Semaine du 23 au 29 mai

8000 hectares sont partis en fumée à la suite des incendies dans le Var à cause sans doute d’un mégot de cigarette… : deux morts, 13 soldats du feu blessés -merci aux sapeurs-pompiers sur place dont 32 ligériens venus en renfort- et au-delà du drame humain, de la désolation pour les habitants qui ont pour certains tout perdu ou ont été déplacés par milliers sur place, cet incendie est une véritable catastrophe écologique.
En effet, le préjudice écologique en matière de biodiversité est inestimable.
La moitié de la réserve nationale de la plaine des Maures créée en 2009 a été ravagée par l’incendie. Cette réserve avait de faux airs de savane africaine avec ses roches de grès rose orangé, ses majestueux pins parasols, châtaigniers, chênes blancs, chênes-lièges, ses rus, ses mares et ses étangs.
Des milliers d’hectares de la « savane provençale » sont partis en fumée alors qu’elle accueille 241 espèces de faune et de flore protégées. La forêt mettra 30 à 40 ans à se reconstituer.
On déplore la disparition de paysages parmi les plus beaux de France, entre pins à pignons séculaires et chênes hors d’âge, où s’étiraient des vignes et quelques oliveraies, de profondes ripisylves, des dalles de grès rouge presque exotiques
Des humus et lichens, parfois centenaires, des orchidées emblématiques de la région sont aussi partis en fumée. Il faudra attendre de nombreuses années pour retrouver de tels paysages.
Ce processus sera d’autant plus lent que le feu a été d’une extrême virulence et fait suite à d’autres incendies survenus en 1976, 1989 et 2003, où 20 000 hectares avait été ravagés par les flammes.
De nombreuses espèces végétales ne s’en remettront pas. Comme la renoncule de Rodié, certaines orchidées ou fougères archaïques qui ne vivent que dans la plaine des Maures. Beaucoup d’animaux n’ont pas non plus survécu au passage de l’incendie.
Parmi les espèces protégées figure notamment la tortue d’Hermann, seule tortue de terre française. Menacée d’extinction, elle vivait autrefois sur tout le pourtour méditerranéen, de la frontière espagnole à la frontière italienne. Aujourd’hui, elle n’est plus présente que dans le Var avec 15 000 spécimens, dont 10 000 dans la seule réserve et en Corse.
Ces reptiles sont loin d’être les seuls animaux à souffrir de l’incendie. Jeudi, lors de leurs recherches, les bénévoles sont également tombés sur d’autres espèces menacées par les flammes, comme une couleuvre de Montpellier.
Autre source d’inquiétude : les lézards ocellés. Ce reptile qui peut atteindre les 80 cm de longueur – le plus grand d’Europe – vit également dans la réserve de la plaine des Maures. Inscrit sur la Liste rouge des espèces menacées, il est aujourd’hui en danger face aux flammes.
Le massif des Maures, en dehors de la réserve, a également brûlé. Or la forêt jouait un rôle régulateur avec la plaine, où les températures frôlent les 40° degrés l’été. Sans cette régulation, naturelle, les températures vont augmenter.
Même s’ils sont provoqués à 90 % par l’homme comme dans le Var, les incendies de forêt sont à la fois la conséquence et la cause du réchauffement climatique.
La conséquence car plus les températures augmentent, plus la végétation se dessèche, plus la pluviométrie recule et plus l’eau contenue dans les sols diminue.
Ce danger météorologique de feux de forêt augmente significativement depuis les années 1960. Il a pris des proportions dramatiques cette année avec des incendies spectaculaires en Californie, en Grèce, en Italie, en Turquie, en Algérie ou en Sibérie.
En émettant plus de CO2, ces feux géants alimentent aussi le réchauffement.
Partout en Europe, la faune est menacée par les incendies.
En Turquie, en Grèce, en Algérie… Dans tous les pays touchés ces dernières semaines par des incendies, les animaux ont payé un lourd tribut. Le Fonds mondial pour la nature (WWF) s’est ainsi inquiété cette semaine des conséquences pour la faune sauvage, comme les lynx du désert, ou le cerf corso-sarde, des feux qui ont ravagé le bassin méditerranéen, mais aussi la Russie.
En Turquie, « les forêts et les montagnes des provinces de Mugla et d’Antalya, où résident les espèces iconiques du caracal et de la chèvre sauvage égagre, ont subi des dégâts importants », souligne le WWF.
En Grèce, l’inquiétude plane sur le cerf élaphe. Le nord de l’Attique, où des feux se sont déclenchés, est la seule zone dans le sud de la Grèce où vit encore cette espèce menacée d’extinction dans le pays.
En Russie, les forêts de la république sibérienne de Iakoutie en proie aux flammes « menacent de nombreux grands animaux vivants dans les aires protégées de la région », des espèces communes dans cette zone comme le wapiti, le renne sauvage, le chevreuil, l’ours brun, le glouton, le lynx et l’écureuil volant », énumère le WWF.
? A lire pour aller plus loin l’article du Monde : « La planète entre dans l’ère des mégafeux »
Le réchauffement climatique va augmenter le risque de voir ces événements dévastateurs se multiplier
Des deux côtés de l’Atlantique et de part et d’autre de la Méditerranée, de la Scandinavie aux Balkans et de la Sibérie aux marges septentrionales du Sahara, les forêts brûlent.
Dans des pays riches comme déshérités, sous des latitudes et des climats différents, des écosystèmes entiers partent en fumée dans des incendies monstres, certains d’une ampleur jamais vue dans l’histoire récente.
Avec, comme seule cause commune à cette prolifération mondiale de « mégafeux » la sécheresse et l’envol du thermomètre planétaire – selon la NASA, le mois de juillet a été le mois le plus chaud, en moyenne mondiale, observé depuis le début des mesures au milieu du XIXe siècle.
Ce n’est pas une surprise. « On sait depuis longtemps que le réchauffement va augmenter la fréquence et l’étendue des incendies, explique Jean-Luc Dupuy, directeur de recherche à l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae) et spécialiste de la modélisation des feux de forêt.
C’est particulièrement clair aux Etats-Unis, où on dispose de statistiques solides montrant que le nombre de grands feux a fortement augmenté depuis les années 1980. Or, on sait que cette augmentation est liée au dessèchement accru de la végétation et que le réchauffement allonge les périodes de l’année au cours desquelles la végétation se dessèche. »
Le cas emblématique est celui de la Californie, dont les relevés statistiques sont éloquents. Sur les dix plus grands incendies recensés depuis 1932 par Cal Fire, l’agence californienne de lutte contre les incendies, tous sont postérieurs à 2000. Et six se sont produits depuis août 2020.
Le constat est vertigineux : la majorité des dix feux de forêt les plus importants, recensés en près d’un siècle, dans le grand Etat de l’Ouest américain, se sont produits au cours des douze derniers mois.
Le plus vaste d’entre eux, baptisé « August Complex Fire », a détruit la végétation sur plus de 415 000 hectares (plus de 4 150 kilomètres carrés, une superficie équivalente à celle du département français des Pyrénées-Orientales). Démarré mi-août 2020, il n’a été officiellement déclaré éteint que le 12 novembre.
Cette année, le Dixie Fire, toujours en cours et hors de contrôle, totalise déjà plus de 250 000 hectares brûlés depuis juillet. La saison actuelle surpasse, de loin, le record établi par la précédente. Au 17 août, 450 000 hectares avaient brûlé en Californie, contre 350 000 hectares à la mi-août 2020. Il y a vingt ans, quelque 174 000 hectares brûlaient chaque année en moyenne dans le Golden State. Au cours des cinq dernières années, c’est en moyenne quatre fois plus.
Si la Californie occupe l’actualité, d’autres Etats américains sont frappés par de grands incendies. Et la saison des incendies n’est pas terminée. Ailleurs dans le monde, l’ampleur de certains événements marque aussi les esprits. « En particulier, les grands incendies qui ont frappé l’Australie au cours de l’été austral 2019-2020 [environ 17 millions d’hectares brûlés] ont fait l’objet d’études d’attribution qui suggèrent un lien avec le réchauffement, en dépit des incertitudes liées au fonctionnement des modèles », relate M. Dupuy.
Presque 50 °C en Sibérie
Loin des grandes agglomérations urbaines, les feux qui ravagent la Sibérie depuis le début de l’été font moins parler d’eux, mais ils n’en sont pas moins comparables aux incendies américains. Le 16 août, l’agence russe de surveillance des forêts, Rosleskhoz, estimait à 16 millions d’hectares la superficie partie en fumée depuis le début de l’année dans le pays. Soit un territoire plus grand que la Grèce.
Les relevés effectués par le système européen de surveillance Copernicus permettent, eux, d’évaluer que ces feux ont dégagé des masses record de dioxyde de carbone – 505 millions de tonnes pour la seule région de la Iakoutie, la plus touchée. En Russie, l’été 2021 est celui de tous les records, et la situation est loin d’être sous contrôle, avec encore huit régions placées en état d’urgence.
Comme c’est désormais habituel, les premiers feux se sont déclarés au mois d’avril, dès la fonte des neiges, dans les régions septentrionales. Certains incendies, dans les tourbières, continuent même de couver sous la terre durant la saison froide.
Les feux ont ensuite été favorisés tout au long de l’été par des températures brûlantes – le mercure a de nouveau frôlé les 50 °C en Sibérie – et la sécheresse est la plus sévère depuis cent cinquante ans. Début août, la NASA rapportait que la fumée des incendies de la Iakoutie avait « traversé plus de 3 000 kilomètres pour atteindre le pôle Nord, ce qui semble être une première dans l’histoire documentée ».
Là encore, un retour à la normale apparaît peu probable dans les prochaines années et décennies. Dans le nord de l’Eurasie comme ailleurs, le réchauffement favorise les conditions d’émergence et de développement des mégafeux.
En mai, dans une étude publiée par la revue Climatic Change, une équipe internationale estimait que la canicule prolongée qui a frappé la Sibérie début 2020 – avec plus de 38 °C relevés dans le nord du cercle polaire – aurait été « physiquement impossible » dans les conditions climatiques du début du XXe siècle.
D’autres travaux ont montré qu’aux plus hautes latitudes de l’Europe de l’Ouest le changement climatique a aussi des effets majeurs : sans lui, les feux de forêt géants qui ont touché la Suède à l’été 2018 auraient été extrêmement improbables.
Environ 25 000 hectares avaient brûlé, et Stockholm, débordé, avait dû demander l’aide de l’Union européenne qui a coordonné sa plus importante intervention de lutte contre les feux de forêt, mobilisant sept avions, six hélicoptères et soixante-sept véhicules venus d’Italie, de France, d’Allemagne, de Lituanie, du Danemark, du Portugal et de Pologne.
Les tendances à l’œuvre sur les immenses espaces forestiers d’Amérique du Nord, d’Eurasie ou d’Australie permettent, parfois, de détecter le signal amplificateur du réchauffement. Mais ce n’est pas le cas ailleurs dans le monde. « Je pense que le réchauffement a désormais un impact partout, mais il est très difficile de le mettre en évidence, car, selon les régions, d’autres facteurs ont également une influence », affirme M. Dupuy.
Le fait peut sembler contre-intuitif, alors que plusieurs grands feux se sont déclarés ces dernières semaines en Europe du Sud et sur le pourtour méditerranéen – en Grèce, en Turquie, au Portugal, en Algérie et en France, notamment –, mais les tendances lourdes sont en baisse, en Europe, par rapport aux années 1970-1980.
« A l’exception de quelques pays, notamment la Grèce et le Portugal, les politiques mises en œuvre en Europe ont permis de faire diminuer, parfois fortement, les superficies brûlées depuis une quarantaine d’années, poursuit M. Dupuy. En particulier la surveillance et la détection précoces des événements, puis l’intervention rapide sur les feux avant qu’ils ne deviennent incontrôlables, ont été des leviers importants. »
Entretien des forêts
Aux Etats-Unis, Joe Biden a annoncé la mise à disposition de moyens scientifiques fédéraux pour identifier les feux avant qu’ils ne se déploient en mégafeux hors de contrôle. Les agences scientifiques fédérales disposent de satellites détectant les départs d’incendie alors qu’ils ne sont « pas plus grands qu’une table de salle à manger », a-t-il assuré.
Le président américain a également promis des mesures de relèvement du salaire des pompiers et la création de postes permanents. Après les feux, les pompiers s’occuperont aussi de la réduction du risque et de la gestion des forêts.
De telles activités peuvent s’avérer payantes. La Finlande, par exemple, couverte à 75 % de forêts, est parvenue à diviser par dix les surfaces brûlées depuis l’après-guerre, malgré des épisodes de chaleur et de sécheresse plus fréquents.
La prévention passe notamment par l’entretien des forêts, régulièrement éclaircies, ainsi que par des délimitations claires entre les parcelles, dont 60 % appartiennent à des particuliers.
En Europe, un facteur aggravant pourrait être, paradoxalement, la déprise agricole dans certaines zones, notamment montagneuses, et la recolonisation de ces espaces par la forêt. Généralement appréciés des biologistes de la conservation, les grands massifs forestiers non exploités pourraient être une autre cause des mégafeux sur le Vieux Continent.
« Certains objectifs de conservation de la nature pourraient conduire à maintenir des espaces forestiers continus et étendus, avec une accumulation de biomasse combustible, ce qui est favorable à la propagation des grands feux, résume M. Dupuy. Et, à l’inverse, la prévention des incendies par la fragmentation de l’espace forestier serait défavorable à ces objectifs de conservation. Cela illustre la nécessité de compromis entre les objectifs. »
L’objectif de prévention du risque d’incendie ne s’accommodera pas, en tout cas, du statu quo. Une récente synthèse de la littérature scientifique, publiée dans la revue Annals of Forest Science, précise qu’en l’absence de réduction des émissions de gaz à effet de serre les superficies brûlées en Europe méridionale pourraient augmenter de 5 % à 50 % par décennie.
Conséquence spectaculaire et économiquement désastreuse de l’augmentation des températures – en particulier dans les pays touristiques –, la prolifération des grands incendies participera-t-elle à la prise de conscience des dirigeants politiques et des populations sur la gravité de la dérive climatique ? Ils nourrissent déjà, en tout cas, un mécontentement grandissant.
C’est notamment le cas en Turquie, où les surfaces boisées parties en fumée ont atteint près de 180 000 hectares cette année – soit quelque huit fois plus que la moyenne relevée au cours de la dernière décennie.
Les autorités ont été fortement critiquées pour leur incapacité à réagir à la succession de feux catastrophiques, qui ont révélé que le pays ne disposait pas d’avions bombardiers d’eau fonctionnels, comme l’a admis le président, Recep Tayyip Erdogan. Sur les six appareils de la flotte turque, aucun n’était en état de voler a expliqué Bekir Pakdemirli, le ministre de l’agriculture et des forêts. « Trois d’entre eux sont sans moteur, des oiseaux ont fait leur nid à l’intérieur », a-t-il expliqué.
Sur les réseaux sociaux, les internautes se sont épanchés sur le fait que le président dispose de treize avions personnels, mais que pas un avion bombardier d’eau n’était en état de fonctionner. « Pour le prix d’un avion de la présidence, on pourrait acheter plusieurs Canadair », a relevé Ali Babacan, un ancien compagnon de route du président, passé dans l’opposition.
Colère en Algérie
Même colère en Algérie, où les incendies de ces dernières semaines ont fait plus de 90 morts. Ce bilan provisoire est déjà le plus lourd enregistré pour de tels événements.
Vivement critiquées à cause des moyens dérisoires mis en œuvre pour lutter contre le feu et assister les sinistrés, les autorités ont entamé des négociations avec un constructeur russe, dans le but d’acquérir quatre avions bombardiers d’eau « pouvant intervenir contre les incendies de forêt dans des conditions météorologiques extrêmes et complexes », indique un communiqué du ministère de la défense nationale.
L’Algérie ne possède aucun avion assez puissant pour lutter contre les grands feux et ne dispose que d’hélicoptères bombardiers d’eau acquis en 2012.
Loin de là, en Russie, la sévérité de la situation a poussé Vladimir Poutine à s’exprimer. Le président russe s’est inquiété, mi-août, des catastrophes naturelles d’une ampleur « absolument sans précédent », évoquant aussi bien les feux de forêt que les inondations dans le sud du pays. « Tout cela montre encore une fois à quel point il est important de nous engager de manière profonde et systématique, à l’avenir, dans le programme climatique et environnemental », a-t-il ajouté.
Une déclaration étonnante pour celui qui insiste plutôt, d’ordinaire, sur les avantages supposément offerts par le réchauffement, pour son pays.
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