C’est Marisol Touraine qui a été chargée au nom du Groupe d’exposer les arguments qui explique notre opposition résolue au projet du Gouvernement. Voici le texte de son intervention à la tribune de l’Assemblée Nationale :
Monsieur le Président,
Monsieur le ministre du travail, de la solidarité et de la fonction publique,
Monsieur le secrétaire d’Etat chargé de la fonction publique,
Messieurs les présidents des commissions des finances et des affaires sociales,
Messieurs les rapporteurs,
Mes chers collègues,
J’ai le privilège aujourd’hui, au nom du groupe socialiste, républicain et citoyen, de m’adresser à vous pour vous convaincre qu’une autre réforme des retraites est non seulement possible mais nécessaire.
Je le fais avec gravité, tant les enjeux sont majeurs : c’est l’avenir de notre pacte social qui est en jeu.
Je le fais avec une certaine solennité aussi, car c’est ici la colère d’une immense majorité de Français que je veux relayer, ces Français qui ne veulent pas de votre réforme alors que ces trois dernières années ont été pour eux trois années de régression sociale. Ces Français qui par leur travail au quotidien ont la fierté de faire de la France ce qu’elle est, qui en attendent de la reconnaissance mais ne récoltent de votre part que mépris et humiliations. Ces Français enfin chaque jour plus inquiets, inquiets pour le futur de leur emploi, pour la sécurité de leur retraite, inquiets pour l’avenir de leurs enfants.
A l’heure où nous parlons, des millions de personnes défilent dans toutes les villes de France, des centaines de milliers de Franciliens sont mobilisés à Paris derrière les organisations syndicales, rassemblées, solidaires comme elles ne l’ont pas été depuis des années, pour dire, ensemble, leur refus de votre projet et leur volonté d’être enfin écoutées, d’être enfin respectées.
Le 23 mars, ils étaient près de 800 000 à défiler contre votre politique ; le 27 mai, 1 million ; le 24 juin, deux fois plus. Aujourd’hui, c’est une vaste clameur qui s’élève dans tout le pays, et c’est un peuple tout entier qui vous crie sa colère. Bien au-delà de ceux qui sont dans la rue, l’immense majorité de nos concitoyens vous le dit : la France n’en peut plus de votre politique qui casse, de votre politique qui divise, de votre politique qui détruit.
Car derrière la froideur de vos statistiques chiffres, il y a des histoires de vie, des hommes et des femmes fiers de leur travail, heureux de ce qu’ils y accomplissent, ou au contraire des salariés brisés, écrasés, qui se sentent rejetés, des salariés victimes de plans sociaux qui s’interrogent sur leur lendemain. Tous ceux là, votre réforme les insulte, car ils ne demandent qu’une chose : du travail, de la dignité, de la fierté.
Pour eux, il faut dire que l’addition sociale est lourde : après l’essorage social du printemps vient aujourd’hui le grand matraquage d’automne. Mais il faut bien, n’est-ce pas, trouver quelque part l’argent pour faire des chèques de 30 millions d’€ à Mme Bettencourt et à tous les amis du Fouquet’s !
Et pourtant, oui, les Français, ceux qui défilent comme les autres, veulent une réforme, mais ils veulent une réforme juste qui prenne en compte la dureté de certains parcours, ils veulent une réforme efficace qui garantisse dans la durée la pérennité de nos retraites.
Nous sommes aujourd’hui à un tournant décisif pour notre pacte social : la mondialisation s’intensifie, le monde du travail est bouleversé, notre démographie se transforme.
Comme en 1945, lorsque le Conseil national de la résistance inventa notre Etat social, ces défis exigent de nous imagination, audace et esprit de justice. C’est précisément ce qui vous fait défaut.
Oui, il fallait de l’imagination pour inventer les solidarités intergénérationnelles de demain et ne pas considérer les futurs retraités comme une charge sociale.
Oui, il fallait de l’audace, pour rechercher des financements nouveaux.
Oui, il fallait de l’esprit de justice, pour faire de la prise en compte de la pénibilité le socle de votre réforme, pour offrir d’autres horizons que le chômage aux seniors qui ne trouvent plus à s’employer et proposer d’autres rêves que le travail à perpétuité aux jeunes qui enchaînent les stages et les CDD.
Tout cela ne compte pas pour vous : votre seule obsession, c’est de vous attaquer au symbole de l’âge légal de départ en retraite à 60 ans. Votre unique préoccupation, c’est 2012. Ce n’est pas en passant en force, ce n’est pas avec les oeillères du dogmatisme et de l’idéologie que l’on s’attaquera aux grands enjeux de demain.
Les Français veulent d’autant moins de votre réforme qu’elle se fait au prix du reniement de tous les engagements pris.
Comment oublier que, Nicolas Sarkozy, tout feu tout flamme, comme à son habitude, avait déclaré face à DSK en janvier 1993, qu’il était très attaché au maintien de l’âge légal de départ en retraite à 60 ans puisqu’il l’avait voté… alors qu’il a été élu député pour la première fois en 1988 ! Sans doute aussi a-t-il voté l’abolition de la peine de mort et pourquoi pas la loi Veil sur l’IVG en 1974 ! Ce n’est pas à vous, chers collègues de la majorité, que j’apprendrai que votre chef a tendance à considérer que tout ce qui est bien ne peut émaner que de lui !
Pourtant, son attachement à l’une des conquêtes sociales les plus emblématiques du premier septennat de F. Mitterrand paraissait sincère puisque c’est avec gravité que, devenu candidat à la présidence de la République, il déclarait le 23 janvier 2007, dans Le Monde : « Le droit à la retraite à 60 ans doit demeurer, de même que les 35 heures continueront d’être la durée hebdomadaire légale du travail.».
Et lorsque, l’année suivante, le Medef et Mme Parisot se mirent à réclamer le relèvement de l’âge légal à 62 ou 63 ans, il n’hésita pas à répliquer : « Elle a le droit de dire ça, je dis que je ne le ferai pas pour un certain nombre de raisons et la première c’est que je n’en ai pas parlé pendant ma campagne présidentielle. Ce n’est pas un engagement que j’ai pris devant les Français je n’ai donc pas de mandat pour faire cela, et ça compte, vous savez, pour moi ».
Eh bien, non, ça ne compte pas ! Comment les Français peuvent-ils faire confiance à une majorité dont le principal représentant fait valser les promesses de campagne comme s’il s’agissait de vulgaires slogans publicitaires ? Quelle crédibilité accorder à votre parole politique, quand les engagements pris ne sont pas tenus ? Ce mensonge d’Etat a dominé toute la préparation de ce texte.
C’est au nom de cette même conception de la politique que vous avez refusé de négocier avec les organisations syndicales, pourtant convaincues de la nécessité d’une réforme. Jusqu’à ces derniers jours, au mépris de tous vos discours sur la démocratie sociale et le rôle des partenaires sociaux, vous les avez ignorées, et alors même que les conseillers de l’Elysée, qui décidément sont les hommes forts de ce pouvoir, se sont répandus sur les ondes ces derniers jours pour annoncer d’éventuelles modifications du texte, pas un syndicaliste n’en a entendu parler. Sans doute ne changeront elles rien à l’injustice de votre texte, mais enfin, c’est une bien étrange conception de la démocratie sociale.
De la démocratie tout court, d’ailleurs car dans cette affaire e Parlement n’est pas mieux traité. Commission à huis clos, procédure d’urgence et maintenant temps programmé : 19H50 de temps de parole pour le groupe SRC ! Ridicule compte d’apothicaire, qui prétend enfermer dans un sablier un débat majeur pour le pays !
Mais c’est somme toute logique puisque vous répétez sur tous les tons que votre projet était le seul possible et que l’opposition n’avait rien à dire ! Non, vous n’avez pas le monopole de la réforme : les Français veulent un autre projet, les socialistes en proposent un, dont vous avez depuis le premier jour refusé de débattre.
Car c’est bien d’une confrontation de projets qu’il s’agit.
Vous voulez l’effort de ceux dont le travail est la seule fortune, nous exigeons la solidarité de ceux que rémunère du capital.
Vous refusez le partage de l’effort, nous le disons indispensable à l’acceptation même d’une réforme par les Français.
Vous faites des mesures démographiques le socle unique de votre projet, nous pensons qu’une réforme durable passe aussi par la recherche de nouvelles ressources et la relance de l’emploi.
Vous choisissez de relever les seuils d’âge, ce qui pénalise les plus modestes, nous voulons ouvrir de nouveaux droits et moduler les durées d’assurance en tenant compte de la pénibilité.
La confrontation des idées n’a pas eu lieu, parce que vous l’avez refusée. Aujourd’hui, c’est un débat tronqué, un débat pipé qui s’ouvre dans cet hémicycle.
Une réforme nécessaire, un projet disqualifié.
Notre système de retraites doit être réformé, mais votre projet ne répond ni aux exigences financières de la période ni aux attentes sociales. Il fallait rassurer les jeunes générations sur leur avenir, en finir avec l’effondrement du niveau des pensions, consolider la solidarité entre les générations. Rien, il n’y a rien de tout cela dans votre texte !
Une réforme s’impose pour trois raisons
La première concerne le déficit des régimes de retraite. Il faudra trouver plusieurs dizaines de milliards chaque année. Quel réquisitoire contre votre politique ! Faut-il rappeler que François Fillon déclarait en 2003 à cette tribune : « la réforme -la vôtre, donc- permettra de couvrir l’intégralité des déficits de nos régimes de retraite, tels qu’ils sont aujourd’hui prévus pour 2020, elle est donc financée à 100% ».
Il n’aura pas été nécessaire d’attendre 2020 pour constater votre échec : dès 2005 le déficit de la branche vieillesse était de près de 2 milliards, il est monté à 4,5 milliards l’année suivante pour atteindre près de 6 milliards en 2008, bien avant que les effets de la crise ne se fassent sentir, donc ! Quel échec que le vôtre alors que vous prétendez nous donner des leçons de responsabilité budgétaire !
Il faut donc remettre l’ouvrage sur le métier. L’évolution de la donne démographique, tout en étant une chance, constitue une contrainte financière. Pour cette raison, on ne peut écarter des mesures démographiques mais vous choisissez la plus injuste, le relèvement des seuils d’âge.
Car si l’allongement de l’espérance de vie est d’abord une bonne nouvelle, n’oublions pas que des inégalités importantes demeurent : l’espérance de vie d’un ouvrier est toujours de 7 ans inférieure à celle d’un cadre, la différence d’espérance de vie sans incapacité est plus grande encore ce qui signifie, concrètement, qu’au cours d’une vie déjà plus courte les ouvriers passeront plus de temps en incapacité que les cadres. Ne pas en tenir compte serait une faute.
Mais la donne démographique n’explique pas tout. Si le déficit se creuse dès cette année, c’est évidemment à cause de la crise. Et il n’y a aucune raison de répondre au déficit financier né de la crise par des mesures démographiques.
La seconde raison d’une réforme, c’est la nécessité de renforcer la cohésion sociale de notre pays, de restaurer notamment la confiance des jeunes générations, des actifs, des classes moyennes dans le pacte social qui nous rassemble. Pour cela, il faut d’abord garantir aux retraités un niveau de pension décent. Or, ce n’est plus le cas, à cause de la précarisation du travail, du chômage et du caractère haché des carrières, mais aussi à cause des réformes de MM Balladur et Fillon.
Ces réformes ont provoqué jusqu’à moins 20% du niveau des retraites et l’on assiste au retour de la pauvreté chez les retraités, parmi les femmes surtout : aucune réforme ne saurait passer à côté de cette exigence de progrès social.
Enfin, il est indispensable de prendre en compte l’évolution de la société et du monde du travail. La réforme ne peut être purement comptable. Face aux idéologues libéraux qui veulent profiter de la période pour affaiblir des garanties collectives, il faut au contraire imaginer de nouvelles protections face aux risques nés de l’éclatement des parcours professionnels et de la diversité des attentes personnelles, inventer des ressorts nouveaux, offensifs.
Cette volonté, c’était celle du Conseil national de la résistance, qui avait la volonté explicite de consolider la cohésion sociale et démocratique de la nation.
Depuis, nos pays se sont apaisés, mais de nouveaux défis ont surgi, qui imposent de toujours garantir qu’au chacun pour soi seront préférées la solidarité et la responsabilité collectives. Dans des écrits d’une incroyable anticipation, P. Laroque, mettait en garde contre le délitement des solidarités provoqué par l’interdépendance économique des nations -on ne parlait pas encore de mondialisation-.(En 1975, dans un texte intitulé Education de la solidarité, publié dans la revue internationale de la Croix Rouge (nov. 1975, pp. 688-696) , il décrivait les risques inhérents à ce divorce). Peut-on imaginer que la discontinuité des carrières, le chômage de masse, la précarité des emplois, mais aussi les changements de métiers, la massification de l’éducation, peut-on imaginer que tout cela soit sans effet sur notre protection sociale ?
Les transformations de notre économie et de notre organisation sociale appellent des réponses vigoureuses, comme le furent à leur époque celles du CNR pour prendre en compte la réalité sociale de l’après-guerre.
Il fallait un projet de justice sociale, d’efficacité économique, d’anticipation politique.
« Le courage, c’est de chercher la vérité et de la dire » disait Jean Jaurès.
Ce courage là vous a manqué.
Le courage, pour vous, c’est l’injustice !
Comment osez-vous parler de justice quand l’effort que vous imposez au pays porte à plus de 90% sur les seules épaules des salariés ? Ce n’est pas en expliquant que vous allez relever d’1 point la dernière tranche de l’IR que vous nous convaincrez, car les chiffres sont têtus : vous évaluez à 45 milliards le besoin de financement en 2020, 4 milliards seulement proviennent de ressources nouvelles, 2 petits milliards des revenus du capital. Il est donc faux de dire, comme vous le faites, que vous mettez à contribution les revenus du patrimoine : quelques centaines d’euros par an pour les 100 plus gros bénéficiaires du bouclier fiscal, qui continueront par ailleurs, imperturbablement, à percevoir leur chèque-cadeau du fisc !
Comment osez vous parlez de justice, quand parmi les salariés, ce sont les plus modestes qui vont porter tout l’effort, quand les inégalités vont s’accroître ? 300 000 personnes chaque année partent en retraite à 60 ans en ayant déjà cotisé jusqu’à deux années de plus que ce qui est nécessaire, sans que cela leur rapporte un centime de plus ! Et vous voulez que celles-là cotisent 43, 44 ans, pour avoir droit à une pension décente ?
Où est la justice lorsque vous demandez à des femmes – un tiers est dans ce cas – déjà obligées d’aller jusqu’à 65 ans par une carrière d’emplois précaires, à temps partiel, pour bénéficier d’une retraite sans décote, où est la justice lorsque vous exigez qu’elles travaillent encore deux années supplémentaires ? Vous leur offrez le choix entre l’indigence et l’épuisement : c’est cela, la justice pour vous ?
Alors vous nous expliquez que ceux qui ont eu des carrières longues ou des métiers pénibles pourront s’arrêter plus tôt. La réalité est moins belle que vos discours de générosité.
La pénibilité ? Il faudra être malade, mourant peut-être, pour prétendre bénéficier de votre dispositif, indigne s’il en est ! Vous défendez une approche individuelle, médicalisée de la pénibilité alors que toutes les études montrent l’impact différé sur la santé du travail de nuit, du port de charges lourdes, du travail posté !
La pénibilité ce n’est pas la maladie ou l’incapacité : votre publicité est mensongère lorsqu’elle prétend qu’un salarié souffrant du dos pourrait partir à 60 ans ! Tous les Français ou presque, ont mal au dos ! Comment pouvez-vous, les yeux dans les yeux, dire aux victimes de l’amiante qu’elles n’auraient pas dû être indemnisées ? Car, avec votre texte, elles ne l’auraient pas été !
Comment pouvez-vous dire à celles et ceux qui travaillent de nuit, portent des charges lourdes, sont exposés à des produits toxiques que, eh! bien, s’ils ont la chance, oui la chance, de ne pas être malades à 60 ans, qu’ils se réjouissent au lieu de penser que leur espérance de vie en bonne santé, une fois retraités, sera plus courte.
Quant aux carrières longues, parlons-en. Un seul dispositif serait juste : lorsque la durée de cotisation requise pour obtenir une retraite à taux plein est atteinte, il doit être possible de partir. Avec votre projet, ce sont les ouvriers qui vont payer pour la retraite des cadres supérieurs, vous avez inventé la solidarité à l’envers : ainsi, les salariés qui ont débuté leur activité professionnelle à 16 ans, devront attendre 60 ans pour partir en retraite contre 59 ans aujourd’hui, ceux qui ont commencé à 17 ans devront cotiser plus de 43 annuités.
Un projet inefficace
Mais le comble, est que cette accumulation d’injustices se fait au nom de l’efficacité et de la responsabilité, alors que vous ne financez pas le système, ni à court terme, ni dans la durée.
En 2011, il manquera au bas mot 25 milliards. En 2018, vous frôlez un équilibre fragile, que D. Karniewicz, la présidente de la CNAV, juge elle-même instable. Et vous n’y arrivez qu’au prix de deux tours de passe-passe : le premier, est une véritable entourloupe comptable puisque 15 milliards restent non financés, ce que vous appelez benoîtement « contribution nette de l’Etat » et qui se traduit plus simplement par « endettement ».
Le 2ème tour de passe- passe est en fait un véritable hold up sur les générations futures : vous aurez fait main basse sur les 34 milliards du fonds de réserve des retraites.
En 2019, alors que le défi démographique ira s’aggravant, c’est le trou noir, le saut dans l’inconnu, mais alors il n’y aura plus de fonds de réserve, plus de ressources disponibles et le COR lui-même très explicitement indique que vos mesures d’âge ne parviendront pas à résoudre plus de la moitié du problème. Votre réforme est fondée sur un mensonge : vous demandez aux Français de se sacrifier aujourd’hui pour s’assurer des lendemains plus calmes ; la vérité est qu’ils doivent se sacrifier aujourd’hui non pas pour la pérennité de nos retraites mais pour celle des petits avantages consentis à vos amis.
Un projet imprévoyant
Tant d’imprévoyance ne peut que conforter les jeunes dans leur sentiment de méfiance. A changer les règles du jeu tous les 5 ans, vous encouragez les seniors à partir à la retraite dès qu’ils le peuvent, vous encouragez les autres à se détourner de la retraite par répartition au profit d’une épargne individuelle. Mais c’est la constante de votre politique sociale : réduire progressivement les solidarités collectives, favoriser les assurances individuelles, votre majorité se déploie activement en la matière. Après l’adoption en commission d’amendements favorables au renforcement de l’épargne retraite, le ver de la capitalisation est dans le fruit.
Alors, vous nous brandissez les comparaisons internationales, pour nous expliquer que nous sommes archaïques ! La vérité, c’est que votre réforme mettra la France au 1er rang des régimes les plus contraignants, les plus durs. Plus que de justice ou d’efficacité, votre message s’adresse aux agences de notation et au Medef, et Mme Lagarde ne se prive pas de le dire !
Et pourtant, comparons ce qui est comparable ! Vous nous dites que chez nos principaux voisins, l’âge de départ en retraite est déjà de 65 ans ! Mais chez nous aussi, c’est l’âge de départ sans décote ! C’est tellement vrai, que si l’on se penche non plus sur les âges légaux de départ mais sur l’âge effectif, c’est à dire celui auquel les salariés quittent le marché du travail, la proximité des situations en Europe est frappante ! 61,6 ans en France, la même chose en Espagne, 62 en Allemagne.
Et regardons de plus près ce qu’il en est dans ces pays si responsables que sont nos voisins : l’Allemagne ? On peut partir avec 35 annuités de cotisations, contre 41 chez nous ; l’Espagne ? Avec 15 années de cotisation on peut bénéficier d’une pension égale à 50% du salaire de référence et avec 35 annuités de cotisation on a droit à 100% de ce salaire de référence. Et il y a une différence sur laquelle vous ne revenez jamais : la France est la lanterne rouge européenne pour l’emploi des seniors !
Nos voisins, eux, se sont occupés de l’emploi avant de s’occuper des retraites, vous, vous vous occupez des retraites pour fabriquer des chômeurs !
Alors, Monsieur le ministre, chers collègues, allez au bout de vos comparaisons : plutôt que de sans cesse désigner les Français comme des profiteurs sociaux, des paresseux, des privilégiés.
Au courage de la réforme vous avez préféré une stratégie électoraliste de court terme : votre problème, ce n’est pas la retraite des Français mais l’élection présidentielle de 2012 !
Le projet du Parti socialiste : un effort partagé, une retraite choisie.
Dès le mois de mai dernier, c’est à dire avant que vous ne fassiez connaître votre projet, le Parti socialiste a décliné le sien.. A la posture, il préfère l’esprit de responsabilité, à la provocation, la proposition. Au lieu d’un projet de mauvais comptable il a choisi une réforme globale, à la fois financière et de société seule capable de garantir la pérennité du système de retraite par répartition.
Je ne reviens pas sur le diagnostic, je l’ai déjà évoqué et je pense avoir montré à quel point vos réponses étaient erronées.
Je présenterai le projet socialiste autour de 4 axes.
D’abord, l’horizon de la réforme. Les règles du jeu applicables dans la durée doivent être connues une bonne fois pour toutes. On ne peut modifier le code de conduite tous les quatre matins, comme vous le faites à chaque fois, notre société a besoin de repères stables !
Il est raisonnable de se projeter à l’horizon 2025, tout en se dotant des instruments qui permettront de poursuivre au-delà l’action engagée. C’est pour cela qu’il est criminel de siphonner le fonds de réserve des retraites mis en place pour faire face au pic démographique de la prochaine décennie ! Vous nous dites que la crise rend nécessaire de l’utiliser plus vite, mais vous raisonnez comme le sapeur Camembert ! Que restera-t-il lorsque les déficits atteindront leur apogée ? D’ailleurs, vous n’avez jamais cru à ce fonds, que vous n’avez pas alimenté, que vous avez laissé végéter.
Les socialistes demandent non seulement que ce fonds soit préservé mais qu’il soit abondé par une taxe exceptionnelle de 3 milliards par an sur les profits des établissements financiers, pour lesquels la crise semble n’être plus qu’un mauvais souvenir ! Là où vous présentez une politique à un coup, nous voulons anticiper et dire aux Français que leurs efforts d’aujourd’hui ne seront pas vains : le FRR qui comporte aujourd’hui 34 milliards, en compera, si rien n’est changé, 75 en 2020 atteindrait avec notre proposition 140 milliards en 2025 et permettrait d’affronter en meilleure position la période suivante.
En deuxième lieu, l’effort doit être partagé si l’on veut qu’il soit accepté et que soient effectivement financés nos régimes de retraite.
L’effort doit être partagé par tous les salariés, du secteur public comme du secteur privé. Contrairement à vous, mesdames et Messieurs de la majorité qui cherchez sans cesse à opposer le public et le privé, qui décrivez les fonctionnaires comme des privilégiés et les services publics comme des boulets sociaux, nous ne stigmatisons pas les uns, nous n’exonérons pas les autres! C’est au moment où vous gelez leurs traitements que vous augmentez fortement la cotisation des fonctionnaires ! Vous entretenez des fictions honteuses, qui voudraient que la retraite des fonctionnaires soit supérieure à celle des salariés du privé ! C’est un mensonge et vous le savez en raison de la non prise en compte des primes dans le calcul des pensions et du niveau des qualifications dans la fonction publique.
Nous proposons la mise en place d’une commission pour le rapprochement des régimes, permettant de faire le point sur la situation précise des uns et des autres, d’uniformiser, si nécessaire, les avantages familiaux, d’améliorer la situation des polypensionnés – cela concerne 38% des retraités : nous proposons que soit supprimé le seuil de 15 ans dans la fonction publique pour l’ouverture de droits à la retraite, que soit revue la manière de prendre en compte les 25 meilleures années pour les polypensionnés.
L’effort doit aussi être assumé par les détenteurs de capitaux. Dès lors que la crise précipite les échéances, qu’il y va de la survie même de la retraite par répartition, il est urgent de faire preuve d’imagination et de rechercher d’autres financements que ceux qui existent actuellement. Le dogmatisme en matière de prélèvements, il est dans votre camp ! Le débat qui s’est engagé entre F. Baroin et Ch. Lagarde est éclairant : 2013 serait pour vous l’année de tous les prélèvements, et votre seule préoccupation est de passer l’obstacle d’ici là.
Les socialistes l’assument : il s’agit bien d’un choix politique majeur, et nous proposons d’abord de rapprocher la taxation du capital de celle du travail.
Nous disons fortement que les revenus du capital doivent être mis à contribution parce que de plus en plus, les salariés voient la part de leur salaire direct stagner au profit de revenus complémentaires versés sous forme de bonus, de stock options, mais aussi d’intéressement ou de participation. Concrètement, nous proposons la majoration des prélèvements sociaux sur les bonus et stock options à 20 % , suivant en cela les préconisations de la Cour des comptes.
Ces revenus ne sont pas les seuls concernés : la défiscalisation des plus values sur les cessions de filiales, plus connue sous le nom de « niche Coppé « , aboutit à plus taxer les petites entreprises, elle doit donc être, au moins partiellement, supprimée. Et c’est pour la même raison que nous préconisons une contribution des grandes entreprises sur leur valeur ajoutée.
Ces mesures permettraient de faire face dès aujourd’hui au déficit né de la crise, d’engager le rétablissement de l’assurance vieillesse sur des bases assainies. Dans la durée, une augmentation modérée -0,1% par an – et étalée sur 10 ans des cotisations vieillesse nous paraît nécessaire, ce qui représenterait à terme un effort de l’ordre de 20 à 25 euros pour les salariés, du public comme du privé.
Et que l’on ne me parle pas de matraquage fiscal, quand depuis 2007 la droite a créé 19 nouvelles taxes, des franchises médicales à la hausse de la redevance TV, qui pèsent sur tous les Français;
Le troisième axe de nos propositions concerne les mesures démographiques nécessaires. Contrairement à ce que vous soutenez, nous ne les refusons pas. Nous refusons les vôtres, parce qu’elles sont injustes et nous refusons d’en faire le seul pivot de la réforme.
L’allongement de l’espérance de vie doit être pris en compte, c’est une évidence ! Mais il est absurde de faire passer tous les Français sous la même toise.
La clé, pour nous, c’est la réalité des parcours professionnels et la réalité de l’espérance de vie que l’on peut atteindre. C’est pour cette raison que nous faisons de la pénibilité un des enjeux majeurs de cette réforme et que nous affirmons qu‘il est temps de proposer un nouveau droit : celui de la prise en compte de la pénibilité.
Nous refusons toute approche médicalisée pour défendre une approche collective, qui n’a rien à voir avec la création de nouveaux régimes spéciaux ! L’exposition d’un salarié à des facteurs de pénibilité au cours de sa carrière doit ouvrir le droit à une majoration de durée d’assurance, par exemple de 10% du temps d’exposition. Concrètement, un salarié qui a été exposé pendant 10 ans à un ou plusieurs facteurs de pénibilité bénéficiera d’une majoration de durée d’assurance d’au moins un an. C’est pour nous affaire de justice.
On nous dit : cela ne s’est jamais fait, cela n’existe nulle part ailleurs ! A supposer que ce soit vrai, la belle affaire ! Pourquoi la France devrait elle renoncer à être pionnière socialement ?
Mais en plus ce que vous dites est faux. L’Italie s’engage dans cette voie. En France, dès le XIXème siècle, dans le cadre des sociétés de secours mutuel, était admis le principe d’une usure différente selon les métiers et de sa réparation par l’attribution plus ou moins précoce d’une pension.
La loi du 30 décembre 1975 avait ouvert le droit de bénéficier d’une retraite à taux plein dès 60 ans notamment pour des salariés ayant exercé à la chaîne, au four ou exposés aux intempéries. Depuis, de nombreux autres dispositifs de cessation anticipée d’activité ont été mis en place, pour les conducteurs routiers, les travailleurs de l’amiante ou certains chefs d’exploitation agricole par exemple. Et certaines entreprises, vous le savez bien, ont prévu des dispositifs de cet ordre pour leurs propres salariés.
Ce que nous proposons, c’est d’avoir une approche plus globale, qui ne définisse pas des métiers pénibles mais des facteurs de pénibilité, et qui ouvre le droit à une juste compensation à tous les salariés concernés.
C’est dans ce cadre que nous proposons d’agir sur deux leviers démographiques.
Le premier est celui de l’allongement de la durée de cotisation, qui doit passer à 41,5 ans d’ici 2020.
Nous disons clairement qu’un nouvel allongement ne peut être exclu au-delà, et c’est la raison pour laquelle un grand rendez vous doit être prévu en 2025, afin d’examiner si l’effort engagé doit être poursuivi.
L’allongement de la durée d’assurance est seul juste puisqu’il permet à ceux qui ont commencé à travailler plus jeunes de partir avant, et qui ont été exposés, je viens de le dire, à la pénibilité.
Parce que l’espérance de vie gagnée constitue un progrès considérable, nous disons que seule la moitié de ce temps de vie gagné doit aller au travail, ce qui permet d’assurer l’équilibre entre le temps consacré au travail et les autres temps de la vie.
Aux jeunes qui font des études, qui enchaînent les stages sans rémunération, nous disons que toute période d’activité doit ouvrir des droits sociaux et nous leur proposons, lors de leur premier emploi, d’opter pour une surcotisation étalée sur une période de 10 à 15 ans, leur permettant de valider jusqu’à trois années d’études.
Le deuxième levier démographique réside dans les mesures d’incitation. Il ne s’agit pas seulement pour nous d’un dispositif technique, mais d’un choix de société et c’est pour cela que nous parlons de retraite choisie.
De quoi s’agit-il ? De faire en sorte que les conditions de départ en retraite ne soient pas rigides et s’appliquent de façon différenciée selon les parcours professionnels, les choix personnels. Notre système a été mis en place à une époque où les rythmes de vie, les carrières, le déroulement de la vie familiale étaient peu ou prou les mêmes pour tout le monde.
Aujourd’hui, la formation ne peut rester cantonnée aux premières années de la vie d’adulte, les changements de métier, les ruptures de parcours sont monnaie courante, les recompositions familiales aussi. C’est à cela qu’il faut répondre en articulant autrement le socle de nos droits sociaux collectifs et leur déclinaison individuelle.
Il faut d’un côté protéger ceux qui ont commencé à travailler jeunes ou ont eu des métiers difficiles, et de l’autre inciter à travailler plus longtemps. Oui, la société change, l’espérance de vie s’allonge et il faut collectivement travailler plus longtemps. Mais pas en l’imposant de la même manière à tout le monde. La droite, qui défend le même modèle pour tous fait preuve en la matière d’un archaïsme social incroyable !
Vous pouvez bien caricaturer nos positions mais c’est vous qui dans votre projet empêchez ceux, par exemple les professeurs d’université, les hauts fonctionnaires, qui le souhaitent, de travailler au-delà de 65 ans, alors que ce sont justement ceux qui le souhaitent, qui le peuvent ! Et à l’inverse vous refusez de reconnaître à celui qui a été exposé à des produits chimiques, qui a passé sa vie en travail posté, qui porte des charges lourdes, à celui-là vous refusez le droit de partir avant ! Ce serait absurde si ce n’était tragique.
Je le dis très clairement : l’âge légal de départ en retraite doit rester fixé à 60 ans car c’est une protection pour ceux qui ont commencé à travailler jeunes, qui sont les plus modestes et c’est aussi une liberté pour les autres.
Je le dis solennellement, l’âge de départ en retraite sans décote doit rester fixé à 65 ans, car c’est le meilleur rempart des hommes et des femmes usés par des parcours chaotiques.
Mais il est nécessaire par la modulation des bonifications d’assurance (surcote) et de leur mode de versement, d’encourager effectivement à travailler plus longtemps ceux qui le peuvent.
Il n’y a aucune ambiguïté dans notre position : la retraite est un droit universel, fondé sur des garanties collectives. C’est ce socle de droits qui est la seule garantie existante contre les dérives de la capitalisation, du chacun pour soi, c’est ce socle de droits qui est la meilleure protection des salariés. Nous sommes porteurs d’un projet de solidarité et de liberté.
Pour que cette liberté puisse s’exercer pleinement, l’information des salariés doit être complètement assurée, comme c’est le cas en Suède avec la fameuse enveloppe orange. Nous souhaitons que l’information des salariés français soit ainsi systématisée dans le temps.
A une époque où la réalité du monde du travail est éclatée, l’exigence de justice est celle d’une égalité qui soit une égalité réelle et pas seulement formelle, d’une égalité qui tienne compte des situations différentes des hommes et des femmes, et pas seulement des droits théoriques qui leur sont offerts.
En vous entêtant à proposer une réforme qui impose au lieu de proposer, qui formate au lieu de libérer, vous apparaissez pour ce que vous êtes : des idéologues archaïques, enracinés dans la France du siècle passé.
Le quatrième axe de notre projet est évidemment celui de l’emploi. Aucune réforme n’est durable sans une forte amélioration de l’emploi. La France détient le triste record européen du plus fort taux de chômage des jeunes et du plus mauvais taux d’emploi des seniors !
L’emploi des femmes est un enjeu majeur car l’on sait que c’est l’accumulation des inégalités professionnelles qui explique que leur retraite soit de 40% inférieure à celle des hommes. La discrimination dont sont victimes les femmes dans le monde du travail est annonciatrice pour beaucoup d’entre elles de pauvreté et de précarité dans la vieillesse.
C’est pour cela, je le répète, que nous sommes résolument hostiles au relèvement à 67 ans de l’âge auquel peut se percevoir la retraite sans décote ; c’est pour cela que nous proposons notamment une meilleure valorisation du temps partiel pour les droits à la retraite et l’extension dès maintenant, et pas seulement pour l’avenir, de l’assurance vieillesse complémentaire obligatoire aux femmes d’exploitants agricoles.
L’emploi des seniors est particulièrement sensible, et sur ce front les nouvelles restent mauvaises : le chômage des plus de 50 ans ne cesse de progresser – + 19% en un an- et le taux d’emploi des plus de 55 ans reste inférieur à 38% et à peine plus d’un salarié sur deux de 55/60 ans en situation de travailler est en emploi, bien loin des 80% des pays scandinaves ou même des 70% de l’Allemagne ou des Pays-Bas.
L’emploi des seniors a servi de variable d’ajustement depuis plus de 30 ans avec l’idée que s’en trouverait amélioré l’emploi des jeunes, c’est le contraire qui s’est produit. Parallèlement, l’indifférence à la question du bien-être au travail, tragiquement mise en lumière par la situation de France Télécom, conduit beaucoup de salariés français à ne pas souhaiter rester dans l’emploi.
Ce n’est pas un CDD seniors qu’il faut proposer, Monsieur le ministre ! Il faut appeler à la mobilisation générale, qui doit s’inspirer de ce qui a été fait avec succès dans des pays comme la Finlande ou le Canada : garantir l’accès à la formation après 50 ans, alors que moins d’un tiers des seniors en bénéficie, accompagner les salariés tout au long de leur vie professionnelle, adapter les postes aux salariés plutôt que l’inverse : cela passe par la généralisation des dispositifs de tutorat ou binômat en entreprise, l’encouragement aux départs en retraite progressive, la limitation voire la suppression du travail de nuit et des tâches physiques au-delà de 55 ans.
C’est par la généralisation de ces bonnes pratiques qu’un pays comme la Finlande a fait progresser l’emploi des plus de 55 ans de 20 points en 10 ans. Certaines entreprises se sont déjà engagées dans cette voie : pour encourager la généralisation de ces mesures, nous préconisons la mise en place d’un bonus sur les cotisations pour les entreprises qui joueront le jeu.
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Messieurs les ministres, mes chers collègues,
Sur la base de ces propositions, qu’ils font aux Français, les socialistes proposent un plan équilibré, financièrement et socialement; Ils proposent un plan juste, et c’est avec ces propositions qu’ils abordent le débat, pour autant que vous acceptiez ici de le mener alors que vous l’avez sans cesse rejeté.
Il vous appartenait de construire une nouvelle étape de notre contrat social, de proclamer que face à la dureté de la mondialisation, face à la violence du monde du travail, vous ne renonciez pas. Il vous revenait d’entendre ces hommes et ces femmes qui ne veulent pas de la pauvreté pour seul horizon, qui veulent que le travail soit symbole d’émancipation et non de résignation. Il vous incombait de porter haut et fort les valeurs de notre République, mais vous avez préféré opposer les Français les uns aux autres, distendre les solidarités, imposer en force une réforme d’injustice et de basse politique.
Pour Pierre MENDES-FRANCE , « La république doit se construire sans cesse car nous la concevons éternellement révolutionnaire, à l’encontre de l’inégalité, de l’oppression, de la misère, de la routine, des préjugés, éternellement inachevée tant qu’il reste des progrès à accomplir ». Cette exigence est ce qui nous guide.
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