de cette mesure a été annulée par le Conseil Constitutionnel au motif qu’elle portait sur l’impôt des salariés. Ce dernier est « conjugualisé » et le dispositif adopté ne pouvait respecter ce principe : deux salariés à 750 000 euros par personne d’un même foyer fiscal n’étaient pas touchés et un couple de revenu identique où un seul salarié apportait le salaire supérieur à 1 million d’euros était impacté. L’égalité devant l’impôt n’était donc pas respectée.
La taxe exceptionnelle sur les hautes rémunérations versées par les entreprises dans le Projet de Loi de Finances 2014
Après avis du Conseil d’Etat, le Gouvernement a choisi de faire payer la taxe par les entreprises, le salarié continuant à payer ses impôts et charges selon le droit en vigueur. Tous les revenus du salarié (salaire fixe, rémunération variable, stock options, actions gratuites…) sont pris en compte.
Ces revenus sont déjà assujettis à des charges sociales de l’employeur, variables selon la nature des rémunérations. Pour simplifier, le texte prévoit de considérer ces contributions sociales à hauteur de 25% (une moyenne plutôt inférieure à la réalité). La taxe est donc calculée pour 50% de la fraction de salaire excédent 1 million.
La taxe est, comme son nom l’indique, ponctuelle, et s’applique de façon temporaire aux rémunérations attribuées en 2013 et 2014. Elle sera versée par les entreprises en avril 2014 et 2015. Afin de ne pas rendre excessif le poids de la taxe, en particulier pour les PME, celle-ci est assortie d’un mécanisme de plafonnement à hauteur de 5% du chiffre d’affaires.
Un exemple simple : prenons un salarié dont les revenus sont de 1,6 million d’euros. Le salarié paiera ses impôts et ses contributions sociales sur tous ses revenus. L’entreprise paiera les contributions sociales ordinaires sur tous les revenus. Sur les 600 000 euros dépassant le million, on considère qu’elle a déjà acquitté au moins 25% de charges sociales. On demandera donc une contribution supplémentaire de 50% de 600 000 euros, donc 300 000 euros. Ceci pour deux ans seulement.
Toutes les entreprises sont concernées, ce qui représente 470 entreprises et 1000 salariés ou dirigeants. La taxe s’applique à toutes les entreprises, il n’y a pas « d’exception », ni mesure « dérogatoire » et particulière pour le football professionnel, ce qui n’aurait pas été compris par nos concitoyens, qui sont par ailleurs mis à contribution pour le redressement de nos comptes publics, tout comme les collectivités locales, l’Etat et ses opérateurs… Des dispositifs techniques permettront de rattraper les salariés de multinationales qui pourraient être tentés de contourner la loi.
Le rendement de la taxe est estimé à 260 millions d’euros en 2014 et 160 millions d’euros en 2015
La taxe et les clubs de Football de Ligue 1
Si l’on en croit les chiffres fournis par la Ligue de Football Professionnelle, pour les 14 clubs, 115 joueurs et 8 entraineurs concernés, la taxe aura un impact financier de 40 millions d’euros par an, sur deux ans. Cette somme est à rapprocher des 1,2 milliards d’euros de chiffre d’affaires généré par le foot professionnel (5 milliards en tenant compte des effets indirects).
La moitié de cette somme sera versée par le PSG (20 millions d’euros). Lyon, Marseille et Lille autour de 5 millions. Bordeaux : 3,4 millions ; Lille : 2,2 millions ; Toulouse, Nice, Saint-Etienne : autour d’un million. 6 des 14 contributeurs paieront moins de 200 000 euros.
Le PSG privilégié ?
A noter que sans le plafonnement à 5% du CA que nous avons instauré après concertation avec les instances du football, la contribution aurait été environ du double (plus de 80 millions d’euros). Le plafonnement bénéficie bien entendu au PSG (20 millions), mais aussi à 5 autres clubs : Marseille pour 7,8 millions d’euros, Lyon pour 6,6 millions d’euros, Lille pour 2,9 millions d’euros, Rennes pour 1,2 millions d’euros et Bordeaux pour 1 millions d’euros.
Loin d’être privilégié, le PSG sera même le seul club à être soumis à une autre disposition fiscale votée par les Députés : la surtaxe de 10,7% à l’impôt sur les sociétés pour les entreprises réalisant plus de 250 millions d’euros de chiffre d’affaires. Cette surtaxe a été « durcie » dans la mesure où la taxe exceptionnelle à 75% ne sera pas déductible et ne pourra pas faire l’objet d’un abattement sur cette surtaxe. Les autres clubs continueront à déduire la taxe exceptionnelle de leur IR ou IS.
Le cas de l’AS Monaco
J’ai soulevé en juillet dernier dans mon rapport parlementaire sur la solidarité entre le sport professionnel et amateur un problème de distorsion de concurrence évident. L’AS Monaco n’est pas concernée par la taxe exceptionnelle sur les hautes rémunérations. Si le club était soumis à la législation française, le montant de la taxe serait de 18,5 millions d’euros pour 16 joueurs concernés…
Au-delà, il existe, selon la LFP, un énorme avantage fiscal et social pour l’ASM que l’on peut estimer à plusieurs dizaines de millions d’euros par rapport aux autres clubs de Ligue 1. Si l’on veut préserver l’équité sur le terrain sportif vis-à-vis des concurrents de l’ASM, il faudrait que cet avantage soit effacé… ou compensé. Pourquoi ne pas envisager un fonds de mutualisation du même montant qui serait redistribué aux autres clubs de Ligue 1 mais aussi en partie au football amateur ? Cette compensation légitime permettrait d’apporter une aide pour les clubs qui ont réellement des difficultés économiques à faire face à la taxe exceptionnelle sur les hautes rémunérations et surtout à ceux qui font des efforts attestés de maîtrise de leur masse salariale.
La « Mort » du football français ?
Bernard Caïazzo, Président de l’ASSE : « Franchement, si les joueurs à hauts revenus qui paient 60% d’impôts en payant eux-mêmes 15% de plus, pendant deux ans et dans le cadre d’un effort national, je ne verserais pas une larme. Mais là, c’est l’employeur qui va payer. »
L’UCPF a décidé du principe d’un lock-out, d’une journée sans matchs qui seront reportés, le 30 novembre prochain. La revendication est simple : non pas un aménagement, mais le retrait pur et simple de la taxe exceptionnelle sur les hautes rémunérations versées par les entreprises. Déjà l’an dernier, quand une taxe à 75% sur les particuliers était envisagée, l’UCPF, la LFP et Bernard Caïazzo étaient farouchement contre la mesure. Pour une raison simple, dans les deux cas, employeurs ou salariés, ce sont les clubs de football qui s’acquittent au final de la taxe, dans la mesure où quelque soit la fiscalité, la grande majorité des contrats passés avec les joueurs le sont sur un salaire net d’impôts…
Jean-Pierre Louvel, Président du Havre AC : « Si la taxe venait à s’appliquer, le football français continuerait certes d’exister mais il retomberait au niveau qui était le sien dans les années 60-70 ».
Sans application de la taxe à 75%, la France est déjà classée 6ème au classement UEFA derrière l’Espagne, l’Angleterre, l’Allemagne, l’Italie et le… Portugal. L’an dernier ou cette année, en Ligue Europa, des clubs comme Bordeaux, Lyon, Nice ou Saint-Étienne ont été battus par des clubs dotés de budgets inférieurs. La fiscalité et la performance des clubs de football ne sont pas directement corrélées : après l’application du bouclier fiscal en 2007, les résultats des clubs Français ont chuté.
Les Présidents de clubs qui se sont plaints de l’application de la taxe à 75% ces derniers jours se sont bien gardés d’ailleurs de parler des allégements fiscaux dont ils bénéficieront en 2014 au titre des 12 milliards d’euros d’efforts budgétaires en faveur des entreprises, en particulier des PME (CICE…).
Jean-Michel Aulas, Président de l’Olympique Lyonnais : « Dans l’absolu, oui, cette taxe est de nature à menacer un projet comme le grand stade de Lyon pour l’Euro 2016 ».
Rappel de quelques chiffres. Coût du stade des Lumières (financement privé) : 400 millions d’euros. Subvention de l’Etat : 20 millions d’euros. Coût pour les collectivités locales des aménagements et accès au stade : 187 millions d’euros. Si les finances de l’OL sont aujourd’hui dans le rouge, ce n’est pas en raison de la perspective de payer 5 millions d’euros au titre de la taxe à 75%, mais en raison des emprunts contractés auprès des banques pour financer le stade des Lumières à hauteur de 248,5 millions d’euros, pour un taux annuel de 7,2% pendant sept ans…
Bernard Caïazzo « Nous avons déjà eu deux morts : Le Mans et Sedan. Il y en aura combien ensuite ? »
La comparaison avec Le Mans (en liquidation judiciaire) et Sedan (dépôt de bilan) n’a pas de sens sachant que c’est après plusieurs saisons en Ligue 2 sans revenus importants que la situation financière de ces deux clubs s’est aggravée, avec, circonstance aggravante, une gestion défaillante où le passif des deux clubs était équivalent au budget.
Les clubs de football professionnels sont pour certains d’entre eux en situation de déficit pour la 5ème année consécutive. Au total : 60 millions d’euros de déficit pour la Ligue 1 et 108 millions d’euros en comptant la Ligue 2. Ces déficits sont générés en grande partie par l’inflation constante du montant des transferts, qu’il s’agit de mieux réguler, et de l’inflation des salaires (+10% par an sur dix ans…).
En deux ans, le chiffre d’affaires des clubs a baissé de 3% alors qu’il a augmenté de 11% en Allemagne. La diminution des recettes liées à la billetterie des stades est de -15% et le sponsoring de -7%. C’est tout le modèle économique du football professionnel qu’il s’agit d’améliorer alors qu’il dépend aujourd’hui à 60% des droits télévisuels. Comme le fair-play financier au niveau européen, et les règles de gestion édictées par la DNCG, la taxe exceptionnelle à 75% est de nature à encourager les clubs qui font des efforts de maîtrise de leur masse salariale.
Autant de sujets qui pourront nourrir les échanges entre le Président de la République et les représentants des clubs jeudi 31 octobre.
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