Quels sont les freins que rencontrent les femmes pour accéder aux plus hautes responsabilités des instances sportives ?
Si le pourcentage de femmes élues dans les fédérations sportives augmente, peu d’entre elles accèdent aux plus hautes sphères du pouvoir et aux responsabilités stratégiques.
Des formations sont organisées pour y remédier. Mais, sans une réflexion globale sur les rapports femmes/hommes au sein des associations sportives, ces temps d’échange portent-ils réellement leurs fruits ?
Lors du webinaire, après avoir constaté les faibles chiffres relatifs à la place des femmes dans la gouvernance du sport, nos intervenants ont questionné les mécanismes en place (quotas, formations proposées, plans de féminisation, conférence permanente du sport féminin, expériences personnelles, élections en cours..).
Nos expert.e.s ont dressé des perspectives de changement tout en évoquant la proposition de loi discutée en ce moment à l’Assemblée Nationale.
Vivez ou revivez notre webinaire #5 sur « Madame la Présidente : pourquoi ça coince encore ? » qui s’est tenu mercredi 24 mars 2021 à 12h avec nos intervenants :
Emmanuelle Bonnet-Oulaldj (co-présidente de la FSGT et candidate au CNOSF),
Annabelle Caprais (docteure en sociologie du sport auteure d’une thèse sur le sujet),
Nathalie Huet (ex-candidate à la présidence de la fédération française de badminton)
Régis Juanico (député de la Loire et membre du conseil d’administration de l’Agence nationale du sport)
Mes interventions :
Effectivement il y a une proposition de loi qui est en discussion, qui vise à démocratiser le sport en France. Elle n’a pas encore été adoptée, elle a fait l’objet d’une lecture à l’Assemblée nationale, en Commission et en Séance publique, la semaine dernière.
Et comme c’est en procédure accélérée, il faut encore qu’elle soit inscrite à l’ordre du jour du Sénat, ce qui aujourd’hui n’est pas complétement acquis, et qu’elle soit définitivement votée pour entrer en application.
Vous évoquez un projet de loi sport et société qui était en préparation depuis 3 ans. Là on est sur une proposition de loi, à l’initiative du groupe En Marche.
J’ai été un petit peu taquin dans les débats puisque j’ai proposé dans un amendement « clin d’œil » de changer le titre pour évoquer une proposition de loi qui portait diverses mesures relatives au sport.
C’est un peu plus conforme au contenu de la proposition de loi, mais il y a au moins une chose de sûre c’est que le titre 2 de la loi porte sur la gouvernance des fédérations sportives et introduit un certain nombre de changements.
Il y a ce qu’il y a dans cette proposition de loi et ce qui n’y est pas. Je reviendrai peut-être en une minute, mais en tout cas, sur le titre 2 il y a des avancées sur la question de la parité, de la représentation des femmes.
Il y a des avancées sur la question du non-cumul puisqu’on ne pourra pas aller au-delà des 3 mandats pour les dirigeants de fédérations et il y a aussi des avancées qui concernent l’élection et la démocratisation de l’élection des instances dirigeantes au niveau des fédérations puisque maintenant il sera précisé qu’il faut 50% des clubs dans le collège électoral qui vote pour l’élection d’un président de fédération.
Le mode de scrutin va changer si la loi est votée ?
Oui, sur la parité, il y a des avancées. C’est indéniable. Ça a été évoqué. Le droit en vigueur était la loi de 2014 avec une représentation minimum de 40% de chacun des deux sexes au sein des instances dirigeantes fédérales. Et puis une représentation minimum de 25% de l’un des deux sexes pour les autres fédérations.
Je précise que la loi votée en 2014 a commencé à produire des effets puisqu’au renouvellement de 2016 et 2017 on est passé d’un taux de féminisation des instances dirigeantes de 25% à 35% en 2018.
Je crois beaucoup au volontarisme. J’ai voté toutes les lois qui permettent d’avancer, notamment sur la parité en politique, où là aussi il y a eu de fortes avancées, y compris ici à l’Assemblée nationale où on partait de très loin ces dernières années et je crois au fait d’inscrire dans la loi des étapes volontaristes.
Ce sera le cas puisque ce qui est prévu dans la loi, c’est que dès 2024, et sans attendre des renouvellements ultérieurs en 2028, il y a eu des débats à ce sujet dans le mouvement sportif, la parité dans instances nationales est prévue. On passera de 40 à 50% dans les instances nationales.
Dans les instances régionales également mais pas dans les instances départementales. Il manque un maillon, qui est plus difficile à réaliser dans les faits, mais sur lesquels il va falloir peut-être progresser dans les prochaines années.
Pour ce qui est des fédérations où il y a moins de 25% de licenciées, par contre, ce qui est prévu, qui va plus loin que ce que demandait le mouvement sportif, il faut le reconnaitre, le gouvernement a été plus volontariste, c’est qu’il y ait une proportion minimum de 25% notamment dans les échelons déconcentrés régionaux.
Il y a deux autres avancées. On a mis dans la loi la composition paritaire du bureau du CNOSF. C’est un amendement qui était présenté par Marie-George Buffet et moi-même. Et puis, on y tenait beaucoup, on a obtenu qu’il y ait deux représentants des sportifs de haut niveau qui soient présents pour siéger dans les comités directeurs des fédérations, ce qui n’étaient pas le cas, et cette composition sera obligatoirement paritaire.
Cette loi a déçue. Est-ce que vous pouvez nous dire sur quoi il y a des manques ?
Sur le sport au féminin, on évoquait tout à l’heure la question des campagnes électorales. Je considère que ça relève davantage des statuts du CNOSF et des fédérations. Ce sera un des éléments de débat dans la campagne entre les différents candidats et candidates d’ici juin, mais il faut des règles d’équité. Des règles qui permettent des candidatures dans leur très grande diversité.
Et puis surtout, je suis un peu au regret de ne pas avoir pu défendre des amendements que j’avais préparé -déclarés irrecevables car sans lien avec le texte !-et qui concernent la conférence permanente du sport féminin, qui est l’outil qui a été mis en place par la loi sur le sport du 1er mars 2017.
Nous avons eu l’occasion avec Cédric Roussel dans un rapport en juillet dernier de dire que cette instance ne joue pas le rôle qui devrait être le sien, c’est-à-dire de promotion et du développement du sport féminin, de visibilité, de médiatisation. Tous les témoignages que nous avons eus, contrairement à une autre instance comparable qui est celle du supportérisme, sous l’égide du Ministère des Sports, nous ont fait état d’un manque de volontarisme politique sur la question de la conférence permanente du sport féminin.
Nous souhaitions l’adosser un peu plus au Parlement, que deux parlementaires puissent y siéger et surtout que chaque année cette conférence revienne vers le Parlement pour faire son rapport annuel d’activité, qu’elle fasse des recommandations et émettent des avis sur les projets de loi.
Ce n’est pas le cas aujourd’hui ?
Mais je ne lâche pas l’affaire. Il faut qu’on progresse et qu’on fasse des propositions pour améliorer cette conférence permanente, et qu’on puisse, au-delà de la Ministre des Sports, qui doit jouer un rôle moteur, qu’on puisse avoir une vice-présidente élue parmi les personnes qui siègent dans cette instance et qui s’est réunie très peu de fois depuis 3 ans.
Pour moi c’est très important, le ministère a porté le sujet de la lutte contre les violences sexuelles dans le sport, je crois de façon satisfaisante, il a porté la question du supportérisme, il faut qu’on porte à un niveau très haut la conférence permanente du sport féminin.
Est-ce que l’encadrement des bénévoles doit passer par la loi ?
Sur la formation, je suis pour qu’on laisse au bon niveau, c’est-à-dire au niveau des fédérations et du mouvement sportif, les actions à mener. Je regrette qu’on n’emploie plus le terme de plan de féminisation qui avait été mis en place il y a quelques années et qui permettait de donner des indicateurs pour voir quelles étaient les fédérations qui avaient des actions plus exemplaires que d’autres.
Mais je le dirai au prochain Conseil d’administration de l’Agence nationale du sport : il faut qu’on ait un suivi de ce qui se passe dans les fédérations avec les conventions d’objectifs qui sont définies par l’Agence nationale sur sport avec les fédérations, qu’on ait un malus associé à ces questions-là. Ça me parait tout à fait évident.
Tout comme dans les collectivités territoriales il faut qu’on ait de plus en plus des rapports égalité femmes hommes qui puissent aussi s’appliquer aux crédits alloués par les collectivités territoriales au développement et à la promotion du sport féminin.
Et puis aussi je termine sur la question de la reconnaissance du bénévolat associatif. Je suis, par définition, assez opposé à la question d’un statut mais par contre on peut aller par un certain nombre d’améliorations sur une meilleure reconnaissance.
Il y a déjà le compte d’engagement citoyen qui est enfin mis en œuvre, le congé de bénévolat de 6 jours par an qu’on peut obtenir de son employeur, mais il faut aller plus loin par rapport aux catégories des femmes actives qui sont souvent dans la précarité comme ça a été évoqué, mais qui font aujourd’hui l’essentiel des taches ménagères, des taches familiales.
Je pense qu’il faut avoir des mesures spécifiques qui permettent d’articuler à la fois leur vie personnelle avec leur engagement associatif ou bénévole dans les instances dirigeantes. On a des progrès à faire et on en discutait hier soir avec la Ministre en charge de la vie associative ici même dans l’hémicycle, pour qu’on aille plus loin en ce qui concerne la reconnaissance du bénévolat.
Un autre regret aussi que j’ai sur le texte de loi démocratisation du sport c’est qu’il n’ait pas été voté il y a plus d’un an. Si comme annoncé, la loi avait été votée en 2019, nous aurions pu ne pas perdre 4 ans entre 2020, le renouvellement des instances et 2024.
C’est un probleme, on perd du temps, il faut qu’on aille plus vite, c’est pourquoi on a écarté toutes les véléités de reporter en 2028 l’application de ces règles. Et je le redis, nous avons encore un trou dans la raquette qui est l’échelon départemental sur lequel il va falloir que le mouvement sportif se penche suffisamment pour savoir comment on peut progresser.
Et il y a un autre trou dans la raquette. On avait introduit en commission des règles équivalentes pour les ligues professionnelles, mais comme l’amendement a été complétement réécrit par le Gouvernement en séance, il faudra remettre les ligues professionnelles dans la boucle au Sénat. Je ne sais pas si vous avez vu la composition du comité directeur de la ligue nationale de rugby, il n’y a que des hommes. Il y a quand même un léger problème même si on est sur une ligue professionnelle de rugby par définition masculine.
Le mot de la fin ?
Sur la médiatisation, cela fait partie des missions notamment de la conférence permanente du sport féminin que j’ai évoqué tout à l’heure et dont on considère que son fonctionnement n’est pas satisfaisant. Mais il y a des personnalités qui y siègent dont 3 de l’audiovisuel et notamment Nathalie Sonnac du Conseil national de l’audiovisuel.
Il y a des légers progrès, en 2017 on devait être à 7% des retransmissions sportives dans les médias consacrées au sport féminin, on est à 16 ou à 18% aujourd’hui. Mais je pense qu’on n’y arrivera pas à coup de journées ou de weekend chaque année où on met le focus sur le sport féminin. Il faut aller beaucoup plus loin.
Et un fond de médiatisation audiovisuel qui existe à l’Agence nationale du sport et son montant est assez faible. 1 million et demi d’euros pour l’ensemble des disciplines et sur l’ensemble de notre pays c’est quand même peu. Je pense que là-dessus on a des leviers à actionner.
Et puis je termine sur la question de la fragilité du modèle économique et financier des sports féminins. Ça a été dit au tout début, il y a aussi de vraies avancées sociales, je pense notamment à ce qui s’est passé avec l’accord DIHANE dans le handball. C’était 15 ans après le handball masculin, mais là avec des vraies avancées sociales sur la question de la maternité, de couverture sociale et de salaire maintenu.
On a une vraie fragilité en matière de modèle économique et financier du sport professionnel féminin, très dépendant des clubs masculins, très dépendant des collectivités territoriales et les droits télé, il n’y en a pas beaucoup dans le sport professionnel féminin et encore moins de recettes de billetterie et de sponsoring.
On a une faiblesse structurelle et je pense qu’il faut réfléchir ç un nouveau modèle spécifique pour le sport professionnel féminin, de façon originale, sur le modèle coopératif, en mutualisant des choses peut être, entres disciplines.
J’ai vu qu’à Clermont-Ferrand il y avait des clubs qui s’étaient mis ensemble et je trouve qu’il y a peut-être des choses à creuser, sinon on va vers de cruelles désillusions dans les mois qui viennent. Le sport féminin comme les parasports sont extrêmement fragilisés par la crise sanitaire. On évoquait tout à l’heure les fédérations scolaires ou les fédérations multisport. C’est là où on a le plus de baisse de licenciés. Il y a une attention particulière à avoir dans la période de difficultés du monde sportif.
Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.
Laisser un commentaire