Mon amendement élargissant le bénéfice de la demi-part fiscale aux veuves d’anciens combattants dont le conjoint est décédé à l’âge de 70 ans a été repoussé cette nuit dans l’hémicycle par la majorité et le gouvernement… à deux voix près 37 contre 39 !
Cette décision est incompréhensible. J’ai pu rappelé mon engagement auprès des anciens combattants lors des Assemblées générales de la FNACA, dans la circonscription, à Terrenoire, Saint-Jean-Bonnefonds et Saint-Priest-en-Jarez.
Le compte-rendu intégral de la séance ici :
M. le président. La parole est à M. Régis Juanico, pour soutenir l’amendement no 1672.
M. Régis Juanico. Cet amendement, présenté par le groupe Socialistes et apparentés, est un amendement de justice sociale et fiscale, qui concerne les veuves des anciens combattants.
Comme vous le savez, depuis la loi de finances pour 2016, les titulaires d’une carte du combattant ou d’une pension militaire d’invalidité ou de victime de guerre bénéficient, à partir de l’âge de 74 ans, d’une demi-part fiscale supplémentaire. Les veuves des anciens combattants peuvent elles aussi bénéficier de cette demi-part à condition que leur conjoint soit décédé après son soixante-quatorzième anniversaire.
Mais il demeure une injustice majeure envers les veuves d’anciens combattants dont le mari est décédé avant ses 74 ans, donc sans qu’elles puissent bénéficier de cette demi-part. Ce cas de figure concerne environ 40 % des veuves d’anciens combattants, beaucoup moins si l’on ne considère que celles qui sont imposables.
Cette demi-part n’est pas un avantage fiscal comme les autres, une niche fiscale, mais un droit à réparation, qui doit s’affranchir de la discrimination de l’âge. Monsieur le ministre, la FNACA – Fédération nationale des anciens combattants en Algérie, Maroc et Tunisie – est venue vous voir, il y a quelques mois, pour chiffrer l’impact de cette mesure d’élargissement sur les comptes publics : il représente, selon les estimations, de 500 000 à 1 million d’euros pour l’ensemble des veuves concernés dans le département de la Loire.
Notre amendement vise simplement à abaisser à 70 ans l’âge minimum ouvrant droit à cette demi-part fiscale, afin de pouvoir couvrir un plus grand nombre de cas.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Joël Giraud, rapporteur général. Avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Gérald Darmanin, ministre. On peut s’interroger à ce sujet. Il y a deux problèmes : d’abord, la charge supplémentaire, dépendance mise à part, sauf si l’on préfère l’aborder dans le projet de loi consacré à la dépendance ; ensuite, la demi-part. Pourquoi parler d’une discrimination par l’âge ? Ce dispositif présenterait fiscalement un caractère très dérogatoire, et nous retomberions sur la question que se posait le Conseil constitutionnel.
Quant aux chiffres, je n’ai pas les mêmes que vous : j’avais compris qu’il s’agissait d’une bonne dizaine de millions d’euros, et vous m’annoncez 500 000 francs, pardon, euros – je parle en francs, car j’ai écouté M. Le Fur (Rires et exclamations sur divers bancs.)
Monsieur Juanico, je vous propose de regarder ensemble le chiffrage – c’est le plus important – et de demander au Conseil d’État, ou à Bercy, si vous l’acceptez, ou à la commission des finances, son avis sur la compatibilité juridique de cette mesure, afin de savoir si elle serait admise par le Conseil constitutionnel. Je demande donc le retrait de cet amendement ; à défaut, l’avis du Gouvernement serait défavorable.
M. le président. La parole est à M. Régis Juanico.
M. Régis Juanico. Je maintiens l’amendement. J’ai bien écouté la réponse du ministre ; nous ne sommes pas tout à fait d’accord sur les chiffres : entre 2016 et 2018, le bleu budgétaire indique que la demi-part fiscale pour les veuves d’anciens combattants prive les comptes publics de 5,5 millions d’euros. Je ne comprends donc pas comment le seul élargissement de ce dispositif aux veuves d’anciens combattants âgés de moins de 74 ans pourrait coûter 10 millions d’euros.
Monsieur le ministre, il y aurait une mesure très simple à prendre, sans même passer par la loi : revenir à la circulaire édictée par votre ministère en 2005, indiquant aux directions départementales des finances publiques qu’elles avaient toute latitude envers les veuves d’anciens combattants. Il suffisait alors à celles-ci de produire une attestation de leur qualité de conjoint d’un titulaire de la carte du combattant pour bénéficier de la demi-part. C’est à cette tolérance qu’il faudrait aujourd’hui revenir.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Christine Dalloz.
Mme Marie-Christine Dalloz. Monsieur le ministre, l’amendement de M. Régis Juanico est fort intéressant. Il exprime une demande récurrente des associations d’anciens combattants. Nous devons prendre conscience que les cohortes bénéficiaires de cette demi-part – on parle de « cohorte », même si le terme n’est guère approprié ici – et les bénéficiaires de pensions d’anciens combattants diminuent très fortement. On observe un fléchissement important de leur nombre.
Or, tout à l’heure, nous avons oublié d’évoquer un élément de bornage du dispositif : une veuve dont le mari est décédé après ses 74 ans, mais sans avoir touché pendant au moins un an une retraite d’ancien combattant, ne peut bénéficier de la demi-part. Il y a là une distorsion de traitement qui est injuste.
Passer de 74 à 70 ans serait certes un grand pas, mais nous étions déjà passés de 75 à 74 ans ; fiscalement et juridiquement, cela doit donc pouvoir se faire. Reste la question du coût : il faudra voir l’estimation. Le monde combattant attend cette réparation pour les veuves, qui ont indirectement partagé l’engagement de leur mari décédé, dans le cadre d’un conflit, au nom de la France. Le groupe Les Républicains votera évidemment en faveur de cet amendement. (Applaudissements sur les bancs du groupe LR. – M. François Pupponi applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Charles de Courson.
M. Charles de Courson. Il n’y a pas un député ici présent qui, assistant à une réunion d’anciens combattants, n’entende pas parler du problème de la demi-part à vie. Monsieur le ministre, la situation actuelle me semble contraire au principe d’égalité. Entre nous, j’ai suggéré aux grandes fédérations de déposer une QPC : elles seraient certaines de faire annuler cette disposition.
La portée d’une telle décision serait très faible, voire symbolique, car le gros des anciens combattants est constitué des anciens d’Algérie. On a étendu la carte du combattant jusqu’à 1964, et non plus 1962, c’est-à-dire il y a cinquante-cinq ans ; les plus jeunes avaient 18 ans ; cinquante-cinq et dix-huit font soixante-treize. À part les anciens combattants des opérations militaires extérieures, les personnes concernées ont donc plus de 73 ans.
Par conséquent, monsieur le ministre, le problème sera très vite résolu. Je serais même favorable à la suppression du critère d’âge, qui simplifierait les choses. Il y a quelques millions d’euros en jeu, 5 ou 10 millions : cessons donc d’en parler. Je fais toujours rire les anciens combattants lorsque je recommande à leurs épouses, qui sont souvent présentes lors de ces assemblées générales, de bien soigner leur conjoint au moins jusqu’à ses 74 ans – ensuite, ce n’est plus très grave – pour avoir la demi-part. Tout le monde juge ce système aberrant.
Il s’ajoute à cela le point que signalait Mme Dalloz : selon une partie des services fiscaux, la veuve n’a pas droit à la demi-part si son défunt mari n’en a pas bénéficié pendant au moins un an – au motif que l’on n’a jamais vu un bénéfice accordé par réversion, si je puis dire, au conjoint d’une personne qui n’en a pas profité elle-même. Vous voyez un peu le raisonnement : accroche-toi, Jeannot ! (Sourires.)
M. le président. Merci, cher collègue.
M. Charles de Courson. C’est une toute petite mesure : finissons-en, monsieur le ministre, et votons tous pour cet amendement.
Mme Véronique Louwagie. Très bien !
M. le président. La parole est à M. François Pupponi.
M. François Pupponi. Il y a dans dans l’examen annuel du projet de loi de finances quelque chose d’un peu sordide, voire morbide, qui me choque – je précise que c’est le cas depuis des années, sans rapport avec cette majorité. Le nombre d’anciens combattants diminue malheureusement tous les ans ; si bien que, tous les ans, le budget des anciens combattants diminue aussi. D’une certaine manière, on fait des économies sur leur décès.
Monsieur le ministre, nous pourrions prendre une mesure très simple : au lieu de diminuer ce budget, maintenons-le à son niveau pour en faire bénéficier les survivants. Nous pourrions satisfaire leurs revendications, leur faire plaisir, en tenant compte de la diminution naturelle de leur nombre et en maintenant le budget qui leur est consacré à un niveau digne de ce nom. Cela ne coûterait pas grand-chose et ce serait pour eux un geste fort, symbolique, que l’on cesse de réaliser des économies sur le décès de leurs camarades.
M. le président. La parole est à M. André Chassaigne.
M. André Chassaigne. La Gauche démocrate et républicaine votera bien évidemment en faveur de cet amendement. Nous sommes plusieurs dans cet hémicycle à avoir assisté cet après-midi, en commission de la défense nationale et des forces armées, à l’audition de toutes les associations d’anciens combattants de notre pays, avec Mme la présidente Françoise Dumas.
De fait, le sujet revient chaque année, toutes les associations s’en faisant l’écho depuis la suppression de la demi-part des veuves en 2014. Il est tout de même incroyable que, chaque année – je ne parle pas uniquement de cette majorité –, le budget des anciens combattants diminue mécaniquement. S’il était maintenu d’une année sur l’autre, toutes les revendications des anciens combattants pourraient être satisfaites !
M. Julien Aubert. Parfaitement ! Il a raison !
M. André Chassaigne. Pour d’autres veuves d’anciens combattants, certes pas toutes imposables, a été supprimée il y a trois ans l’allocation différentielle, qui leur permettait d’avoir un revenu au niveau du seuil de pauvreté. Il leur faut désormais faire chaque année des demandes de secours pour affronter les difficultés de la vie. Vraiment, cela nous honorerait d’adopter cet amendement : nous y souscrivons tous, et le refus de revenir sur le dispositif n’obéit qu’à des raisons budgétaires.
M. le président. La parole est à M. Laurent Saint-Martin.
M. Laurent Saint-Martin. M. François Pupponi n’a pas entièrement tort lorsqu’il dit que, chaque année, les crédits diminuent avec le nombre d’anciens combattants. C’est juste, et c’est précisément ce constat qui a conduit la majorité à accepter d’étendre la carte du combattant de 1962 à 1964. Nous avons donc démontré que nous savions redéployer ce budget en faveur des anciens combattants concernés.
M. François Pupponi. Il ne faut pas vous arrêter en si bon chemin !
M. le président. La parole est à M. Jean-Paul Mattei.
M. Jean-Paul Mattei. Le groupe du Mouvement démocrate et apparentés votera en faveur de cet amendement, qui constitue un geste symbolique pour nos anciens combattants. Ils sont de moins en moins nombreux devant les monuments aux morts ; seize ans de mairie m’ont conforté dans le respect qui leur est dû, et les réunions de leurs associations sont toujours assez poignantes. À mon sens, cette mesure ne coûtera pas si cher, et, symboliquement, elle serait un signe adressé à ces personnes.
M. le président. La parole est à M. Éric Coquerel.
M. Éric Coquerel. Je voudrais rappeler – même si aucun de nous ne l’oublie – que, malheureusement, des combattants français continuent à mourir chaque année, même s’ils sont certes moins nombreux que leurs prédécesseurs dans les guerres dont on a parlé.
Je m’adresse ici à nos collègues de la majorité, dont je vois bien qu’ils écoutent : chaque année, lors de l’examen du projet de loi de finances, il y a ainsi un certain nombre d’amendements qui amènent peu à peu toutes les oppositions à converger vers la même position, logique.
Ce que dit André Chassaigne est exact : les associations d’anciens combattants nous parlent de ce sujet. Je me réjouis que le groupe Socialistes et apparentés ait demandé un scrutin public, car les votes de chacun seront ainsi scrutés ; j’espère donc que nous serons unanimes à adopter une mesure qui ne coûtera pas très cher à la nation et qui sera plus que juste socialement.
M. le président. La parole est à Mme Emmanuelle Ménard.
Mme Emmanuelle Ménard. Tous ceux d’entre nous qui fréquentent les associations d’anciens combattants s’accordent à dire que la demande faite ici est récurrente et légitime. Nous nous devons de la satisfaire, au regard de ce que les anciens combattants ont apporté à la France et nous ont apporté. C’est aussi une question de devoir de mémoire et de réparation. Enfin, vu les montants annoncés, je pense que le coût de cette mesure serait amplement compensé si nous supprimions la niche fiscale des journalistes. (Sourires.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Gérald Darmanin, ministre. Si M. le rapporteur général le permet, je me rangerai aux estimations de l’administration de l’Assemblée nationale – en lien, j’imagine, avec Bercy. Selon le tome II de l’annexe « Voies et moyens » du projet de loi de finances, le coût total de cette niche, pour ceux qui en bénéficient aujourd’hui, s’élève à 540 millions d’euros. C’est le montant de l’effort de la nation en incitations fiscales, légitimes, pour les personnes qui détiennent la carte du combattant.
Comme l’a dit M. Laurent Saint-Martin, nous avons abaissé de 75 à 74 ans l’âge minimum permettant de bénéficier de la demi-part ; cette mesure a coûté 44 millions d’euros. Passer de 74 à 70 ans coûterait 150 millions d’euros.
Monsieur le député, nous sommes tous d’accord sur le principe : en nous levant le matin, nous avons plus envie d’aider les personnes qui ont combattu pour le pays, donc leurs veuves, que de nous abstenir – surtout lorsqu’on est un élu des territoires et que l’on a un passé familial. Mais je ne crois pas que ce serait raisonnable du point de vue des finances publiques, et c’est pour cela que je vous ai invité à renoncer à la transition proposée.
Quand on est face à des estimations aussi différentes – 5,5 millions d’euros d’un côté, 150 millions de l’autre, dans le rapport du rapporteur général – la sagesse voudrait, dans un souci d’unanimité de la représentation nationale à l’égard des anciens combattants, que vous retiriez votre amendement, afin que nous puissions mener une évaluation commune et que le Parlement soit précisément éclairé des montants qui sont en jeu.
Quant aux propos un peu démagogiques sur l’attention qui sera portée à ceux qui n’auront pas voté l’amendement, je ne pense pas que cela soit la bonne attitude à avoir vis-à-vis de ceux qui ont combattu pour la France. Nous devrions, en revanche, décider avec le sens des responsabilités.
Peut-on voter en quelques instants un tel amendement ?
M. Fabrice Brun. Oui !
M. Gérald Darmanin, ministre. Comme M. Pupponi, vous faites, monsieur Juanico, la comparaison entre le montant budgétaire et une dépense fiscale, l’un et l’autre ne sont pas comparables. En imaginant qu’on puisse recycler les économies, le budget des anciens combattants baisserait moins que le montant de l’incitation fiscale, cette baisse s’établissant à quelque 100 millions d’euros, à rapporter à l’estimation de 150 millions d’euros.
M. François Pupponi. Et alors ?
M. Gérald Darmanin, ministre. Vous ne pouvez pas voter, monsieur Pupponi, une disposition fiscale dont nous ne connaissons pas le montant exact et dont le rapporteur général nous dit qu’elle pourrait représenter un coût de 150 millions. Pardonnez-moi, monsieur Juanico, mais il y a 145 millions de différence entre votre estimation et celle du rapporteur général et du Gouvernement.
Il ne serait pas raisonnable, dans ces conditions, de voter la mesure que vous proposez. Je vous demande, par conséquent, de bien vouloir retirer votre amendement, afin que nous puissions y travailler. À défaut, avis défavorable. Il serait dommage de faire de la politique politicienne sur un tel sujet… (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.)
M. Joël Giraud, rapporteur général. Très bien !
M. le président. Monsieur Juanico, souhaitez-vous retirer l’amendement ?
M. Régis Juanico. Non. L’estimation qui vient d’être donnée concerne les dépenses fiscales alors que nous parlons, pour ce qui nous concerne, des veuves des anciens combattants. Cela n’a strictement rien à voir, et ça ne représente pas 150 millions d’euros !
Nous connaissons bien cette question avec Mme Marie-Christine Dalloz pour y travailler depuis des années. Les estimations que vous avez données ne sont pas les bonnes.
M. le président. Je mets aux voix l’amendement no 1672.
(Il est procédé au scrutin.)
M. le président. Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 88
Nombre de suffrages exprimés 76
Majorité absolue 39
Pour l’adoption 37
Contre 39
(L’amendement no 1672 n’est pas adopté.)
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