Retrouvez mon entretien à la FFCO – Fédération Française des Clubs Omnisports dans la revue « Omnisports » de juillet « Osez le sport autrement » :
?? Vous avez été député PS de la Loire durant trois mandats de 2007 à 2022. Vous avez été particulièrement engagé sur les questions sportives et avez corédigé en 2021 avec votre collègue Marie Tamarelle-Verhaeghe un rapport sur l’évaluation des politiques de prévention en santé publique dont le titre est : « La sédentarité : désamorcer une bombe à retardement sanitaire ». Trois ans après, on en est où ?
« En termes de santé publique, la sédentarité, c’est le tabac du XXIe siècle », nous dit Paquito Bernard, professeur au département des sciences de l’activité physique de l’université Québec à Montréal.
La sédentarité, c’est la nouvelle « addiction à la chaise et aux écrans ». Les chiffres sont connus : 40% des adultes sont considérés comme sédentaires et passent plus de sept heures par jour en position assise ou allongée -hors temps de sommeil- avec des conséquences néfastes pour leur santé (mortalité générale, maladies chrono niques et cardiovasculaires).
L’inactivité physique touche aussi 40% des adultes avec des risques pour la santé indépendants de ceux liés à la sédentarité et qui peuvent se cumuler. Les femmes et les personnes en situation de handicap sont les plus touchés.
La situation est particulièrement critique pour les enfants et adolescents qui perdent 5% de leurs capacités physiques tous les dix ans. La sédentarité représente 55% de la journée des enfants à l’école primaire et 75% de la journée des adolescents à 14-15 ans…
Il y a aujourd’hui une prise de conscience collective des conséquences pour notre santé de l’excès de sédentarité et de l’inactivité physique, même s’ils restent sous-estimés, mais de mon point de vue les discours sont assez peu suivis de politiques publiques nationales robustes pour y remédier.
Deux exemples : nous avions alerté après d’autres sur les conséquences néfastes du temps d’écran chez les enfants et les adolescents, une commission de spécialistes a bien remis un rapport au chef de l’Etat en avril 2024, mais le plan d’actions promis « dans la foulée » se fait toujours attendre.
Nous avions aussi demandé la mise en place de tests de condition physique dès la 6e, une préconisation reprise à son compte par le Président de la République l’an dernier mais dont nous venons d’apprendre qu’elle ne sera déployée que dans 4 académies seulement à la rentrée scolaire 2024.
?? « Le concept de littératie physique est développé depuis plusieurs années en France par la FFCO. Qu’en pensez-vous ? Est-ce la bonne approche pour répondre à cette urgence sanitaire ?
L’activité physique est un continuum : la pratique régulière durant l’enfance et l’adolescence augmente la probabilité de pratiquer une activité physique durant l’âge adulte. Le niveau d’activité physique des jeunes d’aujourd’hui permet ainsi de prédire, jusqu’à un certain point, la santé des adultes de demain.
Un enfant qui ne bouge pas sera un adulte qui ne bougera pas et qui développera des maladies chroniques handicapantes ou invalidantes avant même l’âge adulte. Souhaitons-nous offrir comme perspective aux jeunes générations la perte d’espérance de vie en bonne santé du fait de la pandémie de sédentarité et d’inactivité physique ?
Les injonctions et exhortations sanitaires à l’instar du fameux slogan « Manger-bouger » sont bien souvent inefficientes et peuvent même être contreproductives. Un élément clé est de trouver une activité pour laquelle on a du plaisir.
Pour cela, nous devons passer d’une logique de « sport santé », parfois dissuasive, au « sport plaisir », qui passe par la littératie physique, un changement durable de nos comportements et de nos modes de vies pour qu’ils soient plus actifs tout au long de l’existence.
Le renforcement de l’EPS obligatoire dans le cursus scolaire et universitaire me semble être le levier essentiel pour développer de « bonnes habitudes actives » tout au long de la vie.
La première chose à faire est de rendre les trois heures d’EPS obligatoires effectives, sans quoi il est vain d’ajouter d’autres dispositifs « facultatifs » comme les 30 minutes d’activité physique à l’école ou les deux heures de sport de plus au collège qui s’appliquent dans quelques centaines d’établissements volontaires aujourd’hui.
Les 35 000 enseignants d’EPS, ainsi que les professeurs des écoles et les enseignants en STAPS investis en outre dans le sport scolaire et universitaire ont un rôle majeur à jouer dans l’éducation à un engagement durable dans des activités physiques et sportives tout au long de la vie, dès les plus jeune âge.
Le rôle des clubs sportifs omnisports en offrant une palette d’activités diversifiées et une taille critique d’adhérents est aussi déterminant.
?? Vous sortez vous aussi cette année un nouvel ouvrage intitulé « Bougeons ! Manifeste pour des modes de vies plus actifs » (cf. encart), la même année que les Jeux Olympiques et que la nomination de l’activité physique et sportive comme Grande Cause Nationale. Est-ce la preuve d’une prise de conscience collective ou un épiphénomène lié à la visibilité des JOP ?
Nous avions demandé dans notre rapport à faire de l’activité physique et sportive une Grande Cause Nationale dès 2022 en amont des JOP afin de créer une dynamique pérenne. Elle l’a été en 2024 en même temps que les Jeux, mais il faut reconnaître aujourd’hui que les conséquences politiques de la dissolution de l’Assemblée Nationale ont quelque peu mis au second plan la GCN, le relais de la flamme et les JOP eux-mêmes qui sont des événements très populaires et grandioses mais par définition éphémères…
Une fois la compétition sportive achevée à l’automne, l’État est attendu sur ce qu’il laissera en héritage sportif, éducatif et sociétal durable dans l’ensemble des territoires. Tout ce qui n’aura pas été lancé avant les Jeux a peu de chances de produire des effets immédiatement après les Jeux !
L’accueil des nouveaux licenciés post-JOP dans les clubs en septembre prochain n’a pas été réellement été préparé et pour cause, les emplois aidés qui sont un renfort humain précieux ont diminué de 80% en sept ans…
La loi Héritage aurait pu être discutée et votée au premier semestre 2024 alors que l’agenda parlementaire était quasiment vide. Toutes les préconisations issues des rapports sur cette question était sur la table…
Aujourd’hui, les travaux liés à ce texte législatif fondamental et attendu par les acteurs du monde sportif qui redoutent une baisse des moyens financiers pour le sport sont plus qu’incertains.
Plus largement, beaucoup des dispositifs de lutte contre la sédentarité ont du mal à franchir le cap de l’expérimentation pour être déployés au niveau national, à l’exception de « Retrouve ton cap » pour la prise en charge de l’obésité pédiatrique (18% de taux de prévalence entre 2 et 7 ans) dont le Premier Ministre Jean Castex a annoncé la généralisation en 2022.
?? En 2024, la FFCO organise une tournée des campings pour tester la forme des vacanciers et leur rappeler l’importance d’avoir un mode de vie actif. C’est un dispositif parmi d’autres pour sensibiliser la population, notamment dans la cadre de la grande cause. Mais en 2025, si vous aviez 2 ou 3 pistes à privilégier pour poursuivre le mouvement, quelles seraient-elles ?
Il faut sortir de la logique d’éxpérimentation, de convention et de labellisation ponctuelles pour construire une stratégie nationale de lutte contre la sédentarité dans la durée.
Le design actif qui permet l’aménagement des espaces et bâtiments publics : sentiers pédestres, parcs et aires de jeux, mais aussi cours de récréation et bâti scolaire (il faut bouger en classe !) est un excellent outil – peu onéreux – qu’il faut déployer partout dans les territoires urbains ou ruraux.
L’Etat doit accompagner financièrement les collectivités qui s’engagent pour lutter contre la sédentarité sur leurs territoires – un fil rouge des politiques publiques pour l’après JOP 2024- par la promotion de nouvelles formes de mobilités actives au coeur des territoires (parcours piétons, pistes cyclables sécurisées…), des campus actifs promoteurs de santé, mais aussi l’aménagement « actif » des derniers cinq cents mètres ou du dernier kilomètre aux abords des écoles pour favoriser l’activité physique des Français à proximité de chez eux.
Le design actif au bureau pour mettre en mouvement les salariés et rompre les postures sédentaires prolongées est une piste prometteuse. Depuis 2019, il existe au Québec un crédit d’impôt de 30 000 euros par an pour les PME qui investissent dans des mobiliers actifs, des douches et vestiaires ou des salles de sport en milieu professionnel.
La prescription d’activité physique adaptée doit progressivement faire l’objet d’une prise en charge financière pour être accessible à tous. La première consultation intégrant les bilans médicaux, physiques et motivationnels préalables à la prescription de l’APA doit être remboursée par l’Assurance maladie et sa généralisation doit s’appuyer sur les maisons sport-santé (MSS) qui doivent devenir le « guichet unique » accessible à tous dans tous les territoires.
Les Départements avec la compétence « Autonomie » ont un rôle-clé à jouer dans la promotion des activités physiques adaptées en direction des publics les plus éloignés de la pratique avec la mise en œuvre d’un volet consacré à la pratique d’Activités Physiques et Sportives au projet de vie des personnes en situation de handicap.
Par exemple, alors que le nombre de personnes âgées dépendantes va doubler d’ici 2060, il est assez surprenant de constater que dans le dernier texte de loi voté par le Parlement sur la « société du bien vieillir », il n’y a pas un mot sur l’activité physique adaptée comme outil de prévention des troubles liés à l’avancée en âge.
Enfin, je considère que le principal héritage des JOP de Paris 2024 doit porter sur le développement des parasports : visibilité médiatique, EPS à l’école et en établissement, accessibilité des clubs sportifs dans tous les territoires…
48% des personnes en situation de handicap ne pratiquent jamais d’activité physique et sportive… deux fois plus que dans la population générale : c’est une inégalité majeure.
Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.
C’est chouette de voir que des initiatives comme la littératie physique se développent. Mais Régis a raison, il faut passer à la vitesse supérieure après les JO. Ses idées pour l’après 2024 sont super intéressantes, surtout le design actif. Imaginez des villes entières conçues pour nous faire bouger naturellement, ça serait génial !