L’industrie en crise
L’industrie française connaît une crise durable et profonde qui a pour conséquence une désindustrialisation massive.
Entre 2002 et 2008, près de 500 000 emplois ont été détruits dans l’industrie, ce qui représente une baisse de près de 12% des effectifs. Depuis 2009, 54 000 emplois ont été supprimés dans le seul secteur de l’automobile.
Résultat : aujourd’hui, la part de l’industrie dans la valeur ajoutée en France s’élève à 16%, soit le même niveau que la Grande-Bretagne. On a souvent dit que la Grande-Bretagne avait sacrifié son industrie. Nos deux pays sont, en fait, au même niveau de désindustrialisation. Ce chiffre est de 30% en Allemagne et de 22,4% pour l’ensemble de la zone euro.
Pour comprendre cette situation, il suffit de regarder les indicateurs, qui sont tous au rouge :
– déficit massif d’investissement – 100 milliards d’euros par an sur un investissement total de 422 milliards en 2008,
– dépenses de recherche et de développement trop faibles
– 1,9% du PIB en France contre 2,4% en Allemagne et 2,5% aux Etats-Unis,
– trop peu d’entreprises de taille intermédiaire, capables d’exporter et d’investir dans la recherche et l’innovation.
Les revers récents dans des domaines constituant pourtant les points forts de notre industrie sont les signes les plus visibles d’une crise à tous les étages : le TGV de Siemens préféré à celui d’Alstom en Chine; le nucléaire coréen plutôt que l’EPR français à Abu Dhabi ; l’allemand OHB plutôt qu’Astrium, la filiale d’EADS, pour la première tranche de 14 satellites du projet Galiléo, le « GPS européen ». Sans oublier l’échec du Rafale au Maroc et les difficultés de l’A400M…
La perte de substance industrielle est la principale cause de la crise
Cette situation s’explique aussi par la conviction longtemps partagée par de nombreux responsables que la désindustrialisation n’était pas un problème. Dans l’esprit de beaucoup, la diminution de l’emploi industriel devait être compensée par une hausse dans les services. Les mêmes expliquaient que les métiers de conception resteraient en France alors que toute la production pourrait être délocalisée. C’était le mythe des « usines sans ouvriers », pour reprendre l’expression malheureuse mais ô combien significative, de l’ancien PDG d’Alcatel.
En fait, la disparition de l’industrie entraîne une dégradation du commerce extérieur, une panne du pouvoir d’achat, la précarisation des salariés, bref une crise sociale. Quand l’industrie régresse, c’est l’ensemble de l’économie qui souffre et qui se révèle incapable de soutenir le progrès social.
Car non seulement la perte d’emplois industriels n’a pas été totalement compensée par les emplois de service, mais surtout, ces emplois dans les services sont généralement moins bien rémunérés, plus précaires et moins qualifiés. La désindustrialisation signifie pour tous les pays qui l’ont connue – Etats-Unis, Royaume-Uni, Espagne, mais aussi France – précarisation et diminution du pouvoir d’achat.
L’endettement et la croissance, qui est une excroissance, de la sphère financière sont des conséquences de cet appauvrissement. Les économies ont cherché dans la finance un moyen de compenser leur perte de substance productive.
Depuis 2002, les politiques libérales ont accompagné la désindustrialisation
Au-delà des coups de menton et des soutiens ponctuels à telle ou telle entreprise, le plus souvent en réponse à l’actualité, la politique de la droite s’est caractérisée par l’absence de véritable stratégie industrielle.
L’idée même d’une politique industrielle a longtemps été considérée comme archaïque. Le but revendiqué de la politique de la droite, parfaitement libérale, n’est pas de piloter ou d’investir dans l’industrie, mais plutôt de créer un environnement favorable à l’activité industrielle. C’est là son insuffisance.
On se contente de créer des aides, mais sans politique de filière ni investissement direct dans des programmes phares, comme ont pu l’être le TGV, l’aéronautique ou le nucléaire. Chacun comprend que dans un environnement ouvert et concurrentiel, une politique de « l’environnement favorable » est une fuite en avant vers les coûts plus faibles, objectif perdu d’avance.
En outre, la politique conduite a été essentiellement française. Les gouvernements de droite ont préféré des objectifs purement nationaux (GDF/Suez, EDF/Vivendi…) à la constitution de champions continentaux (Renault/Volvo, Areva/Siemens…).
En un mot, la politique a été libérale et française, là où elle aurait dû être interventionniste et européenne.
Aujourd’hui, après des années de politiques libérales, nous avons besoin d’un nouvel élan industriel.
Il ne s’agit évidemment pas d’en revenir à la politique industrielle des Trente glorieuses, mais il faut prendre acte de l’échec des politiques récentes.
Il faut affirmer clairement quelques principes fondamentaux :
– Il n’y a pas d’économie forte sans industrie forte.
L’industrie conserve une place centrale dans l’économie.
C’est le véritable moteur de l’innovation, des exportations, des services et du progrès social.
– Il n’y a pas d’industrie sans États forts.
– Il n’y a pas d’industrie sans une Europe forte. Face à la concurrence des pays émergents et des Etats-Unis, l’européanisation des projets est une condition sine qua non du succès industriel dans la mondialisation.
Aujourd’hui, l’industrie n’a pas besoin de 80 mesures supplémentaires qui viendraient s’ajouter aux nombreux dispositifs existants. C’est probablement ce qu’annoncera la président de la République dans quelques jours lorsqu’il dévoilera les conclusions des états généraux de l’industrie.
Mais ce n’est pas d’un nouvel empilement sans vision que viendra le sursaut. L’industrie française a besoin d’un renversement complet de perspective :
– une politique d’investissement direct et de pilotage stratégique au lieu d’une politique qui se contente de « créer un environnement favorable »,
– une politique qui vise à consolider et à constituer des filières intégrées au lieu d’aides dispersées,
– une politique centrée sur la croissance des PME au lieu d’une approche qui privilégie les grands groupes et les aides sans contreparties,
– un réarmement de la puissance publique dans sa pluralité (Europe, État, régions) et non le laisser-faire libéral,
– une approche européenne au lieu d’une politique hexagonale,
– un soutien beaucoup plus ciblé à la recherche et à l’innovation au lieu de l’arrosoir à large spectre du crédit impôt-recherche.
– un capitalisme du long terme et le rôle décisif de la démocratie sociale au lieu de la domination de la seule logique financière.
Le Parti socialiste a une conviction simple : si la France et l’Europe sont capables de mettre en place les politiques et les outils qui correspondent à ces orientations, alors aucune industrie ne sera plus condamnée à fermer. Aucun secteur n’est condamné, même si tous doivent muter et innover.
Mobiliser tous les outils disponibles de la puissance publique
54 mesures pour l’industrie sont proposées dans le rapport.
Voici les principales :
1) La création d’un Pôle public d’investissement industriel (2P2I). Ce pôle doit permettre à la puissance publique de participer à l’orientation stratégique de l’industrie. Pour être efficace, il doit être financé massivement, mobilisable rapidement et décliné au niveau territorial sous forme de fonds régionaux d’investissement. Adossé à la Caisse des dépôts et consignations, à la Banque de France, à la Banque postale et à Oséo, ce pôle public de financement et d’investissement industriel, décliné dans toutes les régions, sera un outil majeur du pilotage de la politique industrielle nationale. Les fonds accordés devraient observer des critères stricts : actionnariat, plan de création d’emplois, dividendes encadrés, excellence environnementale et sociale, présence au capital de dix ans, obligation de réinvestissement dans d’autres PME.
2) Pour inciter les entreprises à opter pour une stratégie de gestion privilégiant l’investissement à long terme, le développement de l’activité et de l’emploi, nous proposons la modulation de l’impôt sur les sociétés en fonction des bénéfices réinvestis ou versés sous forme de dividendes.
3) Le ciblage stratégique du crédit impôt recherche. Pour plus d’efficacité et éviter son utilisation comme niche fiscale par les grands groupes (notamment les banques et les assurances), il devrait être davantage ciblé sur les PME et ses critères d’attribution repensés. Une évaluation précise est nécessaire avant toute nouvelle extension du dispositif, ce que refuse le gouvernement.
4) Construire une vraie politique de filière en sélectionnant les domaines les plus porteurs et en investissant massivement : santé, énergie durable, bâtiment, transport, technologies de l’information et de la communication (TIC), biens intermédiaires, biens d’équipement et industries de l’environnement, biens de consommation. Cela passe aussi par des relations moins inégalitaires entre les donneurs d’ordre et les soustraitants (paiement direct des sous-traitants de rang 2 et 3, chartes de bonne conduite, possibilité de recours juridiques rapides pour le respect des délais de paiement…)
5) Favoriser les bonnes pratiques en fournissant une meilleure information aux consommateurs – citoyens par un étiquetage approprié des produits (localisation géographique des lieux de production ; performance environnementale ; existence, origine et montant des financements publics).
6) Transformer la gouvernance des pôles de compétitivité, aujourd’hui défaillante, en donnant un vrai rôle d’orientation stratégique à l’État et aux régions.
7) Décourager les fermetures de sites pour des raisons financières. Le Parti socialiste a déjà fait des propositions dans ce domaine : augmenter le coût des licenciements pour les entreprises qui versent des dividendes ou rachètent leurs propres actions, possibilité de mise sous tutelle des entreprises en amont des licenciements pour faire cesser les pratiques contraires aux intérêts de l’entreprise et de l’emploi.
Proposer à nos partenaires européens la mise en place d’une vraie politique industrielle européenne
L’Union européenne a aujourd’hui une attitude dangereuse en matière industrielle. La politique de la concurrence affaiblit l’industrie européenne. La politique commerciale d’ouverture indiscriminée la fragilise. Et la politique de l’euro cher de la BCE réduit sa compétitivité. Il est urgent de réagir.
La crise et l’émergence des émergents rebattent les cartes. Si nos partenaires européens – à commencer par l’Allemagne – sont encore réticents à plus de coopération européenne en matière industrielle, nous sommes convaincus que la France doit continuer de porter ce message. Car aucun pays n’est à l’abri de la concurrence des émergents.
Nous proposons :
1) La création d’un grand ministère européen de l’Industrie (MITI européen) qui aura notamment pour mission de favoriser l’émergence de champions européens et de consolider ceux existants, de lancer un grand emprunt européen permettant de réaliser de grands programmes de recherche et d’innovation et de procéder à des investissements directs de l’Union européenne pour solidifier les filières.
2) Une réorientation des politiques européennes pour créer un cadre macroéconomique et financier adapté au développement de notre industrie et lutter contre le dumping fiscal, social et environnemental au niveau européen. Cela passe notamment par :
– une gestion politique du taux de change de l’euro par une politique de taux d’intérêt plus offensive ;
– des écluses fiscales aux frontières de l’Union sur les produits ne respectant pas les normes environnementales et sociales internationales ;
– mettre réellement fin aux paradis fiscaux et développer la coopération européenne en matière de lutte contre la fraude fiscale et de renforcer les moyens de contrôle de l’administration fiscale ;
Ce sont quelques exemples des propositions.
Pour les socialistes, la politique industrielle – une politique de croissance par et pour l’industrie – doit être la colonne vertébrale de la politique économique. C’est forts de cette conviction que nous allons continuer de travailler sur ces propositions, notamment dans le cadre de la Convention sur le nouveau modèle de développement qui se déroulera le mois prochain.
Le Parti socialiste est le parti des salariés, des créateurs et des innovateurs, la patrie des PME et des artisans. Parce que ce sont eux qui créent de la richesse et des emplois. Pas des profits pour les plus riches, mais de la croissance pour tous.
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