Depuis le début de cette législature, le Gouvernement ne cesse de mener une politique de démantèlement du Code du Travail et des droits des salariés. Déplafonnement des heures supplémentaires, fin des RTT, disparition du repos compensateur, possibilité de travailler jusqu’à 70 ans… la liste est longue mais pourrait encore s’allonger puisque le Gouvernement s’attaque aujourd’hui au repos dominical.
Présenté de façon surprenante comme une réponse à la crise, la déréglementation du travail dominical est pourtant contestée par les instituts économiques, toutes les organisations syndicales, la grande majorité des organisations patronales, et par bon nombre de parlementaires de gauche comme de droite (Nouveau Centre, UMP).
Avec mon Collègue Christian Eckert, Député de Meurthe-et-Moselle, et responsable de ce texte pour le Groupe Socialiste, nous estimons que cette proposition de loi est une quadruple erreur :
1 – Une erreur économique, tout d’abord
Le vrai faux argument du gouvernement selon lequel l’ouverture des commerces le dimanche permettra une augmentation du chiffre d’affaires de 30 % est plus que contestable. Aujourd’hui, les entreprises hors-la loi qui ouvrent le dimanche font il est vrai, un chiffre d’affaires intéressant. Cela tient uniquement au fait qu’elles soient les seules ouvertes, donc sans concurrence ce jour là. Si un jour, l’ensemble des commerces venaient à ouvrir le dimanche, toute marge bénéficiaire serait alors purement et simplement réduite, voire annulée.
De même, considérer le pouvoir d’achat des Français comme extensible est une flagrante erreur : on voit mal comment les salariés pourront dépenser le dimanche l’argent qui leur manque la semaine, d’autant plus que le travail dominical ne sera pas nécessairement payé double puisque la proposition de loi compte renvoyer à l’accord d’entreprise, le soin de fixer la majoration de salaire sans aucun encadrement.
Un autre argument du gouvernement revient à dire que travailler le dimanche permettra de créer des emplois. Là encore, plusieurs études économiques montrent que l’ouverture des commerces le dimanche ne créera ni emploi, ni croissance, mais un déplacement de l’activité commerciale de la semaine sur le dimanche : au mieux, les achats dominicaux se substitueront aux achats de la semaine et la consommation sera un jeu à somme nulle. Le rapport du Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (Crédoc), commandé par Bercy, indique à ce titre que dans les pays étrangers lorsque l’on autorise l’ouverture des commerces alimentaires le dimanche, la consommation n’augmente pas puisque les gens ne mangent pas plus.
Pire, cette proposition de loi risquerait de détruire des emplois et plus particulièrement ceux du commerce de proximité : cette loi serait effectivement l’acte de décès des artisans et des commerçants des centre-villes, avec tout le dynamisme et l’animation qu’on leur connaît. À chiffre d’affaire égal, les artisans et les commerçants de proximité emploient trois fois plus de personnel que la grande distribution : aussi, on assistera à la destruction d’emplois non compensés par des créations de postes dans la grande distribution. Et avec cette concurrence déloyale, on risquerait également de dire adieu à nos marchés traditionnels du dimanche matin!..
Enfin, l’ouverture des commerces le dimanche, c’est paradoxalement la certitude d’une augmentation des prix. Ouvrir un dimanche coûte trois fois plus cher qu’ouvrir un jour de semaine à cause des charges salariales, des frais de communication, ou des charges de fournisseurs augmentées par les prestations dominicales. L’ouverture des commerces le dimanche entraînera donc pour les consommateurs, un surcoût des prix à la caisse chiffré à 5 % minimum, même pour ceux qui ne font pas leurs courses le dimanche !
2 – Une erreur politique, ensuite
Le gouvernement insiste sur le fait que les Français veulent cette réforme et que la population demande vivement à ce que les commerces soient ouverts le dimanche. Pourtant dans les sondages, les Français expriment des avis partagés sur la question. Ils y sont franchement favorables en tant que consommateurs, mais sont bien plus réservés en tant que salariés… Un constat renforcé par le récent rapport du Crédoc qui relativise une nouvelle fois l’intérêt de l’ouverture des commerces le dimanche : une enquête réalisée en septembre 2008 montre que 52% des personnes interrogées sont pour une ouverture des magasins le dimanche ; 61% refusent de travailler ce jour-là ; et les personnes qui ont des proches travaillant dans le commerce sont opposés à l’assouplissement… D’ailleurs, les principales concernées par cette loi (les caissières de supermarché) désapprouvent cette mesure, puisque la grande majorité d’entre elles sont mères de famille. Doit-on alors souhaiter aux autres ce que l’on ne désire pas pour soi-même ?
Sur le plan politique, la gauche est quasi-unanime à ce sujet : toute modification du code du travail sur le repos dominical serait inacceptable. C’est aussi le cas des 58 parlementaires de la majorité qui ont tenu à faire connaître leur opposition au texte dans une tribune « Touche pas à mon dimanche ». D’autres personnalités politiques influentes de droite telles que Jean-Pierre Raffarin, Renaud Dutreil, Pierre Méhaignerie ou Christian Jacob ont également protesté contre cette mesure. L’actuelle Ministre de l’Economie, Christine Lagarde, avait d’ailleurs elle même émis des réserves à ce sujet, signalant qu’elle trouverait « dommage que le dimanche devienne un jour comme les autres » (Le Nouvel Observateur, le 8 février 2008).
L’opposition à ce texte provient également des syndicats patronaux. La grande distribution, pourtant « gagnante » de cette loi, est elle-même, loin d’être enthousiaste sur le sujet : « Nous n’avons pas besoin d’ouvrir le dimanche, il n’y a pas de demande », constatait le Directeur d’une grande marque de distribution française. L’Union Professionnelle Artisanale (UPA), la Fédération Nationale de l’Habillement (FNH), la confédération de l’alimentation en détail (CGAD) ou encore la Confédération Générale des Petites et Moyennes Entreprises (CGPME) : toutes dénoncent cette proposition de loi et analysent l’ouverture des commerces le dimanche comme destructrice d’emplois.
Les syndicats de salariés (CGC, UNSA, CFDT, CGT, CFTC, FO) sont également contre toute déréglementation du travail dominical et pointent du doigt les répercussions néfastes que cela pourrait avoir sur l’économie et la société française.
Les associations familiales elles aussi, mais également les structures religieuses ont souligné leur opposition à une extension du travail le dimanche. Pour l’Union Nationale des Associations Familiales (UNAF), « ce sont les rythmes de consommation qui doivent s’adapter à la vie de famille, et non l’inverse ». Quant aux dirigeants religieux, « élargir l’ouverture des commerces le dimanche reviendrait à banaliser ce jour, et à faire passer les lois du commerce avant la dimension conviviale, familiale et spirituelle de l’existence. Ceci accentuerait l’atomisation de la société française ».
Même le Conseil économique et Social (CES), saisi en février 2007 par Dominique de Villepin, alors Premier Ministre, a rendu un avis négatif sur l’ouverture dominicale. Il s’est dit opposé à toute généralisation et adopte une posture de prudence extrême sur un sujet dont il explique qu’il est d’abord celui d’un « choix de société ».
Aussi, on saisie mieux l’étrange absence de concertation du gouvernement avec les partenaires sociaux, tellement le projet rencontre l’hostilité de toutes les forces vives de la nation…
3 – Une erreur sociale également
Le gouvernement explique qu’il souhaite modifier la législation sur le travail du dimanche qui est ancienne ; elle date en effet de 1906. De ce fait, il estime qu’il serait plus actuel de retourner à un droit antérieur à 1906 … À plusieurs reprises, des Ministres ont fait l’apologie du travail le dimanche en citant des zones commerciales qui, pourtant, ouvraient leurs commerces en toute impunité et en toute illégalité. Il est anormal quand les enseignes ne respectent pas la loi et que le gouvernement au lieu de les sanctionner, décide qu’il faut rendre légal ce qui est illégal. La loi n’a pas à régulariser des hors-la-loi. Ou alors pourquoi le gouvernement ne régularise t-il pas tous les sans-papiers, comme il le fait si bien pour la grande distribution ?
Le gouvernement explique aussi qu’il faut « laisser la liberté à ceux qui le souhaitent, de pouvoir travailler le dimanche ». Mettre en avant la liberté et le volontariat du personnel, traduit une réelle méconnaissance de l’inégalité de la relation employeur-salarié, accrue en cette période de crise et de hausse du chômage. Le contrat de travail est un contrat de subordination : le salarié ne s’embauche pas, ne se licencie pas, ne se distribue pas des primes et ne s’accorde pas des jours de RTT. Les personnes qui ont du mal à joindre les deux bouts seront obligées de venir travailler le dimanche. La majorité des salariés de la grande distribution est composée de mères de famille, employées à temps partiel et touchant un salaire net mensuel de 750 € : dans ces conditions, a-t-on la liberté de dire oui, ou de dire non pour venir travailler le dimanche ? Si le gouvernement veut vraiment augmenter le pouvoir d’achat de ses concitoyens, c’est par la revalorisation des salaires qu’il devra le faire, et non par des primes aléatoires !
4 – Une erreur sociétale, enfin
Mais l’ouverture des commerces le dimanche aurait pour conséquence (et c’est selon nous, le point le plus important), une profonde modification de nos comportements et de nos modes de vie.
Il s’agit à ce titre d’un véritable problème d’organisation de la société et non pas seulement d’une question d’ouverture ou de fermeture des commerces. Une extension de l’ouverture dominicale des commerces entraînerait des modifications structurelles substantielles dans l’organisation du fonctionnement de la société, impliquant nombre d’autres professions et notamment les services publics, les services à la personne (ouverture de crèches pour garder les enfants…), les services de logistique, de technique ou de maintenance. Ce serait toute l’organisation de la société qui serait à revoir et l’ensemble des corps de métiers qui serait touché. Cette course effrénée à la sur-consommation contredit d’ailleurs le mouvement d’une consommation raisonnée à laquelle nous aspirons et pour laquelle nous avons voté en faveur du Grenelle de l’Environnement. Les grandes surfaces, notamment alimentaires, sont parmi les activités les plus énergivores : éclairages puissants entièrement artificiels, chauffages ou climatisations de volumes immenses, vastes rayons de réfrigération ouverts ou souvent manipulés. En ces temps de « révolution verte », il est étrange que l’on ne s’interroge pas sur l’impact environnemental de l’ouverture des commerces le dimanche : sa généralisation à tous les hypermarchés et supermarchés se traduirait par un surcroît de la consommation énergétique, supérieur aux fameuses économies générées par le changement d’heure hiver-été. Sans compter la multiplication des déplacements engendrés par les distributeurs, les fournisseurs et les consommateurs.
Et la question ne se pose pas qu’en simple terme de pouvoir d’achat ou d’organisation de la société : c’est aussi celui du choix de vie, de la possibilité de consacrer son temps libre à autre chose que la consommation. Proposer comme réponse aux salaires trop bas, de ne plus prendre de RTT, de devoir faire des heures supplémentaires, de travailler jusqu’à 70 ans ou de passer le dimanche à pousser le caddie : c’est faire un choix de vie que nous n’acceptons pas, surtout lorsque les inégalités et les écarts de revenus progressent comme jamais.
Cette conception de la vie que nous propose le gouvernement est une véritable menace pour la sphère familiale, amicale, culturelle, spirituelle ou associative. Cette latente mais palpable évolution de la civilisation des loisirs, vers la civilisation du caddie où le citoyen est défini en tant que consommateur, ce n’est pas notre conception de la vie. Des dérogations existent aujourd’hui pour répondre largement aux besoins des entreprises. Mais si on venait à accentuer ce phénomène, que deviendrait les réunions familiales, les week-end entre amis, les fêtes populaires, les marchés, les brocantes, les tournois sportifs, le bénévolat et la vie associative ? Quelle vie privée, quelle vie de famille lorsque à terme, l’un des parents travaillera le samedi, l’autre le dimanche et auront des jours de repos hebdomadaires différents, alors que justement, nos sociétés souffrent déjà d’une déstructuration des liens sociaux ? À l’heure où l’on cherche à recréer du lien social, à l’heure où les Français se plaignent de l’érosion de leur pouvoir d’achat, à l’heure où ils aspirent à une meilleure qualité de vie, le gouvernement souhaite aller dans le sens contraire. Le droit au travail le dimanche (liberté individuelle) ne doit pas primer sur le droit au dimanche (intérêt général) !
Le modèle de développement humain proposé par le gouvernement rencontrera évidemment l’opposition des Socialistes qui au « travailler plus, pour gagner plus », opposeront le « travailler mieux, pour gagner mieux » de l’économiste Joseph Stiglitz. L’ouverture des commerces le dimanche est économiquement un jeu à somme nulle ; mais socialement, pas à conséquence nulle. Il faut un vrai débat sur ce choix de société. C’est la raison pour laquelle nous défendrons avec la plus grande énergie notre conception de la société et de la vie, lors du passage du texte à l’Assemblée Nationale.