J’étais l’invité de France Bleu Saint-Etienne, jeudi 10 janvier où j’ai échangé avec Yves Renaud sur les mesures prises à l’encontre des supporters. J’ai ainsi précisé que transposer un régime d’exception vis-à-vis des supporters alors que des abus existent, à une interdiction de manifestation, avec un fichage large à la main des Préfets était extrêmement grave pour le respect des libertés fondamentales !
Yves Renaud (YR) : On l’a bien compris, face aux dérives violentes qui se sont produites presque à chaque fois sur les manifestations de gilet jaunes, le gouvernement a souhaité renforcer son arsenal répressif dans une loi « anti-casseurs » dont le principe peut s’inspirer de ce qui a été fait dans le football pour combattre la violence des Hooligans dans les stades. Est-ce que cette loi qui date de 2006 a eu les effets escomptés ?
Régis Juanico (RJ) : La loi de 2006, c’est l’interdiction administrative de stade qui est prononcée effectivement par les préfets. Il existait depuis la loi Aliot Marie de 1993 des interdictions prononcées par la justice, par les tribunaux qui ont relativement bien fonctionné. Aujourd’hui, il y a 317 interdits de stade dans notre pays, 117 sur le plan judiciaire. Les tribunaux pouvaient prononcer des peines complémentaires d’un délit constaté dans les stades pouvant aller jusqu’à 5 ans. Cette loi a bien fonctionné pour lutter contre l’hooliganisme qui a reculé dans les stades. Par contre, l’interdiction administrative de stade ou de déplacement prise par l’autorité administrative sur la base de rapports de renseignement, des notes blanches comme on dit, est prononcée, certes, pour des comportements violents qui peuvent être constatés mais aussi pour une appréciation un peu plus large puisque ça peut être un comportement d’ensemble. Effectivement, lors de manifestations sportives, celle-là représente aujourd’hui un peu plus de 200 interdictions de stade. On constate qu’il n’y a pas que les comportements violents qui sont sanctionnés : 40% de ces interdictions relèvent par exemple de l’utilisation ou de la possession de fumigènes ou de la revente de places au marché noir. On n’est pas dans le comportement violent. Le risque est qu’on soit dans l’abus et qu’on soit au-delà de la population visée.
YR : Est-ce qu’on peut transposer cette loi qui a plutôt bien fonctionné sur le sport qui a permis un contrôle de l’Hooliganisme ? Est-ce qu’elle est transposable dans un cadre général de manifestation parfois spontanées ou en tout cas pas déclarées ? Est-ce qu’on peut utiliser les mêmes recettes, les mêmes méthodes ?
RJ : Je ne pense pas. Il faut le rappeler, nous sommes dans un Etat de droit, une démocratie qui garantit les libertés fondamentales, des libertés constitutionnelles. Le maintien de l’ordre républicain est nécessaire et les violences sont inacceptables. Il faut saluer le travail des forces de l’ordre, des policiers, des gendarmes, de la justice, des autorités préfectorales. Ce n’est pas évidement, effectivement, on le voit bien ces dernières semaines, mais il faut le concilier avec des grandes libertés constitutionnelles. La liberté de manifester est une grande liberté, fondamentale, qui aujourd’hui fait la séparation entre un régime autoritaire et une démocratie. On ne peut donc y toucher que d’une main tremblante. Il faut faire extrêmement attention. Est-ce qu’on peut étendre un dispositif qui prête à caution, dont on a pas d’évaluation et dont on a vu qu’on allait vers des abus ? On l’a vu sur l’interdiction de déplacement des supporters, beaucoup de préfets se couvrent et ont tendance à motiver des interdictions de manifestation de façon un peu trop abusive. Et bien je dis très clairement « non ». On ne peut pas étendre ce principe là parce qu’on porterait atteinte à une liberté fondamentale et on toucherait une population qui est beaucoup plus importante que celle qui se rende aujourd’hui coupable d’un comportement violent.
YR : Vous dites aujourd’hui qu’il va falloir du dosage dans la mise en place de cette future loi anti casseur ? Il va falloir prendre des gants, beaucoup de précaution ?
RJ : Je pense que l’arsenal répressif et judiciaire est suffisant. On peut toujours l’améliorer. On peut améliorer le fait de passer en délit le fait d’être masqué dans une manifestation, le fait de renforcer l’arsenal sur tout ce qui est participation de personnes à des manifestations qui ne sont pas déclarées ou interdites. Mais étendre un dispositif d’exception réservé au supporter, je le conteste. Il faut qu’on revienne là-dessus. Il faut qu’on ait l’évaluation du parlement. Etendre ce dispositif à une catégorie de la population d’interdits de manifestation, c’est extrêmement grave et je crois que le gouvernement est assez embêté parce que ce sont des dispositions qui ont été censurées en juin 2017 dans la loi sur la prolongation de l’état d’urgence qui proposait ce type d’extension d’un fichier d’interdits de manifestation. Par rapport à cela je suis extrêmement prudent et j’alerte. On ne peut pas toucher comme ça à des libertés fondamentales.
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Bonjour Monsieur ,
Il est effectivement extrêmement préoccupant de voir le gouvernement vouloir criminaliser les manifestations et les manifestants.
L’appareil répressif est la seule réponse qu’il apporte aux graves problèmes sociaux.