Aujourd’hui marginal dans plus de la moitié des établissements du secondaire, l’absentéisme scolaire révèle les plus criantes inégalités du système éducatif français. En effet, c’est dans les établissements les plus en difficultés que se concentre le phénomène (les 10 % d’établissements les plus en difficulté ont un taux supérieurs à 20 %), et particulièrement dans l’enseignement professionnel (15 % d’absentéisme en moyenne).
Et si la lutte contre l’absentéisme scolaire affichée à travers la proposition de loi de l’UMP est une cause communément partagée, les réponses proposées, elles, ne le sont pas. En effet, le dispositif proposé de suppression des allocations familiales, outre qu’il nie la complexité humaine et sociale du processus conduisant à l’absentéisme, reste de surcroît aussi inapplicable qu’injuste.
Niant en effet que l’absentéisme est le résultat d’un long processus d’éloignement du monde scolaire, lié à une multiplicité de causes propres à chaque cas, le texte le définit à partir de quatre demi-journées d’absences par mois, soit deux jours.
Une telle délimitation ne saurait être un indicateur valable tant il englobe d’innombrables situations qui n’ont rien à voir avec cet absentéisme dont nous parlons. Quantifier les limites de l’absentéisme n’a objectivement pas grand sens eu égard aux graves difficultés personnelles, familiales et sociales sous-jacentes qu’il révèle.
Aussi, sous couvert d’ « accompagnement » des familles, le filtre de l’avertissement n’est en fait qu’un « carton jaune », première étape de la sanction. Au lieu de s’engager dans une démarche de suivi personnalisé, impliquant fortement l’équipe pédagogique, les réseaux de l’assistance sociale et la famille, cette proposition de loi s’embourbe dans une mobilisation de la hiérarchie administrative, dont l’effet concret reste, à bien des égards, imaginaire.
Ce texte est un pur affichage politique. La preuve en est que la plupart de ses dispositions sont inapplicables.
Inapplicable, d’abord, parce que la suspension/suppression des allocations familiales exclut les 1,2 millions de famille qui n’ont qu’un enfant, et qui donc ne touchent pas cette mesure de politique familiale. De surcroît, cela pose une question fondamentale dans notre droit, d’égalité de tous devant la loi.
Inapplicable, aussi, parce qu’il est extrêmement difficile voire impossible d’individualiser la part d’allocation due à chaque enfant, tel que le prévoit la proposition de loi. Cela sans compter qu’une telle disposition culpabilise l’élève en difficulté et sa famille, et consacre, comme le soulignait mon collègue Yves Durand dans la discussion générale, une « responsabilité familiale collective », plus destructrice que réparatrice.
Inapplicable, enfin, parce que les trois principaux acteurs du processus punitif que sont l’inspecteur d’académie, le directeur de la CAF et le président du conseil général, ont tous fait état de leur désapprobation face au dispositif, convaincus chacun de son inefficacité. Inefficacité qui avait d’ailleurs conduit à l’abrogation par la loi du 2 janvier 2004, du dispositif similaire préexistant depuis 1966.
Et comme si cela ne suffisait pas, l’injustice du mécanisme proposé doit également nous alerter.
En premier lieu, et si l’absentéisme touche l’ensemble des catégories sociales, on ne peut que constater sa surreprésentation dans les familles dont les parents sont loin du monde scolaire, par méconnaissance, par crainte, voire par défiance.
On ne peut ignorer non plus que c’est dans les établissements les plus en difficulté que se concentre l’absentéisme, et que sous couvert de dénoncer des bouc émissaires – des « mauvais parents » -, au minimum on se trompe de cible, au pire on aggrave davantage encore la situation de ceux qui sont déjà les perdants du système.
En second lieu, la teinte de bon sens qui sert de justification à ce texte ne masque pas une donnée fondamentale de l’équation : la sanction n’a pas la même valeur pour tous. D’une part, la suppression des allocations familiales n’a pas les mêmes conséquences pour une famille aisée que pour une famille aux revenus moyens et modestes ; d’autre part en fonction de ce que la famille est plus ou moins nombreuse, le poids de la punition ne sera pas le même.
Plus largement, outre le profond scepticisme dans lequel nous plonge la conception ici donnée de l’absentéisme, tant la réponse que le message portés par la droite sont erronés. Car en désignant de « mauvais parents » au lieu de s’intéresser aux causes profondes des dysfonctionnements de notre système scolaire, l’UMP se trompe de cible, mais surtout continue de nier les évidences de son échec.
Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.
Excellente analyse.
Par ailleurs, obliger des élèves rétifs à venir en classe, pour toutes sortes de raisons compliquées, en mettant leurs parents sous pression ne peut avoir qu’un résultat concret – l’explosion de l’agressivité en milieu clos. Comme chacun sait, les enseignants savent tout à fait gérer les adolescents dépressifs ou agressifs, tout en faisant travailler les autres :-/