Le gouvernement de coalition de gauche en Espagne veut accélérer la mise en place d’un « revenu universel », afin de soutenir les personnes laissées sans ressources par la pandémie de Covid-19.
L’Espagne, deuxième pays le plus endeuillé après l’Italie, a enregistré un record de 300 000 chômeurs supplémentaires en mars. « Il y a un large consensus » au sein du gouvernement et « nous sommes en discussion entre plusieurs ministères pour mettre au point la mesure », a déclaré ce mardi le ministre de la Consommation Alberto Garzon, issu du parti de gauche radicale Podemos qui gouverne en coalition avec les socialistes de Pedro Sanchez.
« Nous allons le faire dès que possible », avait assuré la ministre socialiste de l’Économie Nadia Calviño dimanche soir à la chaîne de télévision La Sexta (en espagnol).
Le programme du gouvernement de coalition mentionnait déjà la création d’un « revenu minimum vital en tant que prestation de la Sécurité sociale ».
L’objectif désormais est d’en faire un instrument « utile » pour le problème « temporaire » du coronavirus et qu’ensuite « cela reste pour toujours, que cela devienne un élément structurel, permanent », a précisé la ministre.
« C’était déjà une nécessité avant la crise, avec dix millions de citoyens en situation de risque de pauvreté et 30 % de pauvreté infantile en Espagne », a souligné le ministre aux Droits sociaux et chef de Podemos, Pablo Iglesias.
« Avec cette crise, la situation de risque est démultipliée pour beaucoup de citoyens […] Les gens dans les situations les plus fragiles, qui ont perdu leur emploi, qui ont du mal à payer leur loyer ou à acheter des aliments de première nécessité au supermarché ne peuvent pas se permettre que le gouvernement ne prenne pas la situation à bras-le-corps », a-t-il ajouté.
Les ministères concernés travaillent « pour préparer ce revenu minimum vital, voir s’il y a des complémentarités avec des instruments déjà existants, quelle est la population cible, en nous centrant beaucoup sur les familles mais en différenciant en fonction de chaque situation », a détaillé Nadia Calviño, soulignant que ce revenu serait un « pilote » pour le futur revenu universel généralisé.
Le gouvernement n’a pas évoqué de montant, mais selon le quotidien El Pais, il pourrait tourner autour des 440 euros mensuels. L’Espagne, où la population est strictement confinée depuis le 14 mars et au moins jusqu’au 25 avril, a également mis à l’arrêt toutes les activités économiques « non essentielles » pendant deux semaines, une hibernation qui doit prendre fin après Pâques.
La pandémie de coronavirus entraîne pour de très nombreuses personnes à travers le monde une perte de revenus partielle ou totale. Alors que des mesures de soutien et des fonds de solidarité se mettent en place, des voix de plus en plus nombreuses se font entendre pour réclamer l’instauration d’un revenu de base.
Au Royaume-Uni, 170 parlementaires de différents partis ont adressé le 19 mars dernier une lettre au gouvernement britannique, lui demandant de mettre en place un “revenu universel d’urgence” le temps de la pandémie.
En Allemagne, au nom de la précarité des travailleurs non salariés, le journal de Francfort, le Frankfurter Rundschau, plaidait le 20 mars, pour l’instauration d’un revenu de base, d’un montant de 1 000 euros par mois sur une période de six mois, comme le relayait Courrier international.
« Les indépendants, les travailleurs free-lance, les créatifs, les artistes ont aussi besoin d’un soutien financier de l’État. […] L’État devrait se saisir de l’opportunité pour introduire le revenu universel à l’échelle de tout le pays », écrit le journal.
Certains intellectuels et artistes allemands tentent de mettre en lumière cette idée. “Nous avons besoin d’un vrai débat” écrivait le TagesSpiegel citant une pétition en ligne qui a récolté environ 500 000 signatures dans le pays, en faveur d’un revenu universel entre 800 et 1 000 euros.
Ce sont aussi des travailleurs précaires qui en France, par la voix du collectif des Sons fédérés ont appelé à un “revenu universel sans condition, permettant à toute personne, quel que soit son statut, de vivre dignement.“
Il faut dire que la crise sanitaire met en lumière les inégalités au travail, et dans l’exposition au virus.
Un revenu de base pourrait pallier ces inégalités criantes. En assurant une protection réelle à l’ensemble de la société, sans exception”, estime le Mouvement français pour le revenu de base (MFRB) dans une tribune intitulée “l’urgence d’une société plus solidaire”, parue dans Politis, et signée par des associations, élus et chercheurs et que j’ai signé.
En plus des risques sanitaires qu’elle engendre pour tous, la pandémie du Covid-19 occasionne une perte partielle ou totale de revenus pour beaucoup… Lire la suite
Le MFRB, mouvement transpartisan qui depuis 2013 défend l’idée d’un revenu de base, estime qu’un tel revenu pourrait être une solution. Mais “pas à n’importe quel prix” et “à condition de réfléchir collectivement et démocratiquement aux conditions de sa mise en œuvre. Pour en faire une véritable mesure de justice sociale transformatrice et non pas un pansement au système actuel, élaboré dans l’urgence.” Avec cette question : “Quelle société voulons-nous au sortir de cette crise ?”
Ailleurs dans le monde, des expérimentations partielles ont néanmoins déjà eu lieu, comme aux États-Unis et au Canada. En Europe, la Finlande a annoncé une expérimentation sur un nombre limité de citoyens. Un groupe de travail doit rendre des résultats fin novembre pour déterminer ce qu’ils testeront.
Le texte de la Tribune :
En plus des risques sanitaires qu’elle engendre pour tous, la pandémie du Covid-19 occasionne une perte partielle ou totale de revenus pour beaucoup. Le Mouvement français pour un revenu de base considère plus que jamais nécessaire l’instauration d’un revenu universel pérenne, et non bricolé comme une « roue de secours ».
En ces temps de crise sanitaire, économique, sociale et environnementale, l’idée d’un revenu universel, inconditionnel et individuel revient en force dans les débats partout dans le monde.
Face à cet engouement et parce que nous soutenons l’idée de sa mise en place, mais pas à n’importe quel prix, nous appelons à réfléchir collectivement et démocratiquement aux conditions de sa mise en œuvre. Pour en faire une véritable mesure de justice sociale transformatrice et non pas un pansement au système actuel, élaboré dans l’urgence.
On ne résout pas un problème avec les modes de pensée qui l’ont engendré
Alors que l’épidémie du Covid-19 est devenue mondiale, le gouvernement espagnol a déclaré envisager la mise en place d’un revenu de base d’urgence. Des pétitions dans ce sens circulent aussi en Suisse, au Royaume-Uni et même à l’échelle européenne. En France, un mouvement d’intermittent·es et d’autoentrepreneur·euses demande la garantie d’un revenu face aux fortes pertes encourues dans leur profession.
Pour quelle raison l’idée du revenu universel revient-elle en force dans ce contexte de crise sanitaire ? Une première réponse pourrait être que ses critiques, portant notamment sur notre rapport au travail et sur le coût financier de la mesure, se trouvent fragilisées.
Dans l’état actuel de la crise et comme l’avait déjà analysé l’anthropologue David Graeber, certains emplois indispensables à la société sont parmi les plus mal rémunérés – on le voit bien aujourd’hui avec les personnels soignants, les aides à domicile, les caissières, les éboueurs.
A contrario, la situation actuelle met aussi la lumière sur les bullshit jobs, ces emplois souvent très bien payés mais dont l’utilité sociale s’avère finalement faible au quotidien, si ce n’est inexistante. Les inégalités sont rendues d’autant plus visibles dans la situation de confinement que nous vivons.
Nous ne sommes pas toutes et tous égaux face à la possibilité de faire du télétravail, d’exercer un droit de retrait ou d’accéder au chômage partiel. Pour certaines personnes, il n’y a pas d’autre choix que de sortir travailler, de risquer sa vie et ce, parfois, pour des activités non essentielles.
Un revenu de base pourrait pallier ces inégalités criantes. En assurant une protection réelle à l’ensemble de la société, sans exception. En garantissant que personne ne soit laissé sur le bas-côté, qu’il s’agisse des chômeurs·ses, des intermittent·es, des personnes en situation de handicap, des micro-entrepreneurs·ses, des travailleurs·ses des plateformes et, surtout, de ces nouveaux prolétaires, grands perdants de l’ubérisation, qui constituent ce que l’économiste Guy Standing appelle le « précariat ».
Quelle société voulons-nous au sortir de cette crise ?
La question du financement du revenu universel est également source de débats récurrents. Mais on ne peut que faire le constat aujourd’hui d’une mauvaise répartition des richesses, ayant abouti à la casse des services publics, tels que l’hôpital ou la recherche, sacrifiés sur l’autel de la rentabilité économique.
La secrétaire d’État auprès du ministre de l’Économie et des Finances l’a martelé durant les débats sur le projet de loi de finances rectificative au Sénat : « La priorité, c’est de sauver les entreprises. » Et ce sont effectivement des milliards qui sont débloqués en urgence pour répondre de façon ponctuelle à des problèmes structurels, sans pour autant questionner le système dans son ensemble.
En grec ancien, le mot krisis signifie décision. Il s’agit bien là de décider quelle société nous voulons au sortir de cette crise : protéger le système actuel pourtant défaillant, qui se battra pour perdurer coûte que coûte, ou opérer un changement plus profond ?
Le revenu de base se situe aussi à la croisée de ces chemins : mis en place dans un contexte d’urgence, dans une logique court-termiste et hors de tout débat démocratique, il ne servirait ni plus ni moins que de roue de secours au néolibéralisme, comme on le voit déjà apparaître dans certains contextes.
C’est le cas aux États-Unis, où le président Trump a annoncé vouloir envoyer un chèque de 1 200 dollars aux populations les plus précaires (500 dollars pour les enfants). Une réponse d’urgence ponctuelle et à court terme, puisqu’il ne s’agira que d’un seul chèque, dans une société où le fait même d’être atteints du Covid-19 peut mener à la ruine.
À l’opposé, d’autres voix proposent de renforcer les filets de protection sociale grâce à la mise en place d’un revenu universel, intégré dans un projet de transformation à long terme pour le pays.
C’est le cas d’Alexandria Ocasio-Cortez, la plus jeune représentante démocrate du Congrès américain : « Ce n’est pas le moment de prendre des demi-mesures. Nous devons agir urgemment afin d’éviter les pires conséquences en termes de santé publique et de crise économique. Ceci inclut le paiement d’un chômage partiel, l’allègement de la dette, le renforcement des droits des travailleurs·euses, la garantie des soins de santé universels, la mise en place d’un revenu de base universel et la dispense de peines de détention. »
Nous nous inscrivons dans cette seconde logique. À cette croisée des chemins, pour emprunter la trajectoire qui nous mènera vers une société solidaire et résiliente. Ce chemin sera collectif et nous serons présent·e·s aux côtés des mouvements et individus prêts à se mobiliser pour opérer un changement structurel du système actuel.
Les crises à venir, quelle que soit leur nature, pourront être mieux contenues si nos sociétés placent la justice sociale et l’écologie au cœur de leur fonctionnement. Il s’agira de renforcer les services publics et le droit du travail. De favoriser la liberté de choix et d’encourager les activités choisies et non subies.
Il faudra aussi renforcer notre protection sociale afin d’assurer à chacun·e en toutes circonstances la protection qui lui est due. C’est à cette fin que doit servir un revenu de base véritablement transformateur.
Signataires :
AC ! Agir ensemble contre le chômage – AequitaZ – Association Droits et emploi – Association JID (Justice immigration droit) – Entr’aide à domicile personnes âgées – FIDE (Formation insertion pour le développement et l’emploi) – Les Amis de la Terre – Maison de la citoyenneté mondiale (Mulhouse) – MNCP (Mouvement national des chômeurs et précaires) – Mon Revenu de base – Mouvement Utopia – Multitudes – Réseau Roosevelt (Paris Île-de-France) – Réseau féministe Ruptures – Tera – Un Projet de décroissance.
Martine Alcorta, conseillère régionale écologiste indépendante de Nouvelle-Aquitaine – Julien Bayou, secrétaire national d’Europe Écologie-Les Verts – Abdennour Bidar, philosophe et essayiste – Jacques Boutault, maire du Iie arrondissement de Paris – Alain Caillé, sociologue – Damien Carême, député européen – Karima Delli, députée européenne – Antoine Deltour, lanceur d’alerte – Jean Desessard, ancien sénateur de Paris – Guillaume Gontard, sénateur de l’Isère – Régis Juanico, député de la Loire – Annie Lahmer, conseillère régionale d’Île-de-France – Sandra Laugier, philosophe – Vincent Liegey, essayiste décroissant – Gustave Massiah, économiste altermondialiste – Baptiste Mylondo, économiste – Claire Monod et Guillaume Balas, coordination nationale de Génération·s – Daniel Percheron, ancien sénateur du Pas-de-Calais – Michel Pouzol, ancien député, membre du conseil national Génération·s – Sophie Taillé-Polian, sénatrice du Val-de-Marne – Marie Toussaint, eurodéputée écologiste – Grégoire Verrière et Alice Bosler, coordination nationale de Jeunes Génération·s – Roger Winterhalter, maire honoraire de Lutterbach
Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.
Laisser un commentaire