Le quotidien Sud Ouest vient de publier un dossier intitulé “L’Etat doit-il vendre la Française des Jeux”, alors que l’Assemblée nationale examine la loi PACTE, qui prévoit notamment sa privatisation.
Corédacteur d’un rapport parlementaire sur les jeux, j’ai pu développer mon point de vue sur le sujet, à travers une interview à retrouver ci-dessous :
Sud Ouest : Comment définiriez vous en quelques mots La Française des Jeux ?
Régis Juanico : C’est une entreprise en très bonne santé financière qui compte près de 26 millions de clients. Son chiffre d’affaires est en croissance constante avec 15 milliards d’euros de mises en 2017, le tiers des mises totales. Les Français jouent de plus en plus et des sommes de plus en plus importantes. Mais c’est sa raison sociale qui la distingue. Le jeu n’est pas une marchandise comme les autres. La Française des Jeux vend des produits potentiellement dangereux. C’est pourquoi son contrôle étroit par les pouvoirs publics est indispensable.
Les partisans de la privatisation affirment que cela ne changera rien ?
Pour ce qui est des taxes et des rentrées fiscales, qui rapportent chaque année plus de 3 milliards d’euros au budget de la nation, c’est exact et le monopole de la Française des Jeux sur les jeux et paris sous droits exclusifs demeure. Mais à partir du moment ou l’on va baisser la participation de l’Etat de 72 à 20 % du capital, la principale inquiétude concerne la stratégie qu’adoptera le futur actionnaire privé en matière de jeu responsable et de protection des joueurs contre les risques de dépendance. La privatisation fait peser un risque majeur en terme de santé publique.
C’est à dire ?
Si le nouvel actionnaire opte pour une politique commerciale plus agressive, l’impact sera dévastateur pour les populations les plus fragiles. Les jeux les plus lucratifs sont les plus nocifs. On estime qu’une progression de 1 % du chiffre d’affaires de la Française des jeux génère au minimum 1000 joueurs pathologiques et 6500 joueurs à risque. Pour l’instant, le nombre de joueurs excessifs est stable en France. En revanche, celui des joueurs à risque modéré ne cesse d’augmenter. Ils sont plus d’un million. Le jeu est un secteur qui nécessite une régulation publique forte et cohérente.
Le gouvernement vient d’annoncer la création d’une Autorité unique de régulation des jeux ?
Nous avions demandé dans notre rapport parlementaire sur les Jeux avec Olga Givernet qu’elle soit installée avant la privatisation de la Française des jeux. Ce sera le cas. L’ARJEL, l’instance de régulation des jeux en ligne crée en 2010, fonctionne bien. Mais il est indispensable d’unifier la régulation des jeux en lignes, du PMU, de la FdJ et des casinos qui dépendent aujourd’hui de plusieurs ministères. Ce cloisonnement est illisible et peu réactif par rapport aux évolutions technologiques. Mais cela n’exclut pas pour la Française des jeux la nécessité d’une régulation interne rigoureuse.
Le privé n’en est-il pas capable ?
Une gouvernance publique me semble plus à même de prévenir les phénomènes de fraude, de blanchiment, d’addiction et de jeu des mineurs. Il y a quelques années, la Française des jeux a su réagir devant certains signaux d’alerte et sensibiliser les buralistes à mieux vérifier l’âge de leurs clients les plus jeunes. Un tiers des 15-17 ans sont attirés par les jeux d’argent. La Française des jeux a su aussi stopper net la commercialisation du jeu Rapido considéré comme très addictif. Un opérateur privé fera-il passer sa responsabilité sociale avant la rentabilité de l’entreprise ? Je n’en suis pas certain.
Selon vous s’agit-il d’une privatisation idéologique ?
Oui c’est de l’idéologie libérale. On a vu ce que cela a donné pour les autoroutes. On s’apprête à faire la même chose en bradant un joyau national. L’ entreprise est rentable. Elle a dégagé 181 millions d’euros de bénéfices en 2017. En ramenant sa participation de 72 à 20 % l’Etat se prive de 100 millions d’euros de dividendes chaque année en contrepartie d’une cession d’action qui lui rapportera 1,5 milliard d’euros, l’entreprise étant valorisé à 3 milliards. L’opérateur privé aura amorti son investissement en à peine 15 ans. C’est une belle affaire. Pour lui, pas pour le contribuable !
Cette cession va financer un fonds d’aide à l’innovation. Est-ce forcément une mauvaise chose ?
Ce n’est plus tout à fait vrai puisque une partie du fruit de la vente doit servir à desendetter le pays. On aurait pu procéder autrement pour financer l’innovation. En laissant l’Etat majoritaire à 51 % et en cédant 20% du capital au grand public pour constituer un actionnariat populaire. Le fonds pour l’innovation pourrait très bien être alimenté directement par les dividendes des entreprises privatisées comme ADP ou FDJ. Mais on préfére nous dire que la Française des jeux n’a rien d’un actif stratégique en occultant le coût social du jeu. Entre chômage, divorce, surendettement, dégradation de la santé, suicide, ses coûts économiques et sociaux de plusieurs milliards d’euros chaque année pour les finances publiques sont considérables.
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Joueur régulier mais raisonnable je suis cependant conscient qu’e cela peut devenir un vice. Donc les bénéfices, tous les bénéfices, doivent aller à l’état et servir à des buts à caractères sociaux: le sport par exemple.
C’est pourquoi, même en tant que joueur; je suis totalement contre ce projet de privatisation.
Hors sujet mais pas tant que ça, l’état est il à jour en ce qui concerne le reversement à la Sécurité Sociale des taxes sur l’alcool, le tabac et les primes des contrats d’assurances auto.