Semaine du 23 au 29 mai

La démocratisation du lycée s’est faite pour l’essentiel via la filière technologique et professionnelle. Ainsi, l’objectif de 80 % d’une classe d’âge au bac n’est presque atteint que grâce aux effectifs de ces filières. C’est pourquoi les députés socialistes membres de la mission d’information sur la réforme du lycée ont d’emblée, dès les premières réunions et auditions, remis en cause le périmètre de la mission et du rapport. La mission d’information ne porte en effet que sur le lycée d’enseignement général et technologique, au motif que la réforme du bac professionnel et par là?même du lycée professionnel avait déjà été lancée et allait être mise en oeuvre à la rentrée prochaine.
Ce n’est pas parce que le mouvement de protestation contre la réforme du bac professionnel a été relativement peu couvert et que les enfants des élites se trouvent à l’état de traces dans les effectifs des lycées professionnels qu’il faut se désintéresser de la filière professionnelle, bien au contraire.
Se pencher sur l’avenir du lycée en oubliant plus de 40 % des lycéens est une singulière manière de penser le rôle et la place du lycée dans le système éducatif et dans la société. C’est un signal très négatif adressé à près de la moitié de la communauté éducative et des lycéens. C’est presque une forme de mépris à l’égard de tous ceux qui s’investissent au quotidien pour la réussite des élèves de l’enseignement professionnel, dans la communauté scolaire et dans les branches professionnelles qui sont associées à la définition des référentiels de formation. C’est en tout cas une coupable indifférence que les socialistes ne peuvent valider.
Ce choix disqualifie en partie la démarche de la mission et contredit les objectifs officiels de la réforme du bac pro, sensée « revaloriser » la filière et qui n’a consisté qu’en la suppression d’une année entière dans le cursus de préparation du bac pro.
Plus grave, cette impasse a privé la Représentation nationale d’informations indispensables :
– sur l’état d’impréparation très inquiétant de la réforme du bac professionnel, y compris même sur les épreuves orales qui vont se dérouler dans quelques jours.
– mais aussi sur le fait que nombre d’élèves désireux de faire le choix du lycée professionnel se retrouvent en 2nde générale, faute de places dans la spécialité souhaitée. Ce qui explique en partie le taux très important de redoublement de la classe de seconde, qui coûte plus d’un milliard d’euros chaque année.
D’ailleurs à aucun moment de la mission la question ne s’est posée de mesurer la part d’orientation subie vers le lycée d’enseignement général et technologique…
Le lycée d’enseignement général et technologique ne fonctionne bien que pour préparer aux filières sélectives de l’enseignement supérieur (classes prépa, IUT…) où se retrouvent d’ailleurs dans des proportions écrasantes les bacheliers issus de la filière S, c’est à dire … les bacheliers d’avant la réforme Haby.
C’est cet incroyable « surplace » qu’il faut conjurer en pensant que la réforme du lycée, qui est pour nous absolument nécessaire, demande du temps et du sens.
Le lycée ne fonctionne pas bien. Et s’il ne faut pas lui faire porter toute la responsabilité de l’échec des étudiants dès la première année de l’enseignement supérieur, tout le monde s’accorde à penser qu’il ne les y prépare pas bien.
Une réforme du lycée est nécessaire.
Nous refusons le statu quo. La question pour nous n’est donc pas de savoir s’il faut une réforme, mais de dire laquelle, et comment la faire réussir.
Lors des quelques 80 auditions et des déplacements que nous avons effectués, qu’avons-nous entendu de façon récurrente ? Qu’il fallait du temps, qu’il fallait donner du sens, que rien ne pouvait se faire sans moyens.
Qu’il fallait du temps
La décision du ministre d’appliquer la réforme dès la rentrée 2009 a été considérée, à juste titre par les enseignants comme par les lycéens, comme un coup de force. Or aucune réforme ne peut aboutir si elle n’est pas, non seulement comprise, mais appropriée par ceux qui auront à l’appliquer et à la vivre.
La Finlande a mis plusieurs années pour réformer le lycée, pays que le ministre dit lui-même prendre pour référence. Certes on objectera que le diagnostic sur le lycée est déjà connu. Par ailleurs Richard Descoings, dans le cadre de sa mission, a visité de nombreux lycées. Et pourtant la défiance que nous avons perçue dans les lycées à l’égard de l’idée même de réforme peut provoquer un tel blocage qu’il est indispensable d’y répondre.
C’est la priorité si on veut, comme nous le pensons, faire bouger le lycée.
Avant d’aborder les propositions concrètes d’organisation du lycée comme le préconise le rapporteur en avançant 30 propositions, il nous paraît essentiel d’établir les conditions et le cadre sans lesquels la nécessaire confiance ne pourra être rétablie entre les acteurs du lycée et le politique qui en a la responsabilité. En voulant gagner du temps, on risque d’en perdre.
Avant de bâtir brique après brique la « maison lycée », il est nécessaire d’en tracer le plan.
C’est ainsi que nous pourrons donner du sens à des mesures qui, sans cela se réduiront à un catalogue sans ambition.
C’est pourquoi, nous proposons que l’année scolaire 2009/2010 soit consacrée à une véritable concertation avec tous les acteurs du lycée sur les chantiers suivants :
– les conditions de vie lycéenne ;
– les savoirs nécessaires à un lycée citoyen du XXIème siècle ;
– le métier d’enseignant ;
– les moyens pour le lycée.
1.- Les conditions de vie lycéenne
Le « lycéen » a changé plus vite que le lycée qui l’accueille.
Souvent majeurs, déjà jeunes adultes, les lycéens que nous avons rencontrés aspirent à la fois à l’autonomie et à un encadrement renforcé qui leur permette de les y conduire.
Cette aspiration est d’autant plus fortement exprimée que les lycéens sont d’origine modeste ou issus d’un environnement socio-culturel qui les excluait, il y a encore peu de temps, du second cycle de l’enseignement secondaire. Par ailleurs, la nécessité d’un travail rémunéré pour subvenir aux besoins de la famille renforce l’inégalité des lycéens entre eux. Cette situation qui n’était que le fait des étudiants touche de plus en plus les lycéens. L’audition du haut-commissaire, récemment chargé de la jeunesse par le Président de la République, ne nous a pas paru répondre à une situation qui devient de plus en plus inacceptable.
Le rapport ne consacre que quelques lignes à ce sujet qui nous paraît pourtant essentiel.
La période de concertation devra permettre de ré-examiner le système des bourses, en liaison avec les régions, mais aussi d’envisager une allocation d’autonomie pour les lycéens les plus soumis aux contraintes économiques.
Il est illusoire de proclamer que le lycée doit devenir un lieu de vie et d’apprentissage de la citoyenneté si beaucoup de jeunes doivent y affronter l’inégalité dans les conditions d’études. On ne peut se contenter de « mesurer le phénomène du travail des lycéens » comme le préconise le rapport dans sa proposition n° 14.
2 – La question des savoirs et des compétences
Que doit maîtriser un jeune entrant dans l’enseignement supérieur pour y réussir : quel savoir, quel savoir-faire ?
Cette question revient à chaque audition. Mais si la question fait l’unanimité, la réponse est différente, voire conflictuelle, selon que l’on s’adresse aux enseignants, aux lycéens ou aux parents. Même si tout le monde est d’accord pour dégager un tronc commun de connaissances, la définition et son périmètre restent sujet à débats, souvent vifs. Les enseignants restent attachés, à juste titre, à leur discipline parce qu’ils sont souvent entrés dans l’enseignement par amour de celle-ci. Les lycéens comme leurs parents insistent, quant à eux, sur l’émergence d’une pluridisciplinarité forte. À ce sujet, ils regrettent tous la suppression des TPE en terminale.
La difficulté de la question des savoirs et de la définition d’un tronc commun des connaissances ne doit pourtant pas nous amener à éluder le sujet, comme le fait le rapport en n’abordant cette question que sous l’angle de la gestion des établissements. Là encore, nous voulons être plus ambitieux, tout en ménageant les étapes nécessaires.
? Nous proposons que le ministre de l’Éducation Nationale convoque, dés la rentrée 2009, une concertation sur le tronc commun des connaissances, à l’image de la commission Thélot débouchant sur le socle commun au collège. M. Xavier Darcos était alors ministre délégué à l’enseignement scolaire. Cette concertation devra déterminer l’introduction éventuelle de nouvelles disciplines… (le droit par exemple) et leur place….(la culture technologique pour tous les lycéens), comme le rapport des disciplines entre elles, dans le cadre d’une réorganisation du temps scolaire. À ce sujet, la proposition n° 7 du rapport qui préconise 30 heures pour le tronc commun, sans définir le périmètre et la nature de ce tronc commun, ne va pas jusqu’au bout de la logique qu’elle prétend défendre. Par ailleurs, la proposition n° 4 tranche prématurément l’organisation du cycle terminal et les rapports entre la filière générale et la filière technologique.
? D’ores et déjà, nous proposons de généraliser des expériences (comme celle effectuée au lycée Jean Renoir de Bondy) où, à l’initiative des professeurs, l’interdisciplinarité a permis de dégager une demi-journée entière pour l’accompagnement individualisé des élèves. Il est à noter que le lycée Jean Renoir, en zone sensible et qui obtient des résultats tout à fait remarquables, a bénéficié de dotations supplémentaires, ce qui pose bien le problème des moyens.
3 – Le métier d’enseignant
Nous ne pouvons nous contenter d’aborder le sujet essentiel du métier d’enseignant sous le seul angle administratif des décrets de 1950 sur le service hebdomadaire des professeurs du secondaire – (une page et demie sur un rapport d’une centaine de feuillets !)
« Un métier d’enseignant redéfini » titre le rapport : prendre cette perspective du rapport à la lettre, c’est d’abord poser le problème fondamental de la formation des enseignants. À ce titre ambigu, nous préférons : « une formation professionnalisante pour permettre aux enseignants d’assumer leur tâche ».
? Enseigner : un vrai métier qui doit être reconnu
Liberté pédagogique, du temps pour être aux côtés de leurs élèves, voilà ce que réclament la plupart des enseignants que nous avons rencontrés. Mais tous souffrent d’un manque de reconnaissance de leur implication personnelle, allant très souvent au-delà de leurs obligations de service. Beaucoup vivent l’échec scolaire et le fossé qui les sépare parfois des lycéens comme une remise en cause de leurs compétences.
C’est pour contribuer à répondre à ce malaise profond que nous faisons trois propositions.
La disparition de fait des IUFM ne va pas dans le sens de cette professionnalisation et nous la condamnons. Si nous ne sommes pas contre la « mastérisation » du recrutement des enseignants, l’absence de stages véritables jette trop souvent de jeunes étudiants dans un métier dont ils ne connaissent pas les contraintes.
Un « master » enseignant doit être créé avec une véritable formation en alternance.
Un tel pré-recrutement, qui a déjà existé, permettrait également d’ouvrir le corps enseignant à une plus grande diversité socio culturelle du corps des professeurs.
4 – Les moyens : sortir de l’a priori idéologique de la réduction du nombre d’enseignants
Ce problème des moyens a été abordé systématiquement lors de chacune des auditions.
Il est au coeur de toute réflexion sur l’avenir du lycée.
Tout n’est pas affaire de moyens, ni dans un sens, ni dans l’autre.
Demander des moyens supplémentaires sans faire au préalable une évaluation des besoins à terme ne tiendrait pas compte de la nécessaire rigueur dans la dépense publique. Mais appliquer la suppression massive de postes (13 500 dans le budget de l’Éducation Nationale pour 2009 !) par le non remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite relève de l’a priori idéologique qui fait aujourd’hui de l’État le premier licencieur du pays.
La promesse faite sous la contrainte des manifestations du monde enseignant de ne pas supprimer de postes au lycée n’a pas été suivie d’effet.
Nous réitérons notre proposition du gel des suppressions de postes dans l’ensemble de l’Éducation Nationale en attendant une évaluation partagée des besoins pour les cinq ans à venir. C’est à partir de cette évaluation qui concernera l’ensemble de l’enseignement scolaire, et donc le lycée, qu’un plan pluriannuel de recrutement pourra être établi. Seule la pluriannualité du recrutement des enseignants permettra d’éviter « les coups d’accordéon » et donc le recours massif aux heures supplémentaires et l’appel à des vacataires, aggravant la précarité de l’emploi chez les enseignants, et notamment les jeunes.
Nos propositions :
– dans l’immédiat, gel de toute suppression de postes dans l’ensemble de l’Éducation Nationale dont le budget sera « sanctuarisé ».
– mise en place d’un plan pluriannuel de recrutement sur cinq ans (le temps d’une législature !) après audit des besoins.
Des propositions qui sont des engagements
Ces quatre chantiers qui débouchent sur des propositions pour certaines d’application immédiate sont des engagements à l’égard de tous les acteurs qui font vivre le lycée : enseignants, lycéens, parents.
Nous pensons que les 30 propositions avancées dans le rapport ouvrent le débat mais ne peuvent en aucun cas recueillir notre approbation par un vote qui figerait des questions qui restent ouvertes. Il est évident que nous ne pouvons qu’approuver des propositions consensuelles comme la limitation des horaires hebdomadaires des lycéens ou la nécessaire refonte de l’année scolaire. Encore faut-il que l’on prenne le temps de la concertation, revendiquée par tous, sans laquelle ces bonnes intentions ne seraient que des vœux pieux.
Nous considérons donc le rapport de notre collège Benoist Apparu comme une contribution au nécessaire débat qui doit enfin s’ouvrir sur le lycée: le ministre Xavier Darcos n’a-t-il pas lui-même décidé de « remettre tout sur la table » après le retrait de la réforme le 15 décembre dernier.
Nous souhaitons donc que les propositions du rapport soient rendues publiques au même titre que notre contribution qui constitue, selon nous, le cadre indispensable à un débat qui doit déboucher sur la nécessaire réforme du lycée. Encore faut-il en créer les conditions notamment budgétaires. Certaines propositions du rapporteur Benoist Apparu nécessiteraient des moyens supplémentaires : par exemple, la création d’un professeur référent ne peut être basée uniquement sur le volontariat ou la simple attribution d’heures supplémentaires.
En ce qui nous concerne, nous pensons que nos engagements constituent un préalable pour la réussite de l’indispensable réforme du lycée.
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