Signataire de « l’Appel des 44 » lancé en mai 2011, je me réjouis de l’installation par Marisol Touraine, ministre de la Santé et des Affaires sociales, ce mardi 10 septembre de l’Observatoire national des suicides. Le décret portant création de l’Observatoire vient d’être publié (voir ici). L’engagement du Président de la République, sensibilisé à ce combat et qui a parrainé le colloque du 4 février 2013 à l’Assemblée nationale, a été déterminant.
Comme nous le demandions dans l’Appel des 44, cet « Observatoire national du suicide », rattaché au ministre chargé de la Santé, sera indépendant et pluridisciplinaire. Il a pour mission de coordonner et d’améliorer les connaissances sur le suicide et les tentatives de suicide, d’évaluer l’effet des politiques publiques en matière de prévention du suicide, de produire des recommandations, notamment en matière de prévention.
Cette création représente évidemment une réelle avancée. Mais il ne s’agit que d’un premier pas dont nous serons totalement satisfaits lorsque cette surmortalité liée aux suicides aura été fortement réduite dans notre pays. Beaucoup reste donc à faire dans le cadre de l’Observatoire et au niveau des engagements individuels et collectifs que nous avons tous. Savourons néanmoins l’instant car il a fallu beaucoup d’énergies, de temps et d’actions multiples pour emporter la conviction des décideurs et bousculer les tabous.
Ci-dessous, le discours prononcé par Marisol Touraine :
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Mesdames et Messieurs les parlementaires,
Monsieur le Directeur de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques,
Mesdames et Messieurs,
Le suicide concerne chacun d’entre nous, il concerne la société tout entière. Il est un appel au secours, il s’impose parfois comme l’ultime recours pour des personnes seules, des jeunes en détresse ou des âgés malades.
Le suicide peut survenir partout : dans nos centres ville, nos quartiers et nos campagnes, dans nos entreprises et nos maisons de retraite. Il est un acte intime qui frappe tous les milieux sociaux, sans exception.
Toutefois, nous partageons tous ici une conviction : le suicide, bien qu’intimement individuel, peut être combattu collectivement. Sa prévention ne peut pas, et ne doit pas, rester confidentielle.
Aujourd’hui, la réalité du suicide est encore mal connue. Elle reste un sujet tabou, un sujet dont on ose peu parler.
Nous disposons d’innombrables informations sur le suicide. Mais toutes ces données sont mal coordonnées. Nos connaissances sur les tentatives de suicide restent trop faibles et mal documentées. Si nous voulons prévenir et agir en amont, il est indispensable de mieux analyser les comportements qui devraient nous alerter, notamment chez les jeunes ou les personnes âgées.
C’est la raison pour laquelle j’ai annoncé, en février dernier, au Conseil économique, social et environnemental (CESE), la création d’un Observatoire national du suicide, suivant en cela l’une de ses préconisations.
Je tiens à rassurer les sceptiques : mieux connaître ne sera pas un prétexte pour ne pas agir.
Au contraire, décider de mieux repérer, de mieux alerter et de mieux prévenir, c’est ne pas céder à la fatalité.
I/ C’est rappeler que le suicide est d’abord et avant tout un enjeu de santé publique.
En France, toutes les 50 minutes, une personne se suicide. Chaque année, près de 11 000 de nos concitoyens mettent fin à leurs jours. 11 000 morts par an : c’est trois fois plus que les accidents de la route ! Il faut aussi redire sans cesse que le suicide est la première cause de décès chez les 25-34 ans et la 2ème chez les jeunes de 15-24 ans.
Dans le même temps, 220 000 tentatives de suicide sont recensées tous les ans, conduisant à une prise en charge dans nos services d’urgence. La moitié d’entre elles débouche sur une hospitalisation.
Au cours de ces 25 dernières années, des progrès ont été réalisés grâce à la mobilisation de tous : le taux de suicide a baissé de 20%. Toutefois, il a diminué trois fois moins vite que l’ensemble des morts violentes. Certaines tranches d’âges sont même confrontées à une hausse du taux de suicide : c’est le cas des 45-54 ans. Les personnes âgées sont aussi particulièrement touchées : un tiers de celles et ceux qui se suicident a plus de 60 ans. La radicalité de leur geste est souvent le fruit d’une extrême solitude.
S’il n’est pas une fatalité, si les pouvoirs publics ont les moyens de le combattre, c’est parce que le suicide n’est pas seulement la conséquence d’un choix individuel : il est d’abord un fait social. Et existe-t-il un signe plus fort que les inégalités face au suicide pour attester de cette réalité ? Ces inégalités, le rapport du Conseil Economique, Social et Environnemental les a de nouveau montrées.
D’abord, les comportements entre les hommes et les femmes diffèrent : les premiers sont trois fois plus nombreux à se donner la mort, lorsque les secondes effectuent deux fois plus de tentatives.
Dans le même temps, les disparités sociales sont choquantes : les ouvriers sont trois fois plus touchés que les cadres. Celles et ceux qui sont frappés par l’isolement, par la précarité, par le chômage, par le mal-être au travail ou par des ruptures de vie en sont les premières victimes.
Par ailleurs, les minorités sexuelles sont surexposées, et en particulier les plus jeunes, qui doivent souvent affronter des discriminations importantes au moment de l’adolescence. L’homophobie tue, n’ayons pas peur des mots.
Le lieu de vie, enfin, semble déterminant. On observe en effet des disparités flagrantes entre les régions : les taux les plus élevés concernent la Bretagne et la Basse-Normandie. La France est enfin bien plus touchée que ses voisins européens.
II/ Le suicide n’est pas une fatalité. Nous avons donc la responsabilité et le devoir de nous mobiliser pour agir.
Le travail des professionnels et des associations montre chaque jour que nous ne sommes pas impuissants face au suicide.
De nombreuses initiatives se sont avérées efficaces : je sais d’ailleurs que certaines personnes présentes dans cette salle aujourd’hui se sont personnellement engagées sur ce sujet. Plusieurs des dispositifs que vous avez déployés ont fait la preuve de leur efficacité pour prévenir le suicide. Au Centre Hospitalier Universitaire (CHU) de Lille, par exemple, certaines expérimentations visent à maintenir un lien fort avec les personnes après leur sortie de l’hôpital : et les résultats sont là, puisque les récidives ont été réduites de manière significative.
Néanmoins, il est encore essentiel de mieux comprendre le suicide. Les statistiques sont là, mais elles ne suffisent pas pour améliorer nos politiques de dépistage. Par ailleurs, l’évaluation de nos politiques publiques demeure relativement pauvre.
III/ Le lancement de l’observatoire national du suicide marque donc une étape importante.
Ce combat est un enjeu de santé publique. Mais il doit mobiliser beaucoup plus largement. Il requiert que nous soyons collectivement engagés. C’est la raison pour laquelle j’ai voulu que la composition de cet observatoire soit plurielle.
Les associations, d’abord, seront au premier plan. Celles qui représentent les usagers du système de santé, les proches des personnes malades et les associations d’écoute et de prévention du suicide mettront au service de tous leur expérience de terrain. Leur capacité à se mobiliser au plus près de nos concitoyens et à être à l’écoute des personnes vulnérables sera décisive.
Les professionnels de santé occuperont aussi une place déterminante. Des psychiatres, des médecins légistes, des urgentistes, des médecins généralistes, des médecins du travail et des médecins scolaires permettront tous d’apporter une expertise médicale à la compréhension du suicide.
Des chercheurs, notamment des sociologues, des spécialistes du suicide et des parlementaires seront également étroitement associés.
Par ailleurs, les pouvoirs publics joueront pleinement leur rôle. La question du suicide doit être appréhendée dans toutes ses composantes. Elle doit faire intervenir l’Education nationale, le ministère de la justice, celui du travail, celui de l’Enseignement supérieur et de la recherche, le ministère de l’intérieur et celui de l’agriculture. Au total, sept ministères seront représentés au sein de l’observatoire, ainsi que des agences régionales de santé (ARS), des opérateurs et des caisses d’assurance maladie.
Enfin, je tiens à remercier la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES), à laquelle l’observatoire national du suicide sera rattaché. C’est la mission première de la DREES que de doter l’Etat d’une meilleure capacité d’observation, d’expertise et d’évaluation. Je sais ainsi pouvoir compter sur elle, et sur l’engagement de ses agents, pour aider les pouvoirs publics à appréhender le suicide dans toute sa complexité.
Je sais également que les sollicitations ont été nombreuses pour participer aux travaux de l’observatoire. Et je m’en réjouis, car elles illustrent la nécessité de franchir une nouvelle étape dans la compréhension du suicide. Chacun pourra ainsi contribuer aux travaux par le biais de groupes de travail.
IV/ La responsabilité de l’Observatoire national du suicide sera grande.
Ses membres auront pour mission de mieux coordonner les informations existantes, de mieux repérer et de mieux alerter.
Ils auront la charge d’adresser des recommandations aux décideurs publics.
L’observatoire produira un rapport annuel, en développant à chaque fois plus particulièrement une thématique spécifique. Les modalités de son travail seront rapidement précisées et des groupes seront constitués pour avancer, notamment, dans le domaine de la recherche et dans celui de la prévention.
Plusieurs axes thématiques pourront être développés : je pense, par exemple, au suicide des personnes âgées, qui fait l’objet de travaux conduits par Michèle DELAUNAY. Sur ce sujet, nous savons qu’il y a urgence ! Nous avons donc la responsabilité de trouver rapidement des solutions.
Mesdames et Messieurs,
En matière de suicide, nous ne sommes pas condamnés à l’inaction.
Vous pouvez être certains de ma détermination sans faille pour conduire ce combat. La mise en place de l’Observatoire national du suicide s’accompagnera d’une politique volontariste en la matière. Nous n’avons d’ailleurs pas attendu et des mesures ont d’ores et déjà été mises en œuvre : j’ai à l’esprit les actions à destination des jeunes et de leurs parents, la prévention du suicide en ligne ou le renforcement de la formation des professionnels au contact des personnes vulnérables.
Tout ne reposera donc pas sur l’Observatoire national du suicide : mais il sera un outil indispensable pour mieux connaître, mieux prévenir et conduire plus efficacement notre combat contre le suicide.
Je vous remercie.
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