Avec les 31 députés du groupe Nouvelle Gauche à l’Assemblée nationale, j’ai signé une lettre ouverte à Agnès Buzyn, ministre des Solidarités et de la Santé, parue en juillet dans Ouest-France, lui demandant de rendre publique les informations sanitaires justifiant le démantèlement du compte personnel de prévention de la pénibilité par le gouvernement.
Comment construire une stratégie nationale de santé sur la base d’un démantèlement de la politique publique de prévention des risques de santé au travail ?
Madame la Ministre,
Votre ministère a publié quelques jours avant votre arrivée un remarquable rapport sur « L’état de santé de la population en France ». Ce rapport mettait en évidence un enjeu stratégique central : la réduction des inégalités de santé : sur la période, 2009-2013, l’écart d’espérance de vie à 35 ans entre cadres et ouvriers est de 6,4 ans pour les hommes et de 3,2 ans pour les femmes.
Ce constat, le Premier ministre a semblé dans un premier temps le faire sien, lorsque lors de son discours de politique générale, déplorant l’accroissement des inégalités de santé, il affirmait « la prévention sera le pivot de la stratégie nationale de santé discutée à l’automne. » Il a depuis annoncé le démantèlement d’un outil majeur de prévention : le compte pénibilité créé par la majorité précédente. Qui doit-on croire désormais, celui qui réclame la confiance ou celui qui s’attache à la ruiner ?
Madame la Ministre, les inégalités de santé se forment principalement dans le monde professionnel. Comme le note le rapport de votre Ministère, ces inégalités sont principalement déterminées par « des expositions aux agents cancérogènes, mutagènes et reprotoxiques, des expositions à des facteurs de pénibilité – contraintes physiques marquées (postures pénibles, gestes répétitifs et manutention), environnement agressif (bruit et températures extrêmes notamment), rythmes de travail contraints (travail de nuit, en équipe alternante) – et des expositions à des facteurs de risque psychosociaux (travail intense, pression au travail…) ».
En 2010, plus de 8 millions de salariés, soit près de 40?% des salariés en France métropolitaine et dans les outre-mer, étaient exposés à au moins un des facteurs de pénibilité. 12 % des salariés français étaient exposés à au moins un agent cancérogène sur leur lieu de travail. Principalement des hommes, principalement des ouvriers. Nous pensons par exemple aux ouvriers de la banane outre-mer, effectuant des tâches pénibles et exposées à des perturbateurs endocriniens. Ce sont eux auxquels il faut rendre justice en prenant en considération les risques et les charges qu’ils prennent pour créer les richesses dont tous profitent. Faut-il à titre d’exemple et pour souligner la difficulté des combats auxquels sont confrontés les salariés et les ouvriers, rappeler le scandale de l’amiante et la souffrance des victimes, alors qu’il y a quelques jours à peine, le parquet de Paris a évoqué la possibilité d’une série de non-lieux empêchant ainsi l’établissement des responsabilités dans la mort de milliers de salariés ?
Madame la Ministre, le groupe Nouvelle Gauche vous demande la transparence sur les informations sanitaires qui justifient, selon vous, le démantèlement de ce dispositif : Quelles sont les données sur les effets sur la santé des expositions aux quatre critères (posture pénible, port de charges, agents chimiques, vibrations) qui ont été écartés du dispositif permettant d’obtenir des points pénibilité ? Madame la Ministre, nous vous demandons notamment de rendre publiques les données sur les effets des expositions professionnelles à des agents chimiques sur le développement des cancers. Par ailleurs, combien de salariés ne bénéficieront plus de points pénibilité du fait de la suppression de ces quatre critères ?
En l’absence d’explications claires et fondées, nous ne pouvons vous dire que notre consternation.
– Pour quatre critères, le gouvernement vient de substituer à la notion de pénibilité, celle d’invalidité, soit un retour à la loi Fillon de 2010. Les effets qui se manifesteront après le départ à la retraite ne seront plus pris en compte. Le précédent des salariés de l’amiante avait pourtant fait apparaître l’impossible réparation pour les salariés développant leurs maladies professionnelles dans les années suivant leur départ. Le caractère restrictif de la mesure semble avoir été si bien anticipé qu’un milliard d’euros vient d’être transféré de la branche Accident du travail – maladies professionnelles vers la branche maladie…
– Le compte de prévention pénibilité prévoyait une cotisation acquittée par les entreprises dès lors que leurs salariés étaient soumis à des conditions de travail pénibles. Vous venez de supprimer cette incitation à la réduction de ces situations.
– Le compte pénibilité permettait aux salariés bénéficiaires d’accroître leur niveau de qualification par la formation pour accéder à des emplois moins exposés. Pour quatre critères, vous venez d’interdire cette démarche dynamique de prévention.
L’argument de la complexité de la mise en œuvre est au final le seul qui ait jusqu’ici été opposé à la situation de ces millions de femmes et d’hommes que la vie professionnelle ne ménage pas. C’est exactement celui des organisations patronales, hostiles dès l’origine à l’idée même de cette prise en compte de la pénibilité au travail. Et c’est cette argutie qui ne tient plus dès lors que les branches (13) les plus volontaires sont parvenues à établir un référentiel applicable à toutes les entreprises de leur secteur.
Madame la Ministre de la santé, vous vous êtes lancée dans l’élaboration d’une stratégie nationale de santé. Nous souhaitons y prendre toute notre place. Mais quelle crédibilité conserverez-vous si la première mesure que vous aurez à assumer revient à détruire l’une des grandes avancées en matière de prévention de la décennie ?
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